Tout Pour Toi
(S2)
L’histoire de
Maxime est colorée en bleue tandis que celle de Floriane est en noire. S’il
arrive qu’une scène ne mêle pas ces personnages ou au contraire, les présente
les deux à la fois, une écriture mauve vous l’indiquera. En passant, ça me fait
plaisir de replonger dans cette série et j’espère que vous apprécierez
également. Bonne lecture!
*
6 ans plus
tard
Dans ce semblant d’hôpital, les
premières notes d’un succès des années 60 se firent entendre dans la salle de séjour.
Listen Baby!
Ain’t no mountain high
Ain’t no valley low
Ain’t no river wide
If you need me,
Call me
No matter where you are
Une préposée aux bénéficiaires
dotée d’une chevelure de feu se dandinait drôlement sur la musique devant
toutes les personnes âgées présentes. Certains l’observaient avec un sourire,
d’autres, avec un air refrogné. Elle alla chercher une dame et l’entraîna dans
la danse! Les deux femmes rirent aux éclats et allèrent inviter les délaissés à
les imiter, ce qu’ils firent presque tous, à condition de ne pas tenir sur un
fauteuil roulant. Bientôt, les moues se mutèrent en esclaffements et tous les
vieillards de la place se mirent à bouger au rythme de la musique. Retrouvant
leur cœur d’enfant, ils se laissaient emporter par cette soudaine vague de
rajeunissement. La jeune femme, fière de son œuvre, continua de valser avec ces
êtres emplis d’expériences qui avaient tous un passé propre, qu’elle
connaissait pour la plupart. Une infirmière passa devant la salle de séjour
rapidement, puis elle recula de quelques pas pour admirer le spectacle qui se
déroulait dans cette pièce habituellement si calme. Ses lèvres se retroussèrent
et elle secoua lentement la tête, amusée.
Infirmière : Sacrée
Floriane!
*
*
Maxime, assis sur un banc d’Université, écoutait attentivement le
professeur sans toutefois négliger de jeter de fréquents coups d’œil à
l’horloge qui s’élevait au nord du tableau. Une fois de plus, l’enseignant
prenait beaucoup trop de temps à conclure son cours. Le jeune homme soupira,
puis il fut soulagé d’entendre le mot de la fin. Il se leva précipitamment et
fut stoppé par une fille aux cheveux roux tombant en cascades bouclées.
Madeleine : Pourquoi est-ce
que tu pars toujours aussi vite? Tu ne me laisses même pas une chance de te
mettre la main dessus!
Maxime : Oh! Navré,
Madeleine! Il faut vraiment que j’y aille. À demain!
Madeleine : Ne crois pas que
je vais t’oublier!
Maxime (s’enfuyant) : Au
revoir!
Il courut jusqu’à sa voiture et
chercha ses clés dans les poches de sa veste beige. Il finit par les trouver et
après avoir déverrouiller, il s’engouffra sous le toit de fer pour démarrer
immédiatement.
(…)
Maxime poussa la porte battante
et il pénétra dans la garderie avec empressement. Une fillette aux cheveux de neige
et aux yeux d’azur lui faisait face, les bras croisés sur sa poitrine, l’air
sévère. Max se jeta à genoux devant elle et il lui baisa les pieds, suppliant.
Maëlys : Ça ne marchera pas
cette fois, papa. Lève-toi.
Il lui obéit, misérable.
Maxime : Je m’excuse
pouchinette. Le cours a vraiment été long et je n’arrêtais pas de penser à toi,
mais le professeur diabolique n’arrêtait pas de parler!
Ce disant, il imita méchamment
son professeur et la jeune fille dut dissimuler son sourire. Finalement, quand
elle se lassa des blagues de son paternel, elle hissa son sac rose en forme
d’éléphant sur son épaule et elle s’éloigna dignement.
Maëlys (avant de franchir le
seuil) : Tu m’avais promis que tu ne serais plus en retard.
Elle disparut. Maxime, planté là
comme un imbécile, se mordilla la lèvre inférieure, à moitié honteux et à
moitié nostalgique.
Maxime : Tout comme sa mère!
*
*
Étienne, vêtu d’un t-shirt blanc tâché et d’une
vieille paire de jeans déambulait dans le garage, un outil à la main. Il se
glissa sous une voiture, cherchant à réparer un ennui mécanique. Sous la
voiture voisine, un collègue s’affairait à trouver le problème ayant conduit le
client à venir la porter au garage. Il soupira, découragé.
