Car le siècle
passé, qui a été le siècle de l'horreur absolue, n'a peut-être pas fini de
nous livrer son noir secret : le Mal, le visage sordide et défiguré du Mal,
que l'Occident depuis des siècles s'est complu à revêtir des masques les plus
divers, est d'abord une bouche, n'est peut-être même qu'une bouche, prolixe
et enjôleuse, de laquelle sort le flot noir du mensonge. C'est ainsi que Karl
Kraus pouvait prétendre de façon paradoxale que le premier conflit mondial,
avec ses millions de morts, était pourtant peu de chose si on le comparait à
la destruction du langage opérée par le mensonge de la propagande. Steiner
lui-même est dans ces pages l'héritier de ces auteurs qu'il a nommés pour
s'en éloigner : logocrates, Pierre
Boutang dont il était l'ami, Martin Heidegger ou Joseph de Maistre. Ceux-ci
ont tenté de penser la question d'une détérioration du langage par la
banalité et le mensonge, agissant comme une maladie, un cancer. Cette
question est, dans l'œuvre de George Steiner, première, séminale ; non pas seulement le goût et le respect pour la
culture classique ; non pas seulement le déchirant dialogue avec un
christianisme beaucoup trop proche pour ne pas se ficher, dans la chair du
penseur, comme une écharde de plus en plus pointue et blessante ; non pas
même enfin la terrible question de Dieu. J'irais jusqu'à dire que la blessure
que constitue, pour tout Juif, le mystère dévorant de la Shoah, n'est qu'une
conséquence extrême du Mal, de ces paroles néfastes délivrées par la bouche
de A. H., ce fantôme malfaisant, cet homme creux croupissant sur une terre
dévastée. Placée sous
un tel éclairage, nous donnons à l'œuvre de ce penseur respecté mais bien souvent
décrié sa place véritable, rien moins que vitale pour notre siècle : en
sondant les ténèbres, nul doute que George Steiner nous enseigne de quelle réelle présence la réflexion
contemporaine doit se charger si elle veut ne pas s'enfoncer piteusement dans
la tourbière de la futilité et du bavardage. L'auteur, Juan Asensio, a mené des études de littérature et de
philosophie. Rédacteur en chef de la revue Dialectique, son objet de
recherche, qu'il n'a jamais cru devoir séparer d'une exigence personnelle
d'écriture, concerne la question du Mal, sa représentation dans les œuvres
d'auteurs tels que Trakl, Conrad, Faulkner, Bernanos ou encore Sabato.
Son ouvrage : La Parole souffle sur notre poussière a paru aux éditions L'Harmattan, coll. "L'ouverture philosophique". Les lecteurs intéressés peuvent le trouver dans certaines librairies ou le commander directement chez l’éditeur. |
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