Cliquez sur >> à droite pour faire disparaître les annonces

10 février 2006

La dope, encore

De Ben Johnson aux sprinters grecs qui s'évanouissent dans la nature, la dope ne manque jamais de faire parler d'elle lors des Jeux olympiques. La différence cette année - jusqu'à ce qu'on attrape le premier tricheur, à tout le moins - c'est que la principale histoire est survenue avant les Jeux.

Cette histoire, c'est celle d'une chicane un peu surréaliste entre le Comité international olympique et un pays hôte, l'Italie, que les grands bonzes de Lausanne trouvaient décidément... trop sévère envers le dopage.

Résumons: la loi italienne prévoit pour les infractions de dopage des sanctions pénales pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. Le Code mondial antidopage se contente de son côté d'une suspension de deux ans pour une première offense.

Ajoutez à ça un ministre de la Santé particulièrement têtu, Francesco Storare, qui tenait mordicus à ce que les autorités italiennes, et non le CIO, soient responsables des contrôles antidopage pendant les Jeux, et vous avez la recette pour une jolie querelle diplomatique avec le CIO.

Le roman-feuilleton a duré des mois. Il s'est conclu il y a tout juste une semaine, quand le gouvernement italien a finalement accepté de laisser au CIO la tâche de tester les athlètes, même si les peines de prison, elles, demeurent théoriquement possibles.

«Il fallait un compromis, parce que lorsque les Jeux ont été accordés à l'Italie, la loi actuelle n'existait pas. L'Italie a obtenu les Jeux en promettant de respecter les règles du CIO», a rappelé hier le président de l'Agence mondiale antidopage (AMA), Dick Pound, qui s'adonne aussi à être un vétéran du CIO.

«Le CIO ne dilue pas son message. Nous sommes plus opposés au dopage que jamais, a-t-il ajouté. Le deal avec les athlètes est le suivant: ne prenez pas de produits dopants, ou alors foutez le camp, on ne veut plus vous voir.»

Mais de là à mettre du monde en cellule, il y a une marge que même Dick Pound refuse de franchir. «Nous ne croyons pas qu'il faille envoyer les coupables en prison. Nous ne souhaitons pas que le système de justice criminel devienne l'arbitre ultime des compétitions sportives.»

Nouveaux tests ?
M. Pound s'exprimait dans le cadre d'une conférence de presse de l'AMA, fort courue malgré l'heure matinale. Il faut dire que le Montréalais donne en général de la bonne copie, contrairement à certains de ses soporifiques (le mot est faible) collègues du CIO.

Il a fait honneur à sa réputation quand on lui a demandé comment il aurait réglé le contentieux avec l'Italie s'il avait été dans les souliers de Jacques Rogge, ne pouvant s'empêcher de lancer une pique à celui qui l'a défait lors de l'élection à la présidence du CIO, en 2001. «J'aurais certainement essayé de résoudre ce problème plus tôt que deux jours avant les Jeux», a-t-il dit, goguenard.

La conférence de presse s'est vite transformée en discours sur l'état de la planète dopage. Dopage génétique (trop tôt pour qu'il soit employé à Turin, mais ça s'en vient), politique antidrogue dans la LNH (laxiste), exemptions pour usage thérapeutique (qui permettent aux asthmatiques réels, mais aussi, parfois, imaginaires, de consommer des médicaments autrement interdits) - tout y est passé.

Sept cas de dopage avaient entaché les Jeux de Salt Lake City, les plus connus étant sans doute ceux des trois fondeurs - l'Espagnol d'origine allemande Johan Muehlegg et les Russes Larissa Lazutina et Olga Danilova - qui avaient fait usage de darbopoïétine. Afin de mieux coincer les tricheurs, le CIO avait gardé secrète l'existence d'un test permettant de dépister cette substance analogue à l'EPO.

Des surprises similaires pourraient survenir à Turin, a laissé entendre M. Pound. «Il y aura de nouveaux tests et des tests améliorés», a-t-il indiqué. Pour quels produits interdits? «Je ne peux pas vous le dire... mais je peux vous conseiller sur des exemptions d'impôt, par contre», a dit en souriant ce spécialiste du droit fiscal.

Bluff ou réalité ? On le saura au cours des deux prochaines semaines. Quelque 1200 contrôles antidopage seront effectués pendant les Jeux, contre 700 à Salt Lake City en 2002. Un peu plus des deux tiers de ces contrôles seront des tests d'urine; le reste, des tests sanguins, une première. Les tests sanguins permettent notamment de déceler la présence d'hormone de croissance et le recours aux transfusions.

En plus du dépistage, le CIO n'hésitera pas à s'en remettre à des délateurs pour identifier les athlètes qui cherchent les clés de la victoire dans la pharmacie, a confirmé M. Pound, reprenant ainsi des déclarations récentes de Jacques Rogge. «Nous utiliserons des sources anonymes s'il le faut. Si elles nous indiquent où fouiller, on peut économiser des centaines de milliers de dollars en recherche. Nous n'avons aucune hésitation à utiliser toutes les méthodes disponibles.»

Big Brother serait-il descendu au village olympique? À quand le jour où un athlète battu à la régulière se vengera en accusant un rival innocent? Ces questions-là demeurent pour l'instant sans réponse. Mais force est de constater que la lutte contre le dopage commence, sur le plan de l'éthique, à s'aventurer sur un terrain pour le moins glissant.


page mise en ligne par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
Consultez notre ENCYCLOPÉDIE sportive