Je termine mon verre. Laura dans la baignoire. Nue. Logique. La baignoire est blanche, encerclée de moquette beige très épaisse, façon grosse peluche. On a du en tuer des peluches, pour aboutir à cette superficie de moquette, je pense en souriant sans conviction. Je me resserre. Cheveux très noirs tirés en arrière, mousse onctueuse recouvrant presque ses seins.
Elle respire. Je veux dire profondément. A moins qu'il ne s'agisse de soupirs successifs. Peu importe. Nous sommes au Quiet Nights Hotel, troisième étage porte droite en sortant de l'ascenseur. Il doit être dix-neuf heures. Ou s'il n'est pas dix-neuf heures, c'est sûrement quelque chose dans ce genre. Je me resserre.
Laura frotte son visage avec le gant de toilette. Avec des gestes lents et délicats. On dirait qu'elle va exécuter un tour de magie quelconque et qu'à l'instant précis où elle retirera sa main quelque chose d'incroyable se sera produit. Plus de nez. Plus de bouche. Deux nez. Un troisième œil, sur le front. Je me resserre. Mais non, le gant retourne sous l'eau mousseuse et découvre son visage inchangé, après quoi elle ouvre ses grands yeux noirs en même temps que sa bouche.
"Il me faudrait une coupe de champagne et ce serait parfait."
"Mais non." Je réponds en cherchant mon paquet de cigarette qui n'est pas dans la poche droite de ma veste, ni dans la gauche, encore moins dans les poches intérieures et pas davantage dans ma putain de sacoche.
"Oui… C'est cela… Une grande coupe de champagne et ce serait absolument parfait."
"Mais non." Je répète. Un peu plus sèchement que la première fois, dans la mesure où ces chiennes de clopes restent introuvables et que ce qui n'était d'abord qu'un réflexe mou est présentement entrain de se muer en une obsession vorace et douloureuse. Je tente de garder mon calme. Et je me resserre un verre.
"Ma bonne grosse queue dans le fond de ta gorge et ce serait parfait."
"Pardon?"
"Ma bonne grosse queue bien dure dans le fond de ta gorge et une putain de saloperie de cigarette entre mes lèvres à moi." Je marmonne en fronçant les sourcils, les mains posées sur les hanches en position absolue d'extrême méditation.
Va falloir appeler la réception et réclamer des cigarettes que ces enfoirés se feront une joie de nous faire payer quatre fois leur prix et je ne parle même pas de ce sourire sinueux parfaitement insolent qu'aura ce con pour me faire comprendre qu'il attend sa saleté de pourboire.
"Tu peux toujours courir putain d'enculé d'illettré!" Je siffle rageur entre mes dents.
"De quoi tu parles?"
"Rien. Laisse tomber va."
"Merci, c'est agréable."
"Je retrouve pas mes clopes. Voilà."
"Tu veux dire que tu NE retrouves pas tes cigarettes."
"Que je dise je ne retrouve pas mes cigarettes ou je retrouve pas mes clopes, le constat reste le même! A moins que tu ne sois suffisamment conne pour penser qu'elles se planquent parce que je parle mal!"
Je décroche le téléphone.
"La réception bonsoir."
"Vous avez quoi comme CIGARETTES?" J'articule bien fort en foudroyant Laura qui hausse les sourcils.
"Marlboro, Marlboro Light, Marlboro Menthol."
"Ma parole c'est le Marlboro Motel ici ou quoi? Pas de Camel?"
"Non monsieur."
"Ni de Pall Mall?"
"Non monsieur, désolé."
"Ouais, super. Marlboro Menthol… Je rêve… Je parie que vous avez des Marlboro chocolat-vanille. Des Marlboro Citron."
"Ca n'existe pas."
"Et alors? Putain! Je suis sûr que si ça existait vous en auriez! Voilà le problème!"
"Vous désirez qu'on vous monte des Marlboro Classic?"
"C'est ça connasse, fous toi bien de ma gueule! Ma parole, je vais descendre m'occuper de toi et de tes Marlboro Cassis, tu vas voir."
Elle s'apprête à répondre mais je lui raccroche au nez et me retourne vers Laura qui sort de la baignoire et entreprend de se sécher. Je la chope par derrière, lui arrache sa serviette et la baise aussi sec. Elle commence par rechigner mais se déhanche rapidement comme une furie en poussant des petits râles impeccables. Je lui maintien la nuque tendue, ses cheveux dans le creux de ma main. Elle tend le bras et me caresse les couilles du bout des ongles qu'elle a très longs. J'éjacule en elle sans aucune délicatesse et me retire en soupirant. Je me ferai pardonner la prochaine fois.
"Tu veux qu'on sorte acheter des cigarettes?" Elle propose gentiment.
"On n'a qu'à faire ça."
Elle s'habille en vitesse. Chemisier gris. Jupe et veste noires. Bas couture. Hauts talons. Elle aime s'habiller chic, j'aime qu'elle s'habille sexy. Le compromis réussi.
