VAGABONDS EN CHARTERS, ROUTARDS DE BANLIEUE
Tourisme
moderne entre misère et business
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SCHÖN IST ES AUCH WOANDERS
Über Vagabunden und sonstige Touristen
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Sur
les marges du voyage et sur fond de crise sociale se développe
un certain tourisme de misère. Nos sociétés
méprisent les misérables mais exaltent à
l'envi les voyageurs. Le refus de l'autre de l'ailleurs résonne
tristement avec le rejet de l'autre de chez nous. Alors que les
mobilités augmentent un peu partout dans le monde sous
des formes de plus en plus diverses, les mentalités se
ferment et les nomades parlent à des murs.
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Nés à la fin du XIXe
siècle sur les décombres de la crise économique
dans une Amérique qui jetait, déjà, ses
milliers de chômeurs dans la rue, les hobos sillonnaient
les Etats en quête de chantiers pour travailler, de trains
pour se déplacer, d'emplois pour exister sur le plan social
et pour survivre sur le plan financier. Dès 1923, dans
son ouvrage Le Hobo, sociologie du sans-abri (1993), Nels Anderson
notait qu'une culture libertaire sous-tendait ce mode de vie
bohème. Le hobo n'est pas qu'un chômeur ou un travailleur
nomade : c'est aussi un jouisseur de la vie, un rescapé
du romantisme. |
Am Ende des 19. Jahrhunderts tauchten sie in den USA auf. Nach der
verheerenden Wirtschaftskrise standen Tausende von Arbeitern
auf der Straße, und so zogen sie in Scharen von einem Bundesstaat
zum anderen, auf der Suche nach einer Gelegenheitsarbeit. In
seinem Standardwerk "The hobo; the sociology of the homeless
man" hielt Nels Anderson schon 1923 fest, dass dieses nichtbürgerliche Leben in gewisser Weise die Kultur der Freizügigkeit begründet hatte: Ein Hobo war eben nicht nur ein Arbeitsloser oder ein
Wanderarbeiter, sondern auch ein Lebenskünstler, ein letzter
Vertreter romantischer Ideale.
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On en oublierait presque que le temps
de l'errance est également un temps de déviance,
de rejet et, souvent, de souffrance. Un temps qui peut nous faire
croire que tout est possible... Pour Anderson, le «
bon » hobo n'est pas le travailleur mais l'oisif,
celui qui met son temps au service de la vie et non du labeur.
Nourri d'un imaginaire puissant marqué notamment par la
figure d'un Jack London, il représente surtout un pionnier,
un éclaireur, découvreur potentiel d'un hypothétique
Far West. |
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L'image du hobo relève du
mythe : l'extrême voyage au bout du « tourisme
moyen ». Rien d'étonnant si tous les aventuriers
originaux en mal d'ancêtres, mais aussi certains ethnologues,
militants ou touristes soucieux de se démarquer revendiquent
l'héritage du hobo. Ils lui attribuent le statut envié
de « vrai » voyageur, de modèle
idéal - celui que généralement, par peur
ou manque de courage, on ne parviendra pas à imiter...
- du nécessaire détachement de nos attaches aliénantes,
qu'elles soient matérielles ou affectives. |
Der Hobo wurde zum Mythos. Er stand
für die extreme Form des Reisens jenseits des "Durchschnittstourismus".
