6 avril 2002
À vélo à Cornouailles
Le sud-ouest de l'Angleterre a gardé cette atmosphère pratiquement inaltérée du siècle dernier, ce qui en fait un coin de pays idéal pour le vélo. Au décor de rêve, s'ajoute la gentillesse des Anglais : non seulement sont-ils accueillants, mais ils sont également drôles. À maintes reprises, l'un ou l'autre de notre groupe s'est frotté à leur humour.
Quelques kilomètres après la sortie d'Exeter, point de départ de notre périple, on pénètre dans le Dartmoor National Park, le Far West de l'Angleterre - les Anglais n'échappent pas aux mythes américains. Conan Doyle, dans Le Chien des Baskerville, résume admirablement ce qui s'offre à nos yeux : « Sans cesser de monter, nous franchîmes un pont étroit de pierre et nous longeâmes un petit torrent bruyant qui écumait et mugissait en descendant des rochers gris... à travers une vallée où abondaient chênes rabougris et sapins ... vers un plateau bordé de mousse, de fougères, de ronces.»
Après deux jours passés sur ces terres arides, la campagne anglaise constitue un joyeux intermède, avec ses routes aux allures de pistes cyclables, encadrées par des haies hautes de trois mètres. Puis, autre changement de décor. Nous rejoignons la mer et tombons sous le charme de Fowey, petit port de mer ancré dans le fond d'une baie. Le lendemain, une occasion nous est offerte de mesurer toute l'efficacité british. À la sortie du village, Lucie fait une chute qui nécessite une visite à l'hôpital situé à quelques kilomètres. Une équipe d'urgence est mise sur pied illico: l'infirmière itinérante s'occupe de la blessée, le préposé au courrier transporte le vélo et les bagages... qu'il range à côté des poches de sang. À l'hôpital, le vélo est remisé dans la salle d'examen, les radiographies sont prises en quelques minutes.
Les jours suivants, nous explorons la région des jardins anglais, auxquels s'ajoute un nouveau-né, le Eden Project : deux gigantesques dômes géodésiques comprenant trois biodômes (les tropiques humides, les climats chauds, les grands espaces) construits dans une carrière. Au moment de notre passage, la population était à la fois enchantée par la beauté des lieux et ses retombées économiques et irritée par les embouteillages causés par le million de personnes qui avaient visité le site au cours des quatre premiers mois. Des scènes du vingtième James Bond devraient être tournées sur le site.
Le climat ne cesse d'étonner. Plus l'on s'engouffre vers le sud-ouest, plus la végétation devient luxuriante, au point d'y retrouver plantes grasses et palmiers. Cela s'explique par le climat tempéré et sans gel que l'on y retrouve. Puis, sitôt franchi la pointe des Cornouailles, la côte nord dévoile un paysage végétal et humain aux antipodes: plus un arbre, mais un terrain quadrillé de kilomètres de clôtures de pierres, signe que la terre est aride. Les maisons sont pauvres, parfois abandonnées. On se sent tout à coup ému devant un décor si dépouillé et vulnérable.
Au cours de la deuxième semaine, le paysage est si « découpé » que l'on a parfois la sensation de plonger tête première dans la mer. Par exemple, entre Newquay et Padstow, cinq montées de 14 % nous accueillent à la sortie du lit. Quelques jours plus tard, l'entrée et la sortie de Crackington Haven, agrémentées de montées de 30 %, impressionnent tellement nos vélos qu'ils se cabrent comme des chevaux effarouchés. Pourtant, bien que plus pentues, les côtes ne nous effraient plus comme au début, car la machine est maintenant huilée, le souffle plus posé, le vent arrière notre allié.
Mais notre coup de coeur, nous l'aurons lors d'une marche de 6 km à flanc de falaise sur la South West Coast Path entre Tintagel et Bude. Tout d'abord, Tintagel abrite les ruines d'un château qui aurait vu naître le roi Arthur. Puis, le sentier dévoile des criques, des cavernes, des plages sablonneuses et le joyau d'entre tous, le village de Boscastie, niché entre deux falaises si escarpées que seuls quelques habitations s'y sont déposées il y a de cela une éternité. C'est l'endroit rêvé pour la « pause-foufoune » du voyage, d'autant plus que ce havre - de pêche et de paix - est déserté par les touristes à la tombée de la nuit.
La beauté de la côte s'étend également vers Bude, que l'on découvre le lendemain à vélo. Un arrêt aux High Cliff, les plus hautes falaises d'Angleterre, permet un dernier regard sur ce paysage si dramatique. Puis, la campagne entre Bude et Taunton offre de petits bonheurs tous simples : routes désertes, maisons au toit de chaume, coucher sur une ferme du XVIe siècle, une pinte de stout dans un pub aussi vieux.
Dans la planification de notre itinéraire, nous avions pris soin de prévoir deux jours pour visiter Bath, Stonehenge et Salisbury, tous des 3 étoiles dans le Michelin. La visite de Bath s'impose: les Romains y ont construit des thermes si bien conservés qu'ils sont encore fonctionnels 2000 ans plus tard. L'intérêt pour Stonehenge et Salisbury est d'un autre ordre. Deux d'entre nous lisions le roman Sarum d'Edward Rutherford, qui trace en 900 pages bien serrées l'histoire de la région, tout en insistant sur l'érection de Stonehenge et de la cathédrale de Salisbury, la plus grande d'Angleterre. La lecture du bouquin, de même que le détour, en valait la chandelle.
Finalement, grâce à une histoire et une culture foisonnantes, des paysages se transformant sans cesse et un peuple hospitalier et sociable, le sud-ouest de l'Angleterre aiguise tous les sens du voyageur... Et le vélo y contribue encore davantage !
une page mise en ligne le 6 avril 2002 par SVP