Collègue : Cette vieille
folle a dû tout imaginer! Son automobile est en parfaite santé!
Il resta tout de même là, au cas
où la solution lui exploserait en plein visage. Étienne, silencieux, savait
bien où il allait contrairement à son copain de travail.
Collègue : Au fait, tu
déménages bientôt avec ta petite amie, hein?
Étienne, visiblement dérangé,
s’immobilisa quelques secondes avant de continuer sa réparation avec ce calme
qui le caractérisait.
Étienne : Ce n’est pas ma
petite amie.
Son voisin s’esclaffa.
Collègue : Donc, tu vas
habiter avec une simple copine? C’est ça? Et tu penses que je vais gober ça?
Étienne roula des yeux, agacé.
Étienne : Pourquoi je te
mentirais?
Collègue : Tu es si
discret, tu ne veux pas qu’on sache une seule petite chose sur toi.
Étienne : Parce que ça ne
te regarde pas.
Il sortit d’ en-dessous du
véhicule et souleva le capot pour s’assurer que tout était bien à sa place et
fonctionnel.
Collègue : Et tu vas me
dire que sa fille, ce n’est pas la tienne?
Éti ne se donna même pas la
peine de répondre et il examina l’intérieur de l’automobile de son collègue. Il
poussa le bras recouvert de cuir gris de la position D à la position P, un
petit sourire moqueur sur les lèvres.
Étienne : Essaie-la
maintenant, elle devrait marcher.
*
*
Christian essayait de ne pas
paniquer en voyant tous ces gens crier leurs commandes. « Un gin! »,
« Une crème de menthe! », « Une Molson! », « Un sex on
the beach! », etc. Les autres barmen étaient en pause alors que c’était la
folie furieuse! Christian avait envie de se cacher sous le comptoir tant la
foule semblait impatiente et agressive. Il fit un drink pour une fille qui
n’avait sûrement pas l’âge de sortir dans les bars, puis il entendit le
téléphone sonner. Il fit signe d’attendre aux nombreux client qui tapaient du
pied ou fulminaient carrément en levant les bras au ciel. Il décrocha le
combiné.
Christian : Oui?
Maëlys : C’est Maëlys.
Christian : Salut ma
cocotte! Ça a bien été à l’école aujourd’hui?
Maëlys : Oui, mais papa a
encore été en retard.
Christian : Ah! Méchant
papa! C’est horrible de te faire ça!
Maëlys : Tu es dans la
boutique de jouets, là?
Christian observa la salle
enragée et il évita de justesse une bouteille de bière lancée par un ivrogne.
Christian : Oui, tout à
fait, cocotte. Dans la boutique de jouets.
Maëlys : Pourtant, il est
tard pour acheter des cadeaux, non?
Christian se cacha finalement
sous le comptoir.
Christian : Ne soit pas
idiote, Maë! Les parents viennent tard, pendant que leurs enfants dorment. Une
surprise doit rester secrète.
Maëlys : Ah! Il y a beaucoup
de bruits…
Christian : Oui! Il y a
beaucoup de parents, aussi. Allez, va te coucher! J’irai te donner un câlin en
rentrant.
Maëlys : D’accord. Bonne
nuit.
Christian : Bonne nuit, Maë.
Il raccrocha et prit une grande
respiration avant de refaire surface.
*
*
Flo déposa ses clés sur la table
d’entrée et elle défit son chignon nonchalamment en soupirant. Elle s’arrêta un
instant, songeuse, puis elle sursauta en entendant quelqu’un accourir vers
elle. Dorianne, sa fille, se montra, le nez rougi par une vilaine grippe.
Dorianne : Gougou Baban!
Floriane : Salut ma chérie!
Elle la prit dans ses bras et
l’embrassa sur le front. Elle était si heureuse en cet instant! Après une
journée de travail épuisante, il n’existait pas récompense plus réjouissante
que celle de voir sa douce enfant. Lorsqu’elle était née, elle avait reçu tant
d’amour que Floriane était surprise que cela ne lui soit pas monté à la tête.