Kein Wunder, dass sich Abenteurer, aber auch manche Ethnologen,
politische Aktivisten oder Touristen, die sich von der Masse
abheben wollen, immer wieder auf diesen Idealtypus des "wahren"
Reisenden berufen. Auf ein Vorbild, an das wir nicht herankommen,
weil uns der Mut fehlt, all die materiellen und affektiven Bindungen
zu lösen, die uns unfrei machen. |
Des « vagabonds du rail
» (London) aux « nomades du vide »
(Chobeaux), en passant par les « clochards élégants
» (Kerouac), l'univers de l'errance - dont Bruce
Chatwin a décortiqué l' « anatomie »
sur le mode si couru du travel writing - a plus changé
en degré qu'en nature. Et l'Amérique reste l'Amérique. |
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Il m'est arrivé, «
sur la route », de partager durant quelques jours
la pitance, la vinasse et le mode de vie d'un hobo «
moderne », en reliant les deux extrémités
des Etats-Unis. Agé d'une quarantaine d'années,
Charles, par exemple, fait la route depuis près de dix
ans. D'où vient-il ? Où a-t-il grandi ? «
Quelque part entre New York et Boston, mais je ne sais plus trop
bien ; maintenant, mes seules attaches sont la route, le vent,
la pluie et le soleil... » A chaque véhicule
qui s'arrête au bord de la route, la première question
de mon compagnon d'infortune n'est pas vraiment celle du stoppeur
« classique » se destinant à un
lieu précis, mais : « Bonjour, monsieur, où
allez-vous ? » Les questions suivantes ne tardent
pas non plus à surgir : « Pensez-vous qu'il
y a du travail par là-bas ? Peut-être pourriez-vous
m'aider à trouver un petit job temporaire, même
si c'est mal payé ? » Echantillons de mendicité
et concessions anticipées symptomatiques d'un système
qui place l'individu au bout de la chaîne du progrès.
Interrogations qui ont laissé quelques automobilistes
pour le moins interloqués. |
(XXXXXXXXX Per Anhalter in den USA von
Küste zu Küste reisend, habe ich ein paar Tage lang
das Leben, die kargen Mahlzeiten und den billigen Fusel mit einem
der "modernen" Hobos geteilt. Charles zum Beispiel
ist seit fast zehn Jahren auf Achse. Wo ist er aufgewachsen?
"Irgendwo zwischen New York und Boston. So genau weiß
ich das nicht mehr. Heute gibt es für mich nur noch die
Straße, Regen, Sonne und Wind." Wenn ein Wagen am
Straßenrand anhielt, dann stellte er nicht die typischen
"Anhalterfragen", sondern sagte einfach: "Guten
Tag, wo fahren Sie hin?" Und als nächstes fragte er:
"Glauben Sie, dass es da Arbeit gibt? Können Sie mir
helfen, irgendwas zu finden? Einen Job, er muss nicht gut bezahlt
sein ..." (XXXXXXXXX XXXXXXX XXXXXXX XXXXXX) Einige Autofahrer
reagierten auf diese Anfragen ziemlich verstört. |
Les formes que revêt le vagabondage
sont multiples. Il y a les errants et les mendiants, les paumés
et les désespérés, les renonçants
et les expulsés. En accumulant le malheur, on peut être
un peu tout cela à la fois. Mais la « bonne
société » a toujours distingué
les vrais vagabonds des faux. Les « vrais »
: ceux qui, happés par la cruauté du monde, mais
prêts à se rendre utiles, restent malgré
tout intégrés au sein de la communauté.
Les « faux » : ceux qui fuient à
la fois le travail et la communauté. |
DIE Formen nichtsesshaften Lebens
sind durchaus vielfältig. Es gibt Vagabunden und Bettler,
verzweifelte und gescheiterte Existenzen, Aussteiger und Ausgestoßene.
