La mort dans la pensée bouddhiste
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Réponse :Qu'est-ce que la mort dans le bouddhisme ? Voici la question à laquelle on peut résumer le propos de votre e-mail.Texte complet de la questionCette question me surprend. On pourrait se dire d'une manière réflexe, mais, la mort, ce n'est pas compliqué, la mort, c'est la mort. Parfois, les choses qui paraissent simples ne le sont pas.
Là encore, avec le temps, on remarque que tous ne réagissent pas de la même façon devant cet évènement. Le vécu de chacun est différent et reste marqué par une formidable subjectivité. Certains peuvent être soulagés de la disparition d'un proche, d'autres seront complètement anéantis. Certains pourront être indifférents, distants, d'autres se réjouiront d'y voir le bon ordre de la loi universelle de la nature qui veut que la mort survienne après une vie longue, riche et bien remplie.
Vous me direz, et ceux qui s'en affectent ? Peut-être que certains donnent à la mort un sens qu'elle n'a pas. Il me semble que dans la mort de proches, certains voient surgir subitement l'horizon de leur propre vie. D'autres, très attachés affectivement à un proche n'acceptent pas cette issue, surtout quand elle survient de façon prématurée ou brutale.
Les représentations culturelles de la mort peuvent bien jouer un rôle. Je n'en suis pas toujours sur. Il est vrai que, à mon avis, l'occident connaît dans ce domaine une réelle pauvreté et que les mythes et les croyances qui ailleurs ont perduré, ont ici été combattues et niées.
Avant de se demander ce que le bouddhisme formule sur la mort, on pourrait examiner ce à quoi il est étranger.
Pour le bouddhisme la mort n'est pas la destruction, la mort n'est pas l'anéantissement. Pour le bouddhisme la mort n'est pas une fin, la mort n'est pas une rupture brutale, la mort ne conduit pas dans un autre monde, il n'y a pas d'au-delà, il n'y a pas de lieux de résidence d'une entité appelée par ailleurs « âme », à laquelle les bouddhistes ne croient pas. Pour le bouddhisme, il n'y a pas cette vision linéaire « naissance - vie - mort », il n'y a pas non plus cette opposition duelle vie/mort. Pour le bouddhisme, il n'y a pas de spéculation possible sur la mort, sur l'après mort, sur les mondes des morts, etc Pour le bouddhisme ces spéculations sont inutiles et néfastes, surtout si elles contribuent à accentuer encore l'angoisse et les appréhensions.
Pour le bouddhisme, la mort est une extinction pure et simple, une désagrégation des agrégats constitutifs, chaque élément étant susceptible de s'agréger autrement, sous d'autres formes et selon d'autres combinaisons.
Dans les sociétés occidentales, à part quelques courants de pensée qui en font leur monopole, on observe que la mort est soigneusement écartée, mise à part, repoussée jusqu'à l'extrême, cachée. Cet effacement de la mort s'attaque aujourd'hui à la vieillesse. A la fois les personnes âgées ne partagent plus le quotidien des familles, elles sont de plus en plus isolées et elles sont même regroupées dans des institutions d'où elles ne sortent plus. Elles sont effacées de la société dans un autre monde. La vieillesse est, elle aussi, niée, au-delà du culte de la jeunesse, qui se traduit même chez certains jeunes par une véritable haine des vieux (pour ceux-là, vers 50 ans on est vieux ), on ne compte plus les procédés naturels ou chimiques qui luttent contre le vieillissement (DHEA, molécules miracles, injections diverses etc ). L'occident s'enfonce joyeusement dans une négation de plus en plus absurde du vieillissement et de la mort.
Ces modèles, où soit la mort est l'apanage d'un certain type de courant, soit la mort finalement n'existe pas, n'est pas présente, sinon à la marge, sont certainement également de nature à susciter de l'angoisse ou de l'inquiétude quand la réalité de la mort se présente, comme elle doit se présenter inévitablement.
Pour paraphraser un grand penseur, les bouddhistes ont à l'esprit que ce n'est pas la mort qui est irrémédiable, même si elle est inévitable, non, c'est la naissance. Une fois que la naissance est advenue, il n'est plus possible de revenir en arrière. Ce renversement, traduit une nouvelle fois le renversement d'un ordre des choses, qui n'est tout simplement pas le même.
