Je lui ai serré la main et il est mort. Je suis arrivé, je lui ai dit "salut! ça va?", je lui ai gentiment serré la main, et il est mort. Comme ça. Il est tombé d'un coup et il ne respirait plus. Il était vautré par terre n'importe comment, le regard étrangement figé. En gros, il était mort. David est arrivé dans le couloir et il a vu Julien par terre alors il m'a demandé ce qui c'était passé et comme j'allais lui répondre, par politesse, je lui ai tendu la main qu'il a serrée, machinalement, et il est mort. Lui aussi. Tombé par terre n'importe comment. A moitié de travers, un bras tendu sous ses fesses, un genou replié vers la gauche et la tête tirée en arrière avec la bouche entrouverte. "Vacherie!" J'ai pensé en me retrouvant debout dans le couloir du quatrième étage de l'agence entre deux cadavres de collègues. Moi qui voulait arriver le plus discrètement possible vu qu'il était dix heures passées et que j'étais donc en retard au boulot et qu'il était inutile que ça se sache trop, c'était raté!

J'allais appeler de l'aide mais Julie qui passait par là par hasard s'est arrêtée net et toute paniquée m'a demandé ce qui se passait bon sang. "Ils sont morts." J'ai répondu tout paniqué moi aussi et ajoutant qu'il fallait vite qu'elle appelle le SAMU ou les pompiers ou un truc dans le genre. Elle a fait "Bouge pas!" et s'est précipitée vers un téléphone. Moi je suis resté là, entre David et Julien, morts.

Cinq minutes plus tard il y a une vingtaine de personnes formaient un cercle autour de nous. Ils discutaient entre eux tout excités en disant que "c'est complètement dingue!" et "totalement incroyable de voir ça!", "deux morts subites en deux minutes et au même endroit!" 

Encore cinq minutes plus tard et ce sont les policiers qui arrivent en compagnie d'une équipe du SAMU. Ils courent dans le couloir et se bousculent. Ca ressemble un peu à une course de lièvres, mais en plus bordélique. "Touchez à  rien!" hurlent les types du SAMU. "Que personne ne sorte!" s'époumonent les policiers. "Il était là quand c'est arrivé!" s'exclament Julie et ses collègues manucurées en me pointant du doigt. Je les fixe un peu surpris. Julie me lance un regard désolé.
- Bonjour monsieur! Me dit un policier alors que les types du SAMU tripotent les corps de David et Julien.
- Bonjour. Je réponds en souriant poliment.
- Vous étiez donc là quand c'est arrivé?
- Heu, oui oui.
- Parfait! Vous allez donc pouvoir m'expliquer ce qui s'est réellement passé n'est-ce pas?
- Ce qui c'est réellement passé? Oh ben c'est très simple.
- Hou là! Ne commencez pas à essayer de m'avoir hein! Moi ça fait vingt trois ans que je fais mon métier! Alors les types qui me disent que c'est très simple je sais les mater! Vous avez compris? N'essayez pas d'avoir le dessus ou de jouer au plus malin avec moi parce que ça se retournera contre vous tôt ou tard! C'est clair?
- Oui.
- Parfait! Alors vous allez me suivre au poste et vous allez me dire ce qui c'est réellement passé.