Am schlimmsten ist es, wenn man alles zugleich ist. Die "anständigen
Leute" machten stets einen Unterschied zwischen "echten"
und "falschen" Vagabunden: Wer vom Schicksal geschlagen
dennoch bereit war, sich nützlich zu machen, fand immer
noch einen Platz in der Gemeinschaft; allen anderen unterstellte
man, sie wären arbeitsscheue Sonderlinge. |
La société préfère
sans aucun doute le vagabond appauvri et même déchu
de toute humanité, mais « acceptable »
et présent à ses côtés, auquel on
cède volontiers une pièce de temps en temps, au
vagabond rebelle et fuyard, « inacceptable »
(donc « enfermable » !) et absent (donc,
en quelque sorte, inexistant), tenté par l'oisiveté
et l'inconnu. |
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Les comportements à l'égard
du « vrai » SDF - version moderne du
vagabond - oscillent entre charité bienveillante et compassion
religieuse. Les attitudes envers le « faux »
SDF, usurpateur de la misère officiellement acceptée,
expriment, en revanche, au mieux la méfiance, au pis la
haine. Après avoir été privés de
citoyenneté, certains sont expulsés de la cité,
d'autres meurent brûlés ou tabassés... L'histoire
regorge d'oeuvres charitables pour les uns - de saint Vincent
de Paul à l'abbé Pierre -, de procès et
de prisons pour les autres. Le « vrai »,
on le plaint et on l'aide ; le « faux »,
on le stigmatise et on le rejette. Le premier aspire à
la sédentarité là où le second a
toujours la bougeotte. Le SDF voyageur passe toujours pour un
mauvais vagabond qui refuse de se stabiliser, de s'installer,
de s'adapter. Dans ce cas de mobilité, pourtant plus involontaire
qu'on ne le croit, le voyage est non seulement mal vécu,
mais aussi mal vu... |
Das Verhalten gegenüber "echten"
Obdachlosen - den heutigen Vagabunden - schwankt zwischen religiös
geprägtem Mitleid und gut gemeinter Mildtätigkeit.
Dagegen gilt der "falsche" Obdachlose als ein Trittbrettfahrer
des offiziell akzeptierten Elends, dem bestenfalls Misstrauen,
schlimmstenfalls Hass entgegenschlägt. Der "echte"
Obdachlose wird bedauert und unterstützt, der "falsche"
verteufelt und verstoßen. Der eine hofft, wieder sesshaft
zu werden, der andere hält es nirgends lange aus. Und so
gilt der vagabundierende Obdachlose stets als übler Landstreicher,
der sich nicht niederlassen und anpassen will. |
La société défend
d'abord une conception du voyage héritée des congés
payés. Les autres formes sont suspicieuses et inconvenantes,
surtout si elles se pratiquent hors des sentiers battus. A ce
titre, les voyageurs-vagabonds sont comparés aux Tziganes...
Dans une économie monde tout entière vouée
au marché, les consommateurs de voyages sont mieux cotés
que les gens du voyage.
Mais qui sont les « vrais » voyageurs
? Zygmunt Bauman note, avec justesse, qu' « un monde
sans vagabonds, telle est l'utopie de la société
de touristes ». Le SDF a remplacé le clochard,
l'exclusion la pauvreté. Mais les problèmes demeurent
; d'autres mots ne suffisent pas à résoudre les
maux. Les jeunes quittent leur campagne isolée ou leur
cité invivable pour recréer du lien social et survivre
à l'absence de relations humaines. Ces « nomades
du vide » envisagent toujours le départ, mais
rarement l'arrivée : leur périple est avant tout
- et il risque de le rester - un voyage en aller simple. Ces
« zonards » rejoignent ici exceptionnellement
les exilés - l'exil, voyage imposé, se limite,
lui aussi, à un aller simple. |
UNSERE Gesellschaft hält an
einem Begriff des Reisens fest, der an das Prinzip des bezahlten
Urlaubs gebunden ist. Alle anderen Formen, zumal Reisen abseits
der ausgetretenen Pfade, gelten als verdächtig und unschicklich.