On quitte la chambre. On attends l'ascenseur. Il arrive. Les portes s'ouvrent. Un type est là. Poil crânien en perdition, lunettes aux branches si épaisses qu'on jurerai des Versace pour gonzesse, cravate jaune poussin avec un troupeau de Winnie L'Ourson imprimé, sans oublier les chaussures, des trucs en vernis à lacets extra-fins.
Nous pénétrons dans l'ascenseur avec lui. "Je descends." Dit-il en souriant. Je l'observe, vaguement fasciné. Laura le remarque et me donne un petit coup de coude. Je désigne la cravate.
"Ils font la même avec Bernard et Bianca?"
"Pardon?"
"Votre cravate. C'est un modèle unique Winnie L'Ourson?"
"Heu, non non…" Il bafouille très gêné.
"On trouve la même avec Dumbo l'éléphant?"
"Je ne sais pas. Je n'ai pas fait attention."
Je hoche la tête, très pensif. Les portes s'ouvrent et il prend la fuite. Laura glousse discrètement et je hausse les épaules.
On passe devant la réception et je fusille du regard la petite blonde qui s'y tient. Dehors il fait doux. La nuit tombe, ou plutôt, s'affale lentement sur les toits. On marche un peu, on trouve un tabac et j'achète des clopes. On prends les petites rues touristiques pleines de couples qui traînent tout content avec des petits sac tout plein d'objets ridicules.
Laura a faim. On regarde les menus de plusieurs restaurants très mignons, mais rien ne nous tente alors on cherche encore et finalement on pénètre dans un chinois à la con. Il y a du monde. Un petit homme nous trouve une table contre la vitre donnant sur la rue.
"Vous comptez nous mettre en vente?" Je demande.
"Qu'est-ce qu'il y a?" Il s'étonne en souriant bêtement.
"Je ne tiens pas à bouffer dans ta vitrine."
"Un endroit plus tranquille…" Suggère poliment Laura.
"Oh! Oui! Oui! Bien sûr!" Il répond un peu trop énergiquement, trahissant son profond agacement.
"Je fume." Je précise, me retenant in-extremis d'ajouter "et j't'emmerde."
On finit par s'installer. Je commande à boire. Laura fait la moue.
"Quoi?" Je soupire.
"Rien."
"C'est ça." J'ajoute exaspéré.
"Tu sais très bien."
"Ca me détend."
"Tu trouves?" Avec un sourire bien cynique comme seules les femmes savent les faire. Les hommes le tente souvent mais n'y arrivent jamais, n'obtenant qu'une étrange déclinaison de grimace.
On nous apporte les plats. Je rappelle aussitôt le serveur.
"Oui monsieur?"
"C'est quoi ça?" Je m'exclame en brandissant les baguettes sous son pif.
"Je vous demande pardon?"
"Tu te fous de ma gueule? C'est bon pour jouer de la batterie ces conneries! J'envisage pas de touiller mes lamelles de porc toute la nuit! Y'a un putain de supplément pour les couverts NORMAUX?"
"Je vous apporte ça tout suite!" Il répond tout sourire en s'éclipsant.
Ca se retourne aux tables voisines. Laura est morte de honte. Je balance les baguettes en l'air et elle atterrissent sur une table voisine. Une vieille se retourne outrée mais croise mon regard de maniaque surexcité et abdique aussitôt.
"C'est ça mamie, profil bas, putain… profil bas." Je marmonne.
"Tu es méprisable." Dit froidement Laura sans même me regarder.
"Et toi tu es… périssable."
Elle me fixe stupéfaite. Le serveur revient avec couteau et fourchettes.
"Navré de vous avoir dérangé!" J'articule poliment. "Quelle idée de venir ici et souhaiter manger décemment…"
Le type repart bien zen comme s'il n'avait rien entendu, ou rien compris.
"Qu'est-ce que t'attends?"
"Quoi?"
"Qu'est-ce que t'attends pour le traiter de niakoué?"
"Tu es sur les nerfs mon amour?"
"Pauvre con."
"Ma parole, t'as oublié de te fourrer tes boules tranquillisantes entre les cuisses?"
Franchement, je n'ai pas vu venir la gifle. Ce serait mentir que de prétendre le contraire. C'est en partie pour cela que l'impact m'a fait tomber de ma chaise. Il faut reconnaître par ailleurs que mon équilibre était pour le moins précaire, l'alcool aidant.
Je me suis donc retrouvé par terre comme un gland, ma connasse de fourchette à la main, avec une lamelle de porc empalée dessus.
Laura s'est levée d'un bond, très élégante dans sa colère froide. Elle a pris son sac et a traversé la salle très digne sur ses hauts talons. Ca gloussait fort autour de moi. Genre bien fait pour ce crétin. J'ai mangé ma lamelle de porc et me suis relevé en me passant la main dans les cheveux.
C'est à ce moment précis que mon portable a sonné.
"Oui?"
"Marc, c'est David."
"Quoi?"
Je viens d'avoir un coup de fil de l'hôpital Wilson."
"Pour quoi faire?"
"Ta femme et ta fille ont eut un accident de voiture."
"…"
"Ce midi."
"…"
"David, elles sont mortes."
"…Pour de vrai?"