Si vous avez l’habitude de lire les lignes qui apparaissent sur les pages du MotDit lorsque ma plume journalistique vient s’y apposer, peut-être avez-vous remarqué que je suis un adepte de culture, quelle qu’elle soit, et en particulier de musique. En effet, il n’y a que les rythmes musicaux qui me permettent de m’évader ou alors de changer drastiquement mon humeur. J’écoute de tout, bien que le bon vieux hip-hop bien pensé et bien écrit m’accroche particulièrement. Je trouve d’ailleurs que le Québec fourmille d’interprètes et de paroliers géniaux, des Cowboys à Muzion en pensant par Jean Leloup. Mais s’ouvrir et aller plus loin nous fait découvrir des sons différents et tout aussi intéressants. Je pense au kompa haïtien, au reggae africain, aux rythmes latins endiablés, au Gospel afro-américain, aux sobres chansonniers de France aux paroles exquises, aux groupes punks irlandais qui mêlent guitare électrique et cornemuse, au pop-rock britannique et j’en passe.

Mais je m’éloigne. La musique m’anime, vient me chercher, disais-je donc. Je lis donc souvent les critiques musicales dans les journaux culturels hebdomadaires gratuits, tels le Voir ou le Hour, sans toutefois leur accorder une réelle crédibilité, car ces critiques ne sont basées que sur des goûts, qui peuvent être différents des miens. J’écoute aussi les gens parler de leur appréciation de tel ou tel album de tel ou tel artiste. Et j’en suis venu à une constatation des plus étranges. Certains fans sont créanciers. Je m’explique.

J’ai rencontré plusieurs personnes qui m’ont avoué avoir été déçu du dernier album de Green Day, groupe punk-rock américain ayant connu un énorme succès dans les années 90s, un peu tombé dans l’ombre avec ses deux derniers albums sortis en 2001 et 2002, et qui a récemment sorti un album intitulé Green Day presents: American Idiot, récipiendaire du Grammy pour le meilleur album rock. Ces tristes fans affirment que dans cet album, Green Day sonne différemment, qu’ils ont pris une tournure trop pop, qu’ils ne sont plus comme avant, etc. La question que je ne peux m’empêcher de me poser quand j’entends cela est : est-ce que c’est mal ? Est-ce qu’un groupe se doit de suivre la même ligne directrice sans jamais en dévier. Quand je demande ceci à ces quelques âmes pleines de déception, elles me répondent que quand un groupe a acquis un certain public, il lui doit bien de ne pas les trahir, en changeant de style de façon trop importante par exemple. QUOI ? Depuis quand les artistes doivent quoi que ce soit aux gens qui les écoutent concernant la nature de leurs créations ? Depuis quand prendre une tournure musicale différente est-elle une trahison ? Depuis quand les fans se prennent-ils pour des créanciers, en qui les artistes auraient une dette ? Depuis quand évoluer est-il mal ? Parlez d’évolution au duo Outkast, qui est né sous l’emblème d’une musique  gangsta rap dans les rues d’Atlanta et qui nous chante maintenant
Hey Ya. Et le pire est que le contraire est aussi vrai. Il y a de cela bien des années, Richard Séguin avait sorti un album très attendu. Les critiques l’ont descendu en disant : « C’est du Richard Séguin... Rien d’original... » Alors quoi, soit on trouve que l’interprète a trop changé, soit on lui reproche d’être trop
lui-même ? Difficile à croire.

Et ce n’est pas tout. Combien d’individus ai-je déjà entendu clamer sur toutes les tribunes que tel groupe est rendu trop commercial, qu’il fait de la musique uniquement pour vendre des albums. Eh bien moi je trouve que si un groupe comme Green Day est prêt à sacrifier une partie de son public fan depuis le début pour jouer une musique qui concorde mieux avec ce que ses membres sont devenus, il ne fait pas vraiment de la musique pour vendre des albums, mais davantage pour être soi-même, tel qu’évolué. Non ?

Vous voulez que je vous dise ce que j’en pense ? Les artistes musicaux interprètent une musique qui leur est propre, qui évolue ou reste semblable d’un album à l’autre, et le public achète (ou télécharge...) s’il aime. Si vous ne l’aimez pas le nouvel album des Cowboys Fringants, car vous trouvez que les rythmes festifs sont trop disparus au profit de textes engagés, eh bien aller le revendre dans un petit commerce d’échange de CD sur Mont-Royal. Les artistes ne vous force pas à aimer ce qu’ils font. Ils ne font que l’espérer, sans que ce soit le pourquoi de leur démarche en tant que musicien ou chanteur. Un artiste ne devrait pas devoir produire un album en ne pensant qu’au bonheur des fans qui ont acheté le précédent. Un peu, cela va de soi. Mais pas uniquement.

En guise de conclusion, je vous demande solennellement de ne pas jouer aux créanciers avec vos interprètes favoris. Laissez-les respirer un peu, car s’il y a bien quelque chose qu’ils sont libres de faire comme ils l’entendent, c’est bien leur musique. Allez en paix, chers amis.

LES FANS CRÉANCIERS
Ceci est un article écrit par moi et qui est d'abord paru dans le MotDit, journal étudiant du collège Édouard-Montpetit, en mai 2005.