Vagabundierende Reisende werden deshalb immer wieder mit Zigeunern
verglichen. In einer vollständig marktorientierten Weltwirtschaft
ist das fahrende Volk unerwünscht, während die Käufer
von Reisetickets heiß umworben werden. Wer aber ist ein
"echter" Reisender? Zygmunt Bauman hat treffend festgestellt,
dass "die Utopie der Touristengesellschaft eine Welt ohne
Vagabunden ist"(1).( )Die Stelle des Clochards hat der Obdachlose
eingenommen, die Stelle der Armut die Marginalisierung. Aber
die Probleme bleiben - neue Begriffe können die alten Missstände
nicht beseitigen. |
L'histoire des nomades du vide, selon
la belle expression de Chobeaux, raconte la fuite hors d'une
réalité quotidienne insupportable et vers d'autres
gens dans le malheur. Si les actuels « zonards »
nous rappellent les hippies d'hier, ils n'emportent pas avec
eux les mêmes bagages. Moral moins flamboyant, route en
général nettement plus courte. Manque de carburant,
de force, d'argent... Les voilà loin des aventures beatniks,
des périples routiers interminables et des expériences
littéraires. De nos jours, l'errance et le nomadisme de
certains manquent de cette poésie qu'on leur trouvait
jadis. La vie d'errant n'a rien d' « exotique »
ou de « folklorique » : c'est avant tout
une vie gâchée, triste, sans arrêt sursitaire,
sinon suicidaire... |
JUNGE Leute fliehen aus abgelegenen
ländlichen Gebieten und unbewohnbaren Städten und versuchen,
neue soziale Bindungen zu knüpfen. Die Geschichte dieser
"Nomaden der Leere", wie François Chobeaux sie
genannt hat(2),( )ist eine Geschichte der Flucht aus dem unerträglichen
Alltag - hin zu anderen Menschen, die ebenfalls Not leiden. Diese
neuen "Asozialen" erinnern an die Hippies von einst,
aber sie haben weder einen hohen moralischen Anspruch noch einen
langen Atem. Ohne Benzin, ohne Elan und ohne Geld, verkörpern
sie das Gegenteil von Beatnik-Abenteurern. Ihnen widerfahren
keine "On the Road"-Erlebnisse, die zu Literatur werden.
Was viele heute als ziellose Nomaden erleben, hat nichts "Exotisches"
oder "Folkloristisches" an sich. Es ist schlicht ein
trauriges, verpfuschtes Leben, ein ständiger Überlebenskampf,
wenn nicht ein Weg in den Tod. |
« Nous sommes tous des gens
du voyage (1) », écrit Bauman.
Avec, partout, la vogue du tourisme, le voyage devient «
tendance ». Comme la « crise »,
le chômage, la pauvreté. Même si la condition
de touriste reste sans doute préférable à
celle de chômeur. Mais l'un rejoint l'autre, ou plutôt
les deux termes tendent à se confondre. Si l'industrie
touristique crée des emplois et des recettes là
où d'autres secteurs n'en suscitent plus guère,
chercher du travail peut se révéler une tâche
harassante. Partir à la recherche d'un emploi représente,
pour beaucoup de nos contemporains, un voyage douloureux et sans
issue. A l'instar de l'île déserte, inaccessible,
du bout du monde, l'emploi recherché exige de la part
du voyageur intrépide patience et organisation, courage
et traitements particuliers ! Cela peut s'apparenter à
une aventure autrement plus exotique que les tribulations périodiques
et vacancières dont l'objectif se résume à
la conquête des plages méditerranéennes...
Déjà, nombre de ces aventuriers du travail perdu
s'orientent vers des continents retrouvés, souvent très
éloignés... Tout le monde ne peut espérer
s'envoler à bord du Concorde, ou même d'un quelconque
vol charter, mais la route, elle, est ouverte à tous.
