PIERRE DE RONSARD

(1524-1585)


POUR HÉLÈNE

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant:
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom, de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:
Cueillez des aujourdhuy les roses de la vie.


Quel dieu malin, quel astre me fit estre,
Et de misere & de tourment si plein?
Quel destin fit, que tousjours je me plain
De la rigueur d’un trop rigoreux maistre?

Quelle des Seurs, à l’heure de mon estre
Noircit le fil de mon sort inhumain?
Et quel Démon d’une senestre main
Berça mon corps quand le ciel me dit naistre.

Heureux ceulx là dont la terre a lez oz,
Heureux vous rien, que la nuict du Chaos
Presse au giron de sa masse brutalle!

Sans sentiment vostre rien est heureux:
Que suis je, las! moy chetif amoureux,
Pour trop sentir, qu’un Susyphe ou Tantale?


Ny voir flamber au point du jour les roses,
Ny lis planté sur le bord d’un ruisseau,
Ny chant de luth, ny ramage d’oyseau,
Ny dedans l’or les gemmes bien encloses:

Ny des zephyrs les gorgettes descloses,
Ny sur la mer le ronfler d’un vaisseau,
Ny bal de Nymphe au gazouilliz de l’eau,
Ny de mon cuoeur mille metamorphoses:

Ny camp armé de lances herissé,
Ny antre verd de mousse tapissé,
Ny les Sylvains qui les Dryades pressent,

Et ja desja les dontent à leur gré,
Tant de plaisirs ne me donnent qu’un Pré,
Où sans espoyr mes esperances paissent.


Ni les combats des amoureuses nuits
Ni les plaisirs que les amours conçoivent
Ni les faveurs que les amans reçoivent
Ne valent pas un seul de mes ennuis.

Heureus ennui, en toi seulet je puis
Truver repos des maus qui me deçoivent:
Et par toi seul mes passions reçoivent
Le dous obli du torment où je suis.

Bienheureus soit mon torment qui n’empire,
Et le dous jou, sous lequel je respire,
Et bienheureus le penser soucieus,

Qui me repait du dous souvenir d’elle:
Et plus heureus le foudre de ses yeux,
Qui cuit mon coeur dans un feu qui me gelle.


Oeil, qui portrait dedans les miens reposes,
Comme un Soleil, le dieu de ma clarté:
Ris, qui forçant ma doulce liberté
Me transformas en cent metamorphoses:

Larme, vrayment qui mes soupirs arroses,
Quand tu languis de me veoir mal traicté:
Main, qui mon cuoeur captives arresté
Parmy ton lis, ton ivoyre & tes roses,

Je suis tant vostre, & tant l’affection
M’a peint au vif vostre perfection,
Que ny le temps, ny la mort tant soit forte,

Ne fera point qu’au centre de mon sein,
Tousjours gravéz en l’ame je ne porte
Un oeil, un ris, une larme, une main.


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