Nous arrivons au poste de police quelques minutes plus tard. Il me dit de m'asseoir sur une petite chaise en bois pas confortable du tout. Un autre policier me propose un café que j'accepte en le remerciant, mais l'autre s'énerve et dit qu'il n'y a pour l'instant aucune raison qu'on m'offre un café étant donné que je n'ai encore rien révélé de ce qui c'est réellement passé. Alors l'autre policier hausse mollement les épaules et disparaît. Je remarque qu'il y a un courant d'air qui passe juste là où je suis assis et je me demande si c'est fait exprès.
- Y'a un courant d'air. Je fait poliment remarquer.
- Ouais... Et y'a deux cadavres auxquels j'aimerais bien savoir ce qui est réellement arrivé!
- Bien sûr.
- Parfait! Alors allez-y! Dites-moi tout et nous serons amis!
- D'accord.
- Parfait! Je vous écoute!
- Eh bien voilà, ce matin je suis arrivé en peu en retard mais c'était pas de ma faute parce que c'est le bus que j'ai attendu vingt minutes parce qu'il y avait eut un accident sur son parcours nous a expliqué le chauffeur...
- Vous vous foutez de moi là?
- Pardon?
- Je dis : vous vous foutez de moi là? Qu'est-ce que ça peut bien me faire que votre bus à la con ai eut vingt minutes de retard? Qu'est-ce que ça a à voir avec les deux cadavres qui nous intéressent dans cette affaire qui, permettez-moi de vous le dire au passage, ne me semble pas très claire!
- C'est à cause du bus en retard que je suis moi-même arrivé en retard à l'agence et que j'ai croisé David à mon arrivée.
- Tien tiens! Dans ce cas soyez plus précis je vous pris! Donc vous arrivez en retard et vous croisez David, David étant la première victime.
- Si on veux, oui.
- C'est pas si on veut! Il est mort nom de Dieu! Ayez un peu de respect au moins! Je vous conseille vivement de changer de ton parce que sinon ça va mal se passer hein!
- D'accord...
- Parfait!
- Donc j'ai vu David et je lui ai dit bonjour et lui aussi m'a dit bonjour et on s'est serré la main et alors il m'a fait des gros yeux ronds et il est tombé par terre, mort.
- Comme ça?
- Comment comme ça?
- Comme ça, je veux dire, c'est tout?
- Oui.
- Bon bon bon.... Eh bien nous allons devoir attendre le rapport du médecin légiste. Et pour l'autre?
- Julien?
- L'autre cadavre!
- Exactement pareil. Je lui ai dit bonjour et il est tombé par terre, mort.
- Comme l'autre?
- David?
- L'autre cadavre!
- Heu, oui oui.
- Alors celle-là elle est extraordinaire! Vous voulez me faire croire que deux personnes sont mortes quasiment dans vos bras, pratiquement dans la même minute et tout cela sans aucune raison apparente?
- Oh moi je ne veux rien vous faire croire.
- Bien sûr! Bien sûr...
Il n'avait pas l'air très satisfait de mes explications pourtant absolument fidèles aux faits.
- Eh bien vous m'en voyez navré mais je ne crois pas un seul mot de ce que vous venez de me raconter... Vous essayez de me faire avaler une putain de couleuvre mon ami! Or je ne suis pas tombé de la dernière pluie!

J'ai passé la nuit en cellule et comme je n'arrivais pas à dormir j'ai lu des vieux Télé 7 Jours parce que c'était la seule chose qu'il y avait à lire. Pour le dîner, on m'a donné un menu Mc Deluxe mais le hamburger était froid et les frites étaient molles et froides aussi alors c'était pas le pied. N'empêche que j'ai quand même tout avalé parce que cette sale journée m'avait creusé l'estomac. Vers huit heures le lendemain matin, un homme en costume avec une cravate est entré dans ma cellule et s'est présenté comme mon avocat. Je me suis levé et lui ai serré la main en lui disant que je ne voyais pas pourquoi j'aurais besoin d'un avocat puisque je n'avais strictement rien fait et il allait me répondre quand il m'a fait de gros yeux ronds avant de s'effondrer par terre, mort. "Ah non! Ca suffit maintenant!" J'ai crié, désemparé. Des gardiens sont venus voir qui se permettait de gueuler de la sorte et se sont mis à hurler en voyant le corps de l'avocat par terre.
- Oh putain mate ça Fred! Cet enfoiré a remis ça!
- Mets-toi contre le mur! Allez! Contre le mur et plus vite que ça enfoiré de fils de pute!
Je me suis vite mis contre le mur comme ils voulaient mais ça ne les a pas empêchés de me balancer un grand coup de matraque dans le bas du dos si bien que je me suis plié en deux en suffoquant. Et là, je ne sais vraiment pas ce qui leur a pris mais ils se sont mis à me taper dessus comme des enragés. La douleur était insupportable et comme j'avais peur d'y rester, ne sachant pas quoi faire, je leur ai serré la main à tous les deux. Ils se sont alors figés avec de grands yeux stupides puis se sont affalés l'un contre l'autre, raides morts. J'étais mal. Mais il me fallait surtout foutre le camp d'ici au plus vite alors c'est ce que j'ai fait. Sur ma route jusqu'à la sortie du poste de police, plusieurs agents ont tenté de m'arrêter, mais je leur serrais aussitôt la main et ils s'écroulaient instantanément par terre. C'était dingue! Une partie de moi cherchait à fuir et l'autre à comprendre ce qui m'arrivait.