Du moins en apparence, la difficulté majeure consistant
à ne pas rester sur le bas-côté. Car, si
tous les chemins mènent à Rome ou ailleurs, beaucoup
de migrants (ou immigrants) restent sur le bord, et pas seulement
les auto-stoppeurs malchanceux. Du mendiant au routard, en passant
par le réfugié et l'exilé, du SDF affamé
au fils de PDG en quête d'émotions fortes, la route
appelle une foule composite. Faire la route est une alternative
offerte, en principe, à tous. Mais, en général,
la manière et la finalité du voyage des uns et
des autres diffèrent considérablement(2). |
Sicher wäre man lieber Tourist
als Arbeitsloser, dabei könnten beide Rollen durchaus zusammenfallen
oder sogar zu austauschbaren Begriffen werden. Denn die Arbeitssuche
kann zu einer äußerst beschwerlichen Sache werden,
für viele gleicht sie schon heute einer strapaziösen
und ergebnislosen Reise. Der Arbeitsplatz scheint eine ferne
leere Insel am Ende der Welt, die nur erreichen kann, wer unerschrocken,
geduldig und kühn ist, wer sich mit exakten Plänen
und guter Ausrüstung auf den Weg macht. Eine solche Expedition
verspricht womöglich exotischere Abenteuer als der immergleiche
Urlaubsstress oder der Kampf um einen freien Platz am Strand. |
Dans la boîte à touristes,
on trouve de tout. Y compris ces reality tours qui consacrent
le succès d'un tourisme politiquement correct. En vogue
surtout aux Etats-Unis, ils font commerce de la misère.
Ainsi Global Exchange, une association de San Francisco, s'est-elle
spécialisée dans les voyages vers les lieux d'exploitation
et de conflit de la planète.
Son catalogue propose, entre autres, une exploration californienne
des centres de détention de mineurs ; une autre dans les
plaines du Centre, où les touristes peuvent rencontrer
des travailleurs « qui assurent la cueillette des
fraises et sont, au premier chef, concernés par la toxicité
des pesticides. Les séquoias du nord de la Californie
et la déforestation qui menace l'écosystème
sont l'objet d'une autre investigation ». |
IM Touristikangebot gibt es heute auch
so genannte Reality Tours, die den Erfolg eines politisch korrekten
Tourismus begründen. Der Reiseveranstalter Global Exchange
in San Francisco ist auf Reisen spezialisiert, die an Orte der
Ausbeutung und in die Konfliktregionen der Welt führen.
Im Katalog wird etwa ein Trip durch kalifornische Jugendstrafanstalten
angeboten oder eine Fahrt in die Hochebene Zentralkaliforniens,
um Erdbeerpflücker zu treffen, "die Hauptleidtragenden
des Einsatzes giftiger Pflanzenschutzmittel." Eine weitere
Erkundungsreise führt in den Norden Kaliforniens, "wo
die Entwaldung das ökologische Gleichgewicht bedroht". |
Quant au programme «
Beyond Borders », il s'agit de « trois
jours à la frontière mexicaine qui, pour 500 dollars,
permettent des contacts directs avec la population locale, les
immigrés clandestins, la patrouille de la frontière,
les organisations pour les droits de l'homme. Sans oublier la
visite des maquiladoras, ces ateliers de confection situés
sur la frontière, et sans négliger l'évocation
des problèmes de pollution(3) ».
Tourisme malsain où les plus misérables ne sont
peut-être pas ceux qu'on croit... Cela rappelle les paroles
d'un Américain rencontré au Mexique en 1987. Alors
que je me trouvais à Chihuahua, on apprit la mort de plusieurs
Mexicains clandestins asphyxiés dans un wagon du train
transfrontalier. Et un touriste états-unien attablé
dans un bistrot laissa alors échapper : «
On ne voyage pas gratis ! Moi, je paie bien mon billet d'avion
pour venir jusqu'ici ! » |
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XXX XXXXXX ) |
Le touriste a le tort de rendre
amères les saveurs exotiques du simple fait de sa présence
embarrassante. Circulant, se transportant, il se voit accusé
de banaliser le monde et d'en atténuer le désir
d'en faire le tour.
Il irait, selon ses détracteurs,
jusqu'à assassiner le sens profond du voyage à
force de le désacraliser. |
Die Lust an der Exotik wird
einem allerdings häufig schon allein dadurch vergällt,
dass man nicht der einzige Tourist ist. Der zweite Tourist ist
der Feind des ersten: Wo er auftaucht, banalisiert er die Welt
und ist schuld daran, dass das Reisen immer weniger Spaß
macht.