La fillette, contrairement à la plupart des gosses de cet âge, n’était pas
égoïste, méchante ou calculatrice envers l’autorité afin d’obtenir ce qu’elle
voulait. Certes, ce n’était pas la plus intelligente, mais elle était d’une
tendresse touchante et d’un soutient irremplaçable. Les autres gamins
profitaient malheureusement de sa gentillesse, à la garderie. Souvent, elle ne
pouvait pas s’amuser avec les plus beaux jouets ou elle ne pouvait pas s’amuser
du tout. Pour y remédier, Floriane lui avait acheté un magnifique toutou en
forme d’hippopotame et la petite l’avait baptisé Fripouille.
Dorianne : Suzabe a pis
soin de boi.
Comme pour le confirmer, Suzanne
arriva en souriant, une tasse de lait au miel fumant entre les mains.
Floriane : Salut maman!
Suzanne : Salut Floriane.
Ta journée s’est bien passée?
Floriane : Oui. Comme
d’habitude. Est-ce qu’elle en a pour encore longtemps à tousser et à moucher
comme ça?
Suzanne : Ça semble vouloir
se tasser.
Floriane : Bien!
La grand-mère se pencha sur sa
petite fille en lui tendant la tasse.
Suzanne : Prends ça,
trésor. Ça va faire du bien à ta gorge.
Dorianne : Berci. Bonne
buit!
Suzanne lui ébouriffa les
cheveux avec amour.
Suzanne : Bonne nuit.
Elle s’éloigna pour aller
rejoindre Carl dans la cuisine. Floriane conduisit sa fille vers sa chambre et
elle l’allongea sous les couvertures saturées de Bambi! Après qu’elle ai
terminé son lait au miel, Floriane lui chanta deux ou trois berceuses pour
l’endormir. Quand la jeune fille ferma les yeux, sa mère l’observa longuement
sans oser la toucher, par peur de troubler son sommeil. Mentalement, elle
remerciait Dieu de lui avoir accordé un cadeau aussi précieux. Elle devina les
détails du petit corps recroquevillé sous la couette. Elle le connaissait par
cœur et elle trouvait cela étrange à imaginer, mais un jour, cette même
enveloppe charnelle deviendrait celle d’une femme accomplie. Sur ces pensées, Floriane
finit par se lever et quitter la petite pièce qui avait autrefois été un
bureau.
*
*
Maxime prenait des notes en se
fiant au discours plus qu’ennuyant de son professeur de philo. Ce dernier
parlait du même ton monotone ponctué de bruits de déglutition pénible. La
moitié des étudiants avaient leur tête posée sur leur paume qui s’improvisait
douillet oreiller. La cloche annonçant la fin du cours retentit, les délivrant
de cette séance de résistance au sommeil. Max rangea ses feuilles dans son
cartable parfaitement ordonné et il glissa celui-ci dans son sac bourré de
bouquins tous plus compliqués les uns que les autres. Alors qu’il s’apprêtait à
quitter le local, deux étudiantes s’approchèrent, un sourire aux lèvres. L’une
d’elles était Madeleine, tandis que l’autre, une pulpeuse brunette était Diana,
si Maxime se souvenait bien. Madeleine passa une main aux doigts déliés dans sa
tignasse rousse, puis elle lança un regard à sa copine.
Diana : Hé! Max! On sort au
DirtyLounge ce soir et vu que je serai avec mon copain, Tyler, Mad a peur de se
sentir de trop. Ça nous arrangerait beaucoup que tu viennes.
Maxime : Oh! C’est que…
Madeleine posa sa main sur le
bras de Max, suppliante.
Madeleine : Allez! Sois
gentil! On pourrait s’amuser… tous les quatre.
Maxime fit semblant de réfléchir
alors que dans sa tête, la réponse était déjà toute faite.
Maxime : Non, désolé, je ne
peux pas. J’ai promis à mon meilleur ami que nous irions quelque part, ce soir.
Diana : Tu peux l’inviter.
Comment allait-il faire pour s’en
tirer maintenant? Il fit un pas vers la sortie, embarrassé.
Maxime : Oh! Euh… En fait,
nous avions prévu sortir de la ville. À demain, les filles!
Il disparut pendant qu’elles
soupiraient et levaient les yeux au ciel.
