Au coeur d'une crise d'adolescence apocalyptique pour moi et mon entourage,
j'ai vu poindre au loin l'instant pénible où je serais asphyxié par ma propre colère,
sombrant alors épuisé dans l'apathie absolue. Un programme qui ne m'emballait
que très moyennement, avouons-le, après m'être explosé les tympans
au heavy-metal et avoir testé la résistance des murs avec ma tête.

Je ne lisais rien, jamais, excepté Hard-Rock Magazine et Télé 7 Jours (mais
j'imagine que ça ne compte pas!). Jusqu'au jour où j'ai acheté La Métamorphose
de Kafka que j'ai lu d'une traite (c'était pas trop dur) en pleine nuit. Tout y était : la
souffrance, l'incompréhension, la solitude et en même temps, le combat. Plus
tard, je découvrais Antonin Artaud dont je dévorais l'oeuvre complète durant les
cours d'Histoire, puis ce fut l'escalade. "Demande à la poussière" de John Fante,
"Le Démon" de Selby, les oeuvres de Lacenaire, Lautréamont, Bataille et
d'autres... Je lisais avec une certaine incrédulité, ces individus souffraient comme
moi, mais parvenaient à faire de leurs plaies un moteur, à créer quelque chose.

Le problème n'était même pas de savoir si je serais capable d'écrire correctement.
J'ai écris n'importe quoi des nuits durant, avec rage et soulagement. Des textes
illisibles mais salvateurs qui m'aidaient très concrètement à mieux vivre.
Tout d'un coup, je faisais quelque chose. J'allais écrire comme on va vomir quand
on a mal au ventre. Parce qu'il n'est littéralement plus possible de garder ça en soi.
La métaphore n'est pas des plus ragoûtantes, mais elle me semble la plus juste.
Au fil du temps, les textes sont devenus plus structurés, moins orientés sur moi-
même... et plus lisibles aussi.
Un jour, j'ai acheté un journal littéraire nommé La Porte. Dedans il y avait une
nouvelle inédite d'Hervé Guibert et une interview de Sollers. Par ailleurs, ils
publiaient les deux ou trois meilleurs textes envoyés par des lecteurs. Je décidais
de leur envoyer quelque chose. A cette époque, j'écrivais surtout des poèmes
et je postais l'un d'eux qui en réalité n'était qu'une seule et unique phrase :
"Ne me parlez plus de cet oiseau ivre de rage qui se laissa tomber du ciel."

C'était un peu ridicule d'envoyer une seule phrase. Je n'espérais pas grand chose.
J'étais déjà fier de penser que quelqu'un d'étranger allait passer quelques instants
à lire ce truc. Sauf que lorsque le numéro suivant de La Porte est paru, j'ai découvers
avec stupéfaction, et c'est un doux euphémisme, qu'ils avaient publié ma phrase
en énormes caractères gras sur un quart de page.

Je crois que c'est très exactement à ce moment que je me suis dit que l'écriture
allait être ma bouée de sauvetage. Je ne me suis plus jamais arrêté.

J'ai depuis publié des textes, articles et poèmes dans diverses revues dont
Digraphe (Gallimard). Un jour, Jean Ristat, le directeur de cette revue, m'a expliqué
que je ne pouvais continuer à écrire pour moi-même, dans le seul but de me
soulager, qu'il me fallait également souhaiter partager, être lu par d'autres,
créer le cordon, que si je n'y parvenais pas, cette arme se retournerait tôt ou tard
contre moi. Il avait raison, bien sûr.  

-15/02/ 2000-