(XXXXX XXXXXXXXXXX XXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXxX
XXX XXXXXX ) |
Ce n'est pas tant la timide démocratisation
du voyage qui rend caduque la distinction imaginaire entre touriste
et voyageur que la volonté des touristes de marcher dans
les pas des voyageurs ! Comme ces derniers, les touristes se
prennent parfois à rêver d'un monde sans... touristes.
D'où l'excitation facilement perceptible lorsqu'une «
nouvelle » destination s'ouvre aux pratiquants de
l'aventure : hier Cuba et le Vietnam, aujourd'hui le Laos, la
Birmanie, le Bhoutan... Demain le Congo, la Corée du Nord,
l'Afghanistan, voire le Timor-Oriental ou le Kosovo ? |
Es sind freilich nicht die zaghaften Tendenzen
einer Demokratisierung des Reisens, die den Unterschied zwischen
Touristen und Reisenden hinfällig gemacht haben - schuld
ist umgekehrt der Wunsch der Touristen, in die Fußstapfen
der Reisenden zu treten! Der Traum der Touristen von einer Welt
ohne Touristen erklärt auch die unübersehbare Begeisterung,
wenn ein "neues" Reiseziel auf den Markt kommt: Gestern
Kuba und Vietnam, heute Laos, Birma und Bhutan, und morgen der
Kongo, Nordkorea oder Afghanistan - warum nicht gleich Osttimor
oder das Kosovo? |
Il serait temps de réapprendre
à flâner au gré de ses envies, à cheminer
librement avec l'autre, à musarder au fil de l'ailleurs,
dans ce florilège de lieux à collectionner, au
lieu de sillonner la planète à coups de séjours
parfois si rapides qu'on ne parvient même plus à
faire tranquillement tamponner son visa à la frontière.
Pour reprendre la classification du nomadisme contemporain établie
par Jacques Lacarrière, on peut espérer que demain
les « voyagés », ces adeptes du
tourisme trop organisé et trop facile, rejoignent en actes
- sinon en esprit - les voyageurs, ceux qui font du voyage un
enrichissement personnel et une rencontre avec autrui. |
WIR sollten wieder lernen, nach Lust
und Laune zu flanieren, uns unbeschwert auf das Andere einzulassen,
gelassen unsere Pfade ins Anderswo zu suchen. Es gibt so viele
Orte, die sich entdecken lassen, statt ein ums andere Mal in
die Welt auszuschwärmen, eine Serie von Blitzurlauben hinzulegen,
die oft so kurz bemessen sind, dass man schon die Passkontrolle
als Verzögerung empfindet. |
A notre époque hantée
par les incertitudes du quotidien, l'évasion passe de
plus en plus par l'effacement. Le voyageur moderne n'entre pas
seulement dans la clandestinité, il brouille le sens mythique
du voyage : où est-il parti ? Au bout du monde pour un
an, ou voir un ami dans la rue d'à côté ?