*
*
Le camion de déménagement se
stationna devant l’appartement de briques rouges et deux hommes bien solides
sortirent des places conductrices et passagères pour se rendre à l’arrière afin
d’ouvrir les portes. Une petite auto s’engagea dans l’allée et en descendirent
Floriane, Étienne, Dorianne, Suzanne et Carl. Ils se mirent tous à transporter
les boîtes dans la nouvelle demeure tout en se criant des instructions et des
plaisanteries. Suzanne et Carl prirent Floriane à part tandis qu’Étienne
s’occupait du reste des cartons, aidé de Dorianne qui transportait ses jouets
un à un.
Suzanne : Chérie, si tu
n’es pas certaine, tu sais qu’il n’est pas trop tard.
Floriane leva les yeux au ciel,
découragée par la surprotection de ses parents.
Floriane : Il est trop
tard, maman! Nous avons signé les contrats et dans une heure, ce sera chose
faite.
Carl : Oui, mais ma chérie,
nous pouvons arranger tout ça.
Floriane : Je n’y tiens
pas, papa! Je veux voler de mes propres ailes, maintenant. Je suis assez
vieille pour ça, je suis majeure même! J’ai la maturité nécessaire pour vivre
seule… enfin… sans vous, quoi.
Ses parents se jetèrent un
regard tristounet qui irrita Flo.
Suzanne : C’est plus sûr
chez nous, Floriane. Tu le sais bien! Nous ne pensons qu’à ta sécurité et à
celle de Dorianne. Si quelque chose venait à vous arriver, nous nous en
sentirions coupables pour le restant de nos jours, ça c’est certain!
Floriane : Arrête de
dramatiser comme ça, maman! Tu te fais du mal pour rien. C’est sûr ici. Et je
sais prendre soin de ma fille quand même! Et ce n’est pas comme si je te
privais de notre présence à tout jamais : je désire seulement vivre sous
ma propre autorité et non sous la votre comme je le fais depuis ma naissance.
J’ai grandi, vous le voyez j’espère!
Suzanne : Oh! Mais bien
entendu que nous le voyons et nous sommes très fiers de la fille… femme que tu
es devenue! Crois en notre parole! Cependant, ce monde est dur Floriane et
malgré cette grande responsabilité qui te caractérise, j’ai bien peur que tu ne
sois pas totalement prête à affronter tout ça.
Floriane prit une grande
respiration afin de ne pas céder à la colère bouillante qui l’habitait. Ses
parents n’avaient jamais eu complètement confiance en elle! Elle détestait
cela!
Floriane : Je vais
apprendre de la vie, maman. Rien n’instruit plus que l’expérience. Où avez-vous
appris à vivre, vous? Vous avez essayé et parfois triomphé, parfois tiré des
leçons. Vous m’avez élevé correctement, grâce à ces leçons. Alors, Nom de Dieu,
laissez-moi ex…
Carl : Mais nous étions
plus âgés que toi, ma chérie…
Floriane : VOUS ÊTES
ÉTOUFFANTS! Laissez-moi partir, bon sang! Qu’importe le fait que je sois plus
jeune que vous l’étiez quand vous m’avez eue? Est-ce que j’ai négligé ma fille
une seule fois depuis qu’elle soit venue au monde? Non! Est-ce que je vous ai
confié mon rôle de mère? Non! J’ai toujours pris soin d’elle et j’ai toujours
été là pour elle. Tout ce que je vous demande, c’est de me faire confiance au
moins une fois dans votre vie! S’il vous plaît! Faites ça pour moi! Pitié!
Ses parents se turent et
parurent réfléchir durant plusieurs secondes. Dorianne les rejoignit,
accompagnée de son toutou Fripouille.
Dorianne : Maman! Étienne
dit qu’il a besoin de toi pour trouver où mettre un des cartons.
Floriane dévisagea ses parents
un instant, puis elle alla porter secours à son nouveau colocataire.
*
*
Christian tartina sa rôtie de
caramel, puis il se versa un café bien noir avant de vider d’un trait son jus
d’orange matinal. Ses cheveux étaient ébouriffés et sa robe de chambre était jetée
négligemment par-dessus ses boxers décorés de striures bleues et noires. Il
commença son déjeuner, vraisemblablement épuisé à cause de son travail ayant
pris fin aux petites heures du matin. Il se jura de démissionner de son métier
de barman dès qu’il pourrait se payer des études dans un quelconque domaine
encore inconnu. Ses cernes violettes soulignaient la fatigue de son regard
habituellement si téméraire. Christian fronça les sourcils lorsque Maxime, vêtu
d’une chemise marine et d’un pantalon beige, fit son entrée dans la cuisine. Son
aspect était impeccable et Christian se doutait bien qu’aux côtés de son
copain, il devait faire plutôt pitié! Devinant agilement la raison de cette
propreté, Christian reposa son café et
fixa gravement son colocataire. Maxime démontrait une détermination de fer,
même vis à vis de la désapprobation de Chris. Ce dernier le lu dans ses yeux et
il secoua négativement la tête, cherchant à faire connaître son désaccord même
s’il savait que cela ne changerait rien. Maëlys apparut aux côtés de son père,
vêtue d’une jolie robe jaune.