Je suis entré dans mon appartement comme une furie, le souffle court, complètement vidé. Je me suis assis sur le canapé du salon et j'ai tenté de trouver ce qui avait bien pu se passer. M'étais-je lavé les mains avec un savon maléfique? Quelqu'un m'avait-il doté d'un sinistre pouvoir? Avais-je une quelconque maladie transmissible par une simple poignée de main? C'était vraiment une histoire de fous! Je me suis serré la main gauche avec la main droite pour voir s'il allait se passer quelque chose, mais rien se produisit. C'était à n'y rien comprendre. J'allais fondre en larmes quand on a frappé à la porte.
- Ouvrez! Nous savons que vous êtes ici! Ouvrez ou nous allons enfoncer la porte!
Il ne manquait plus que ça! Alors là pour sûr j'étais bon pour aller direct en prison! J'avais déjà tué une dizaine de personnes dont des membres des forces de l'ordre! Et tout ça en même pas vingt-quatre heures! C'était vraiment pas de veine! Quoi qu'il en soit j'étais coincé. Je n'avais pas le choix, il me fallait aller ouvrir la porte et laisser entrer une horde de policiers enragés prêts à saisir la moindre occasion de venger leur collègues en vidant leur chargeur sur moi. J'allais me lever mais la porte vola en éclats et ils firent irruption dans mon salon en hurlant. Ils portaient des casques et des combinaisons spéciales. En fait on aurait plutôt dit le GIGN.
- Mets tes mains dans tes poches! Cria l'un d'eux.
- Tes mains dans tes poches! Répéta un autre.
J'ai mis mes mains dans mes poches et me suis aussitôt pris un grand coup de crosse de fusil mitrailleur dans les dents.

Quand je me suis réveillé j'étais de nouveau en cellule, mais celle-ci était différente de l'autre parce qu'il n'y avait pas de barreaux mais une immense vitre probablement blindée avec une petite ouverture ne permettant de faire passer que de petites choses comme des petits plateaux repas. Un type en costume cravate est arrivé et s'est assis sur une chaise qui était posée de l'autre côté de la vitre.
- Vous êtes mon avocat? J'ai demandé.
Alors il a éclaté de rire. Un rire énorme et terrifiant qui semblait ne jamais devoir s'achever. 
- Ha! Ha! Oh que non je ne suis pas votre avocat! Certainement pas vu ce qui est arrivé au dernier! Non, moi je suis juste venu voir si vous alliez bien. Comprenez, je dois faire un rapport afin qu'on ai pas de problème.
- Mais qu'est-ce qui va se passer?
- Pardon?
- Je veux dire, qu'est-ce qui va m'arriver?
- Oh mais rien du tout! C'est fini tout ça mon ami! Il ne va plus rien vous arriver du tout du tout! Vous allez rester bien tranquille ici jusqu'à votre mort. Bien au chaud et bien en sécurité, comme ça, vous n'aurez plus jamais peur de faire des bêtises.
- Mais enfin! Je n'ai que vingt-huit ans!
- Mais justement! Allons! Songez donc un peu à toutes les merveilleuses choses que vous allez pouvoir faire ici! Vous allez pouvoir faire des dessins! Ecrire un livre!
- Mais enfin je veux sortir d'ici! Je n'ai rien fait!
- Ha! Ha! Vous dites ça aujourd'hui, mais je suis sûr que si je repasse vous voir dans vingt ou trente ans, vous serrez mort de trouille à l'idée de quitter cette cellule.