Combien de fois ne m'a-t-on pas demandé, alors que je
partais un ou deux jours « quelque part »
en France, si je revenais avant six mois, voire si je restais
définitivement « là-bas »
? |
In einer Zeit, da der Alltag immer
weniger Sicherheiten bietet, wird Zerstreuung immer mehr mit
Vergessen erkauft. Der moderne Reisende taucht einfach ab, mehr
noch, er stellt sich gegen die mythische Bedeutung des Reisens:
Wohin ist er gegangen? Ein Jahr lang ans Ende der Welt? Oder
nur ein paar Straßen weiter, um einen Freund zu besuchen? |
Le voyage ne s'est jamais autant
inventé, fabriqué, pensé. Jadis, tout le
quartier savait l'itinéraire du périple dans ses
moindres détails. De nos jours, les voisins n'ont plus
que les volets fermés pour s'apercevoir de la disparition
du voyageur. On s'en va sur la pointe des pieds, on hésite
à annoncer le départ, on cultive le flou sur les
dates ou les destinations, etc. Le voyage nous invite secrètement
à entrer par une porte dérobée... Trop de
stress, trop de pressions de toutes parts, trop de technologie
et trop de consommation, trop de travail, trop de chômage,
trop de communication, trop de solitude, trop de paramètres
remettent en cause le sens du voyage. |
Nie zuvor war die Reise ein derart
künstliches, erfundenes, ausgedachtes Produkt. Früher
wusste das ganze Viertel über die Reiseroute eines Nachbarn
bis ins Detail Bescheid, heute bemerkt man nur noch an den heruntergelassenen
Rolläden, dass jemand gerade unterwegs ist. Der Tourist
schleicht sich auf Zehenspitzen davon, zögert, einen Abreisetermin
zu nennen, bleibt bewusst vage, was Termine und Ziele betrifft.DIE
Reise lockt uns, verstohlen durch eine Geheimtür zu treten.
Zu viel Stress, zu viel Druck von allen Seiten, zu viel Technik
und zu viel Konsum, zu viel Arbeit und zu viel Arbeitslosigkeit,
zu viel Kommunikation und zu viel Einsamkeit: es gibt einfach
zu vieles, das den Sinn des Reisens in Frage stellt. |
Notre société survit
d'excès comme elle en meurt : accumulation, matérialisme,
consommation, gaspillage, etc. Trop, c'est trop. Partir aujourd'hui,
c'est d'abord quitter tout cela. Partir, c'est «
se mettre au vert », se retirer pour mieux se cacher
et se protéger d'un monde devenu fou et sans cesse en
ébullition. Ce n'est pas par hasard que les voyagistes
jouent à fond la carte du « retour à
la nature » et de la « nostalgie des
origines ».
Le touriste-voyageur s'accommode de cette vision du monde, alors
que le flâneur-badaud se situe en rupture de l'ordre qu'on
lui impose : il voyagera aussi bien chez lui qu'au loin, fera
l'effort de prendre son temps pour vivre au rythme de l'homme
et de la nature.
Jean Chesneaux en fait son art du voyage : « Accepter
d'être un voyageur du monde tel qu'il est, c'est sans doute
le prix à payer pour pouvoir légitimement s'interroger
sur le devenir à la fois pluriel et unifié des
sociétés contemporaines. (...) Voyager dans le
monde, c'est philosopher sur le monde, c'est s'interroger sur
l'équilibre toujours instable qui s'établira peut-être
entre les pesanteurs de l'uniformité et les forces restées
bien vivantes de la diversité(4). »
Il n'y a pas plus d'invasion de touristes dans des milieux culturels
fragiles que, jadis, d'invasions de barbares armés jusqu'aux
dents pour mettre à sac l'Europe du bas Moyen Age - ou,
actuellement, d'invasion de l'Europe par des immigrés
venus voler emplois et femmes. |
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Partout et toujours, une rencontre constitue
une confrontation. Mais l'invasion touristique si décriée
de nos jours a ceci de novateur qu'elle est - en général
- pacifique. Conquistadores, missionnaires et colonisateurs d'autrefois
ne pouvaient prétendre à cette vertu. L'échange
a remplacé le vol. La plupart des touristes-voyageurs
ont soif d'horizons nomades et affichent de louables intentions.