Maxime : Vas m’attendre dans
l’auto, Maë.
Celle-ci obéit sans toutefois
manquer de montrer qu’elle n’aimait pas se faire donner des ordres.
Maxime : Je sais ce que tu
penses.
Christian : Ah! Bon? Tu es
rendu devin?
Maxime força un gloussement.
Maxime : Rien qu’à te voir,
ça me suffit. Je ne crois pas que tu puisses me comprendre.
Christian : Non,
effectivement. Pourtant, je suis assez compréhensif de nature, mais là, ton
truc, c’est carrément de l’obsession!
Maxime soupira, blessé par ces
propos.
Christian : Je veux dire…
Elle est morte, Max! Merde! Elle est morte il y a six ans et toi tu continues
d’aller la voir comme si vous étiez toujours ensemble! Et ta fille? Tu y penses
à Maë?
Maxime : Bien sûr que j’y
pense! Elle est ce qu’il y a de plus important dans ma vie!
Christian : Alors, arrête de
lui faire ça! C’est de la torture inutile que d’aller lui rafraîchir la mémoire
sur sa mère qu’elle ne connaîtra jamais! Quelle image a-t-elle de tout ce
cirque, hein? Tu voues un véritable culte, une véritable adoration à une morte!
S’il te plaît, enseigne-lui qu’il vaut mieux aimer les vivants que les morts!
Ce n’est pas saint ce que tu fais, mon vieux.
Maxime : Nous avons déjà eu
cette conversation. Maë est ma fille et je sais ce qui est bien pour elle. Ne
te prends pas pour son deuxième père!
Christian : C’est pourtant
le cas, Max, que tu le veuilles ou non. J’ai changé ses couches, moi aussi. Je
lui ai donné le biberon, comme toi. Et je l’ai dorloté et je l’ai fait rire et
j’ai pris soin d’elle quand elle était malade. Je lui ai acheté des cadeaux,
j’ai supporté ses crises de rage, je l’ai réconfortée, j’ai joué avec elle et
je lui ai conté des histoires. Je l’ai emmenée au Zoo et au cinéma. Je me suis
inquiété. Et tu sais quoi, tout ça sans être son père naturel. Tout ça en
sachant qu’elle n’était pas de moi même si cet amour que je lui porte est
inconditionnel et incommensurable. Tout ça en étant déchiré parce que ce n’est
pas moi qu’elle appelle papa. Parce que moi, je suis Christian, le parrain, qui
n’a jamais été fichu d’être aimé de la façon dont Jasmine et toi vous l’avez
fait. Je suis son deuxième père. Laisse-moi au moins ça.
Mécontent contre lui-même de
s’être révélé si émotif, Christian s’apprêta à disparaître dans sa chambre
quand les paroles de son meilleur ami se firent entendre.
Maxime : Tu crois que j’ai
tout et toi, rien, c’est ça?
Il ricana sans aucune joie.
Maxime : Tu veux savoir ce
que j’ai? Moi, j’ai les regrets. J’ai le sentiment de ne pas être un bon père.
J’ai le cœur brisé. J’ai l’âme en morceaux parce que celle à qui je l’avais
offerte n’a pu la prendre. J’ai cet amour qui persiste alors qu’il serait mieux
pour tout le monde qu’il soit éteint. J’ai cette colère et cette rage contre un
homme à qui ne n’ai jamais parlé! J’ai tout, hein, Chris? Si tu veux, je te le
donne ce « tout » là! Je préfèrerais n’avoir jamais aimé plutôt que
de pleurer un amour si fort! Plutôt que d’être incapable de faire mon deuil! Tu
veux que je renonce à aller voir Jasmine? Tu veux que je fasse comme si rien ne
s’était passé? C’est impossible! Et Maë, je veux qu’elle sache que j’ai aimé sa
mère et que cette dernière n’est pas si absente qu’il n’y paraît…
Christian ravala sa sensibilité
et sa voix se fit plus dure qu’il ne le voulait.
