Rosario Castellanos

Traduction de Claude Major


L'autre

Pourquoi dire des noms de dieux, ces astres
écumes d'un océan invisible,
pollen des jardins les plus lointains?
Si la vie nous fait mal, si chaque jour qui arrive
nous déchire le coeur, si chaque nuit tombe
convulsée, assassinée?
Si nous fait mal la douleur de quelqu'un, d'un homme
qui nous est inconnu, mais est
présent à toute heure et est la victime
et l'ennemi et l'amour et tout
ce qui nous manque pour être entiers?
Ne dis jamais qu'est tienne la ténèbre,
n'avale pas d'une gorgée le bonheur.
Vois, autour de toi: il y a l'autre, il y a toujours l'autre.
Ce qu'il respire est ce qui t'asphyxie,
ce qu'il mange est ta faim.
Il meure avec la moitié la plus pure de ta mort.


Le quotidien

Pour l'amour il n'y a pas de cieux, amour, que ce jour-ci;
ce cheveu triste qui tombe
quand tu te peignes devant le miroir.
Ces longs tunnels
qui se croisent avec halètements et asphyxie,
les parois sans yeux,
le creux qui résonne
de quelque voix occulte et incompréhensible.

Pour l'amour il n'y a pas de trève, amour. La nuit
ne devient pas, soudain, respirable.
Et quand un astre rompt ses chaînes
et que tu le vois zigzaguer, fol, et se perdre,
la loi ne lâche pas pour autant ses crochets.
Le rencontre a lieu dans le noir. Dans le baiser se mêle
la saveur des larmes.
Et dans l'étreinte tu enlaces
le souvenir de tel désarroi, de telle mort.


Mariana Yampolsky

Appel au solitaire

Il est nécessaire, parfois, de trouver de la compagnie.

Ami, il n'est possible ni de naître, ni de mourir
sans autrui. Il est bon
que l'amitié enlève
au travail sa face de châtiment
et à la joie son air illicite de délit.

Comment pourras-tu être seul à l'heure
complète, où les choses et toi bavardent et bavardent,
jusqu'au petit matin?


Destin

Nous tuons ce que nous aimons. Le reste
n'a jamais vécu.
Personne n'est si proche. Un oubli, une absence,
parfois moins, ne blesse personne d'autre.
Nous tuons ce que nous aimons. Que cesse maintenant
cette asphyxie de respirer du poumon d'autrui!
Il n'y a pas assez d'air
pour deux. Et la terre ne suffit pas
pour les corps réunis
et la ration d'espérance est petite
et la douleur ne se partage pas.

L'homme est animal de solitudes,
cerf blessé d'une flèche au flanc
qui fuit et se vide de son sang.

Ah, mais la haine, sa fixité insomniaque
de pupilles de verre; son attitude
à la fois repos et menace.

Le cerf va s'abreuver et dans l'eau apparait
le reflet d'un tigre.
Le cerf boit et l'eau et l'image. Il devient
—avant qu'on ne le dévore— (complice, fasciné)
l'égal de son ennemi.

Ne donnons la vie qu'à ce que nous haïssons.


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