Même si, parfois, ils ne savent guère ce qu'ils
font, négligent les conséquences dramatiques de
leurs actes et sous-estiment l'impact des traces de leur bref
passage dans quelque hameau retiré de la planète. |
Immer und überall bedeutet eine
Begegnung auch eine Konfrontation. Gegenüber den militärischen
Invasionen der Geschichte zeichnet sich die viel geschmähte
Invasion der Touristen dadurch aus, dass sie weitgehend friedlich
verläuft. Den Konquistadoren, Missionaren und Kolonialherren
früherer Zeiten war diese Tugend nicht zu Eigen. Der Handel
hat den Raub abgelöst. Die Mehrheit der Touristen treibt
nur das Verlangen, die Welt mit dem Auge des Nomaden zu betrachten,
und sie kommen in bester Absicht. Auch wenn sie oft nicht wissen,
was sie tun, wenn sie die weit reichenden Folgen ihres Handelns
ignorieren und unterschätzen, was für tiefe Spuren
ihr kurzer Aufenthalt in irgendeinem Dorf am Ende der Welt hinterlässt. |
Visiter le monde par le biais du
voyage, c'est aussi tenter de comprendre l'univers qu'on parcourt.
Saisir - sinon vivre - les réalités sociales locales,
ne jamais nier le rôle de l'histoire dans le présent
et le devenir des sociétés. Le regard, forcément
politique, porté sur le voyage forge les convictions et
ouvre les portes du réel à celui qui sait écouter
avec son coeur l'univers qui l'entoure. |
DIE Welt besuchen, indem man reist,
sollte auch heißen, dass man versucht, die durchquerten
Welten zu verstehen, die soziale Wirklichkeit vor Ort zu begreifen,
wenn nicht gar zu erleben. Es heißt auch, nie zu vergessen,
welche Rolle die Geschichte für die Gegenwart und die Zukunft
von Gesellschaften spielt. Eine solche - unvermeidlich politische
- Art des Reisens festigt nicht nur Überzeugungen. Sie erschließt
auch eine neue Wirklichkeit, jedenfalls den Reisenden, die mit
dem Herzen zu hören verstehen. |
(1) Zygmunt Bauman, Le Coût humain
de la mondialisation, Hachette, coll. « Pluriel »,
Paris, 1999.
(2) Lire Franck Michel, Désirs d'ailleurs. Essai d'anthropologie
des voyages, Armand Colin, coll. « Chemins de traverse
», Paris, 2000, et, sous sa direction, Tourismes,
touristes, sociétés, L'Harmattan, Paris, 1998.
(3) Cf. Le Monde, 10 janvier 1999.
(4) Jean Chesneaux, L'Art du voyage, Bayard, Paris, 1999. |
Fußnoten:
(1) Vgl. Zygmunt Bauman, "Globalization: the human consequences",
Cambridge (Polity) 1998.
(2) Vgl. François Chobeaux, "Les nomades du vide:
des jeunes en errance, de squats en festivals, de gares en lieux
d'accueil", Arles (Actes sud) 1996. |
Par FRANCK MICHEL
Anthropologue et directeur de la revue Histoire et Anthropologie
(18, rue des Orphelins, 67000 Strasbourg) ; auteur de Désirs
d'ailleurs. Essai d'anthropologie des voyages, Armand Colin,
Paris, 2000, et L'Indonésie éclatée mais
libre. De la dictature à la démo cratie, L'Harmattan,
Paris, 2000.
|
Diese Übersetzung von Edgar Peinelt, deren Rechte beim TAZ-Verlag liegen, ist leider an wichtigen Stellen verfälscht und gekürzt, ich möchte also sagen zensiert. Auch hagalil.com hat nur den Archivtext vom 11.8.2000 der deutschen Ausgabe von Le Monde Diplomatique gemirrored.
* EDGAR PEINELT: Anthropologe, Herausgeber der Zeitschrift "Histoire et
Anthropologie" (18, rue des Orphelins, 67 000 Strasbourg);
von ihm erschien zuletzt "Désirs d'ailleurs. Essai
d'anthropologie des voyages", Paris (Armand Colin) 2000
und "L'Indonésie éclatée mais libre.
De la dictature à la démocratie", Paris (L'Harmattan)
2000.
|
LE MONDE DIPLOMATIQUE | AOÛT
2000 | Page 21
www.monde-diplomatique.fr/2000/08/MICHEL/14093.html
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