Les bouddhistes ne détournent pas leur regard du vieillissement ou de la mort. Les bouddhistes sont amenés à constater tous les jours l'apparition, le développement, le déclin et la disparition de tous les phénomènes qui nous entourent ou qui nous fabriquent. J'ai faim, j'ai soif, je mange, je bois je regarde le pommier dont les boutons éclatent au printemps, même pendant l'hiver, les sapins ont gagné en taille et en vivacité, les chrysanthèmes après avoir fleuri à l'automne et gelé en hiver, les chrysanthèmes se couvrent de petites pousses vertes, prêtes à éclore, tous les jours, le grand ficus de mon salon perd des feuilles qui font comme des gouttes jaunes sur mon tapis, mais en même temps des dizaines de jeunes feuilles émergent aux pointes de toutes les branches , etc
Voilà, finalement ce que nous voyons au quotidiens, de nos envies, de nos besoins, de nos désirs, de notre environnement, de l'univers la naissance, le développement, la croissance, la décroissance, la mort
Qu'y a-t-il en fait de bien différent d'avec ce que vous voyez à l'hôpital ? Bien sur, la concentration de situations peut laisser à penser que la mort triomphe, mais cela aussi est une illusion. En fait, il n'en est rien.
La mort en tant que telle, est l'un des outils favoris des bonzes pour bien prendre conscience de la vacuité de toute chose. Quand j'étais à Chaya, dans le sud de la Thaïlande, dans un temple où je séjournai, j'avais bien remarqué à mon arrivée un symbole très explicite de la mort, que je trouvais un peu brutal. Le lendemain, le bonze chargé de m'accueillir me montrait avec insistance le squelette que trônait sur le tympan du temple voisin. J'avais trouvé ça assez amusant, d'autant que ça me rappelait ma classe de science naturelle.
Pour le bouddhisme, la mort est vraiment la réalité centrale, évidente qui s'oppose à la théorie de l'ego tout puissant. Les bouddhistes considèrent toujours l'ego avec une grande suspicion. Pour les bouddhistes, même si la fonction de l'ego dans la construction psychologique du sujet est une évidence qui ne doit pas être remise en cause, la manifestation tyrannique de l'ego est un leurre, une tromperie, une illusion, un danger. Car, pour les bouddhistes, non seulement, il n'y a rien derrière l'ego, rien que l'on puisse cerner, rien que l'on puisse saisir, rien que l'on puisse attraper, mais aussi, rien ne dure, rien ne perdure, rien ne demeure, aussi si tant est qu'il ait du tangible derrière l'ego, il est soumis à la loi du changement propre à tous les agrégats, à toutes les constructions mentales ou phytosociologie, il change, se transforme, mute, évolue, se fixe d'autre objets d'attachement, en abandonne ou en rejette d'autres etc.
Loin de se détourner de la mort, ou de la mettre dans des perspectives qui tiennent plus à la dogmatique de certains courants, les bouddhistes regardent la mort.
En fait, historiquement, c'est le bouddha lui-même, qui observant simplement, les altérations apportées aux corps, aux pensées, aux sentiments par ces transformations fondamentales que sont la vieillesse et la maladie, aboutissant l'une et l'autre à la mort, qui désigne la place essentielle de ces observations dans la philosophie bouddhiste. C'est au cours de ses fameuses sorties du palais, qui ont inspiré tant d'artistes de part toute l'Asie (je pense à ces grandes fresques sculptées de Borobudur, où ces quatre sorties sont illustrées ), que le bouddha remarque d'abord un homme couché par la maladie, incapable de se redresser et suscitant l'affliction de ses proches, ensuite il remarque un homme plié par la vieillesse, se mouvant difficilement, affaibli par l'âge est incapable de subvenir à ses besoins, enfin il voit un corps allongé sans vie réalisant le caractère éphémère et transitoire de la vie.
Dans le bouddhisme, cette observation de la réalité des lois naturelles est strictement préservée et développée.
Il existe plusieurs exercices de méditation qui sont consacré à cette observation simple et claire. Il existe la fameuse observation des 32 catégories du corps. Il existe la non moins fameuse médiation intitulée « contemplation du champ des morts ~ Sîvatikâ », qui fait partie du Satipatthâna Sutta (extrait du Majjhima nikaya, n° 10).
J'espère avoir répondu à cette question sur la place de la mort dans la pensée bouddhiste.
Vous pouvez également consulter la réponse à la question 79, Le bouddhisme et la mort
J'ai 20 ans, je suis étudiant en médecine et chaque jour je vois des morts, ce qui m'a forcément poussé à m interroger. Je pense avoir été rapidement mature au sujet de la vie, de l'inutilité des attachements matériels etc...
Pourtant un jour, un ami m'a dit: "moi je pense qu'après la mort il n y rien" et cela m a profondément troublé. Je vis depuis mes journées dans une angoisse perpétuelle de la mort, car j aime la vie, les sensations, la pensée etc... et le fait de penser qu'un jour je ne ressentirai ni même ne penserai plus à rien, me fait peur.
Je ne sais pas de quoi j'ai besoin afin de ne plus avoir peur, mais je sens que si je n'entreprend pas une démarche, je vivrai dans la peur. (J'ai trouvé votre site totalement par hasard dans une période ou je suis prêt à tout pour ne plus avoir peur de la mort..).
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