Christian : Pas si absente?
Max, elle est morte!
Un silence inconfortable
s’installa, puis Maxime sortit.
*
*
Dorianne était assise sur un
carton, tenant dans ses petits bras son Fripouille adoré. Une assiette remplie
de pâtes au fromage traînait à sa gauche, abandonnée sans scrupules. Dorianne
prit sa fourchette, tombée sur le sol, et elle la glissa dans le plat pour
ensuite la coller contre la bouche de son toutou.
Dorianne : Mange,
Fripouille! C’est bon!
Floriane, une boîte en mains,
courait à gauche et à droite pour s’assurer que tout était à la bonne place.
Elle remarqua sa fille, lui faisant dos, qui s’occupait à tuer le temps avec
son meilleur ami hippopotame. Elle alla la retrouver et soupira en voyant le
toutou tâché de sauce au fromage.
Floriane : Dorianne! Il ne
faut pas nourrir les peluches, je te l’ai déjà dit!
Dorianne : Mais maman, il
avait faim! Il n’arrêtait pas de pleurer et de dire que l’on s’occupait jamais
de lui.
Floriane : Dorianne!
Fripouille n’a pas besoin de notre nourriture et tu le sais très bien! Tu ne
fais que le salir!
La fillette baissa la tête,
honteuse, puis elle tâcha d’enlever la sauce de sur la bouche close de
l’hippopotame, mais elle ne réussit qu’à l’étendre ce qui la fit éclater en
sanglots.
Dorianne : Maman!
Fripouille n’est plus propre! Est-ce que ça va s’ôter, maman? Est-ce qu’il va
toujours être tout sal à cause de moi?
Floriane s’attendrit et elle
s’accroupit en face de sa fille unique.
Floriane : Mais non, ma
chouette. Je vais aller lui donner un bain et il sera comme avant. Seulement,
ne le nourrit plus, d’accord?
Les yeux encore humides, la
jeune fille acquiesça avec remords. Floriane la serra dans ses bras et lui
caressa doucement le dos avant d’emmener Fripouille dans la laveuse.
*
*
Maxime déposa une rose blanche
sur la tombe faite en marbre de Jasmine. Il regarda l’inscription avec
nostalgie, puis il baissa les yeux vers la photographie représentant la jeune
femme lors de la soirée faite en son honneur afin de marquer son acceptation à
Harvard. Maë, ayant cueilli des pissenlits sur le chemin, en entoura la rose.
Elle agita vivement sa main en guise de salutations.
Maëlys : Salut maman! On est
venu te voir, comme d’habitude. J’espère que tu es contente. Moi, je voulais te
dire que je t’aime.
Sur ce, elle s’éloigna en courant,
à la poursuite des oiseaux. Visiblement, elle ne comprenait pas le sens de la
mort, mais son père avait tant insisté sur l’importance d’aller voir sa mère
chaque semaine, qu’elle s’y était soumise même si elle n’en voyait pas
l’utilité ou l’intérêt. Se rendre dans un endroit ennuyant afin de parler à une
femme qu’elle n’avait jamais connue! Ridicule!
Maxime : Bonjour Jasmine.
