Dieu est un sale enculé. C'était écrit en grosses lettres sur le tableau de la classe. La prof est entrée, à vu l'inscription et l'a aussitôt effacée avec l'éponge. Elle a rien compris. Elle n'a pas compris que si on écrit un truc comme Dieu est un sale enculé c'est qu'on est désespéré, qu'on est à bout. J'entends dire qu'on est des privilégiés, qu'on a pas connu la guerre comme nos grand-parents etc. Peut-être. Okay. N'empêche qu'on morfle d'une autre manière. Parce que contrairement à nos grand-parents nous on a pas d'espoir en l'avenir. On ne souhaite pas qu'une guerre s'achève. On ne souhaite pas avoir autre chose qu'une orange à Noël et on ne souhaite pas manger autrement qu'avec des tickets de rationnement. Nous on a à bouffer tant qu'on veut et on a du fric à Noël et on a notre propre chambre avec notre propre téléviseur à écran plat et coins carrés. Aux yeux de nos grand-parents on a tout pour être heureux. Alors pourquoi on passe notre temps à voir des films où les cadavres tombent comme des mouches et pourquoi on n'écoute que des groupes qui gueulent que la vie est pourrie. Moi j'ai mon opinion là-dessus. Moi je pense qu'on est maudis. C'est quand-même pas un hasard si on n'arrive pas à être libre. Tenez, prenez le sexe par exemple. C'est un exemple important ça le sexe. Eh bien à peine avions-nous la pilule pour ne plus se prendre la tête qu'arrive le Sida. C'est quand-même pas bizarre ça? A quelques petites années d'écart! Ca aurait pu se produire n'importe quand durant les siècles de notre histoire mais non, il a fallut que ça nous tombe sur le coin de la gueule juste après qu'on ait cru pouvoir être peinards côté cul! Le résultat, c'est qu'on en veut au monde entier et plus particulièrement à ceux qui ont eu le culot de nous mettre au monde. Parce que nous on est pas la génération génuflexion. Nous on tendra pas l'autre joue pour éviter que ça se complique. Nous on fera pas comme nos vieux à prier pour un monde meilleur parce que le monde meilleur dont on nous parle il ne nous fait pas envie. On s'en branle grave de cette connerie de fantasme pour ramolli du bulbe! Nous on est des putains de rats de luxe qui ont la rage et se la refile à gogo! Nous on est la génération des rats! C'est pas un hasard si y'a autant de suicides dans les banlieues friquées que dans les quartiers pourris. C'est pas un problème d'argent, d'études ou de décapotables. Moi par exemple, je suis pas haineux, je suis écœuré. C'est très différent. Je ne suis pas en colère, je suis dégoûté. J'en ai rien à foutre de rien parce que j'estime que rien ne mérite qu'on se lève le matin ou qu'on se batte. Moi j'en ai rien à foutre du chômage ou du racisme ou des gosses qui crèvent de faim à l'autre bout de la planète. Eux au moins ils crèveront vite et ils n'auront pas à en chier trop longtemps alors que nous avec nos petits problèmes à la con de tout les jours, c'est quotidiennement qu'on en bave. L'autre fois, je ne me souviens même plus pourquoi, mon crétin de père m'a dit un truc du genre : "Vous n'êtes que des p'tits cons trop gâtés pour apprécier la vie! Vous êtes des gros légumes incapables de fournir le moindre effort pour obtenir quoi que ce soit! Vous êtes des putains de trouillards! Vous avez peur de tout!" Des fois, il me lance à la gueule que lui il s'est battu pour en arriver là où il est, pour obtenir ce qu'il a aujourd'hui. Mais putain qu'est-ce qu'il a obtenu de si génial ce con? Une maison? Une bagnole? Un job? Une femme et un fils même pas reconnaissant? Magnifique! Moi je m'excuse mais je ne rêve pas d'avoir une maison et je ne rêve pas d'avoir une bagnole ou une femme et certainement pas d'avoir un fils pour me faire chier! Moi je rêve d'être seul et qu'on me foute la paix, sauf que ça c'est pas possible. J'ai même pas envie de me suicider vu que l'idée de me foutre une balle entre les deux yeux me fait autant chier que celle de me lever tous les matins. Les mecs qui veulent se suicider, ils feraient mieux de ne pas trop se plaindre vu qu'eux au moins ils veulent quelque chose! Moi j'avais une petite amie, mais elle s'est suicidée. Il y a trois mois. Elle est rentrée chez elle, elle a dîner avec ses parents, elle a regardée la télé et elle est allée dans sa chambre, elle a avalée deux pleines boites de Lexomil et elle s'est allongée sur son lit. Ses parents ne se sont rendu compte qu'elle était morte que le lendemain soir. Ce n'est que le lendemain soir qu'ils ont décidés d'entrer dans sa chambre pour voir si elle y était. Bien sûr qu'elle y était. Elle ne risquait pas d'avoir prit la fuite. Autrefois, les ados faisaient des fugues, aujourd'hui ils se mettent une balle dans la tête. Aujourd'hui, on fume à douze ans, on se drogue à quatorze, on fait sa première overdose à seize, on décroche à dix-huit et on s'enfile des tranquillisants et des antidépresseurs comme des Smarties à vingt-cinq. Alors mon père il peut bien postillonner ce qu'il veut, qu'on a peur et que lui il est pété de courage, je sais bien qu'il est largué et qu'il n'y comprend rien et qu'à la limite c'est pas de sa faute. Dieu est un sale enculé. C'était écrit en grosses lettres sur le tableau de la classe. Ouais, sauf que de Dieu, je ne crois pas qu'il y en ait. |
![]() |