Comme tu vois, notre fille va bien même si elle a hérité de ton caractère un
peu hautain. Oh! Je ne dis pas ça méchamment. J’aime pouvoir te voir à travers
elle. Comme ça, je sais que je ne t’ai pas rêvée. En fait, je ne sais pas si
c’est un soulagement ou le contraire. De me rappeler de tout ce qu’on a vécu
ensemble, ça me remplie d’un sentiment de bien-être, mais quand je songe que tu
es partie et que je ne pourrai plus jamais vivre ces moments, ça fait de moi un
homme incomplet. Je recherche un bonheur que je ne pourrai jamais atteindre et
pourtant, je le rechercherai toute ma vie. J’errerai ainsi toute ma vie. Il n’y
a personne qui vaille la peine comme toi tu l’as value. C’est vrai, il y a six
ans que tout cela est arrivé et je suis incapable de passer par-dessus. Nous
venions de nous retrouver quand tu m’as échappé de manière si inattendue et si
brusque! Oh! Juste à repenser à ce jour où le policier a sonné à ma porte, mon
être de brise de nouveau. C’est une blessure béante que j’ai au cœur et elle
saigne constamment. Ne me demande pas comment, mais je réussis quand même à
adorer notre fillette. Sûrement parce qu’elle est le fruit de nos passions
réciproques. Parce qu’il y a de toi en elle. Cependant, si après six ans, cette
plaie n’a pas cicatrisé, je crois bien qu’elle ne le fera pas davantage en
trente ans. Tu as été l’amour de ma vie et je t’ai perdu trop tôt. C’est un
devoir de continuer à vivre, car tout ce à quoi j’aspire, c’est de te retrouver
pour pouvoir me blottir de nouveau dans tes bras. Si je le pouvais, je
resterais ici, sur ta tombe, pour te parler quand j’en ai envie. Tu ne peux pas
savoir à quel point ça me manque de me réveiller à tes côtés et de t’observer
dormir. Et d’unir mon corps au tien. Je m’ennuie de ta peau si douce et de tes
sourires enfantins. De ton odeur et de tes cheveux si fins et si blonds.
Maëlys arriva derrière son père
et elle posa sa main chétive sur son épaule.
Maëlys : Est-ce qu’on peut y
aller maintenant, papa?
Celui-ci essuya son unique larme
avec l’aide de son pouce, puis il se tourna vers sa fille. Il acquiesça avant
de dire au revoir à Jasmine qui ne lui répondit pas.
*
*
Floriane haussa le volume de la
radio et elle se mit à chanter à tue-tête par-dessus la musique, heureuse en
cet instant. Étienne la lorgna avec un sourire en coin, puis il tourna à gauche
pour se rendre sur la rue longeant le bord de l’eau.
Étienne : Es-tu contente
d’être enfin sous un autre toit que celui de tes parents?
Floriane baissa le son et
elle se pencha vers son meilleur ami.
Floriane : Quoi? Qu’est-ce
que tu dis? J’ai pas entendu!
Étienne : C’est normal avec
autant de bruits!
Floriane (riant) : Désolée!
J’aime ça lâcher mon fou.
Étienne : J’aime aussi te
regarder quand tu es folle! C’est marrant!
Floriane s’intima de ne pas
rougir, puis elle tourna la tête pour ne pas que son colocataire remarque ses
pommettes en feu!
Étienne : Je te demandais
si ça te plaisait d’avoir ta propre maison, maintenant.
Floriane : Tu parles! C’est
génial! Dommage que mes parents ne le prennent pas comme ça.
Étienne : Bah! Ils s’y
feront!
Floriane remarqua que les élèves
prenant place dans l’autobus les précédant lui faisaient des grimaces. Elle
leur répondit pareillement, ce qui fit sourire de plus belle son ami.
Soudainement, l’autobus dévia et en donnant un coup de volant, le conducteur
envoya le véhicule dans les eaux froides du mois de septembre. Tandis que
l’autobus s’enfonçait sous l’eau, les élèves criaient et martelaient les vitres
de leurs poings. Tout ça se passa si vite que les deux amis prirent du temps
avant de réaliser ce qui se passait. Ils se dévisagèrent et sortirent en même
temps de leur automobile pour aller se jeter dans le lac glacial, au risque de
leur propre vie.
*
*
Maxime courait après Maëlys sur
le chemin du retour et ils riaient tous deux, amusés par ces jeux pourtant si
simples. Maxime rugit pour imiter un monstre redoutable et en criant, Maë
accéléra davantage, hésitant entre la peur et les rires. Elle manqua de tomber,
mais se rattrapa au dernier moment. Max la frôla, mais elle s’élança de
nouveau, bien décidée à survivre à ce monstre impitoyable! Tout à coup, elle
s’arrêta brutalement et se mit à tousser. Maxime s’approcha et lui tapota le
dos en attendant que ça passe. Seulement, plus le temps filait, plus elle
s’écorchait les poumons dans une quinte de toux épouvantable. Il devenait
évident qu’elle peinait pour respirer. Sa peau vira au rouge et elle s’écroula,
incapable d’aspirer l’air pur de la banlieue. Maxime, commençant à paniquer, la
serra dans ses bras et la leva sans difficulté pour se rendre à sa voiture à la
course.
À suivre…