Tout Pour Toi (S2)

L’histoire de Maxime est colorée en bleue tandis que celle de Floriane est en noire. S’il arrive qu’une scène ne mêle pas ces personnages ou au contraire, les présente les deux à la fois, une écriture mauve vous l’indiquera. En passant, ça me fait plaisir de replonger dans cette série et j’espère que vous apprécierez également. Bonne lecture!

 

*

 

Tout Pour Toi

6 ans plus tard

 

Dans ce semblant d’hôpital, les premières notes d’un succès des années 60 se firent entendre dans la salle de séjour.

Listen Baby!

Ain’t no mountain high

Ain’t no valley low

Ain’t no river wide

If you need me,

Call me

No matter where you are

No matter or how far…

Une préposée aux bénéficiaires dotée d’une chevelure de feu se dandinait drôlement sur la musique devant toutes les personnes âgées présentes. Certains l’observaient avec un sourire, d’autres, avec un air refrogné. Elle alla chercher une dame et l’entraîna dans la danse! Les deux femmes rirent aux éclats et allèrent inviter les délaissés à les imiter, ce qu’ils firent presque tous, à condition de ne pas tenir sur un fauteuil roulant. Bientôt, les moues se mutèrent en esclaffements et tous les vieillards de la place se mirent à bouger au rythme de la musique. Retrouvant leur cœur d’enfant, ils se laissaient emporter par cette soudaine vague de rajeunissement. La jeune femme, fière de son œuvre, continua de valser avec ces êtres emplis d’expériences qui avaient tous un passé propre, qu’elle connaissait pour la plupart. Une infirmière passa devant la salle de séjour rapidement, puis elle recula de quelques pas pour admirer le spectacle qui se déroulait dans cette pièce habituellement si calme. Ses lèvres se retroussèrent et elle secoua lentement la tête, amusée.

Infirmière : Sacrée Floriane!

*

*

Maxime, assis sur un banc d’Université, écoutait attentivement le professeur sans toutefois négliger de jeter de fréquents coups d’œil à l’horloge qui s’élevait au nord du tableau. Une fois de plus, l’enseignant prenait beaucoup trop de temps à conclure son cours. Le jeune homme soupira, puis il fut soulagé d’entendre le mot de la fin. Il se leva précipitamment et fut stoppé par une fille aux cheveux roux tombant en cascades bouclées.

Madeleine : Pourquoi est-ce que tu pars toujours aussi vite? Tu ne me laisses même pas une chance de te mettre la main dessus!

Maxime : Oh! Navré, Madeleine! Il faut vraiment que j’y aille. À demain!

Madeleine : Ne crois pas que je vais t’oublier!

Maxime (s’enfuyant) : Au revoir!

Il courut jusqu’à sa voiture et chercha ses clés dans les poches de sa veste beige. Il finit par les trouver et après avoir déverrouiller, il s’engouffra sous le toit de fer pour démarrer immédiatement.

(…)

Maxime poussa la porte battante et il pénétra dans la garderie avec empressement. Une fillette aux cheveux de neige et aux yeux d’azur lui faisait face, les bras croisés sur sa poitrine, l’air sévère. Max se jeta à genoux devant elle et il lui baisa les pieds, suppliant.

Maëlys : Ça ne marchera pas cette fois, papa. Lève-toi.

Il lui obéit, misérable.

Maxime : Je m’excuse pouchinette. Le cours a vraiment été long et je n’arrêtais pas de penser à toi, mais le professeur diabolique n’arrêtait pas de parler!

Ce disant, il imita méchamment son professeur et la jeune fille dut dissimuler son sourire. Finalement, quand elle se lassa des blagues de son paternel, elle hissa son sac rose en forme d’éléphant sur son épaule et elle s’éloigna dignement.

Maëlys (avant de franchir le seuil) : Tu m’avais promis que tu ne serais plus en retard.

Elle disparut. Maxime, planté là comme un imbécile, se mordilla la lèvre inférieure, à moitié honteux et à moitié nostalgique.

Maxime : Tout comme sa mère!

*

*

Étienne, vêtu d’un t-shirt blanc tâché et d’une vieille paire de jeans déambulait dans le garage, un outil à la main. Il se glissa sous une voiture, cherchant à réparer un ennui mécanique. Sous la voiture voisine, un collègue s’affairait à trouver le problème ayant conduit le client à venir la porter au garage. Il soupira, découragé.

Collègue : Cette vieille folle a dû tout imaginer! Son automobile est en parfaite santé!

Il resta tout de même là, au cas où la solution lui exploserait en plein visage. Étienne, silencieux, savait bien où il allait contrairement à son copain de travail.

Collègue : Au fait, tu déménages bientôt avec ta petite amie, hein?

Étienne, visiblement dérangé, s’immobilisa quelques secondes avant de continuer sa réparation avec ce calme qui le caractérisait.

Étienne : Ce n’est pas ma petite amie.

Son voisin s’esclaffa.

Collègue : Donc, tu vas habiter avec une simple copine? C’est ça? Et tu penses que je vais gober ça?

Étienne roula des yeux, agacé.

Étienne : Pourquoi je te mentirais?

Collègue : Tu es si discret, tu ne veux pas qu’on sache une seule petite chose sur toi.

Étienne : Parce que ça ne te regarde pas.

Il sortit d’ en-dessous du véhicule et souleva le capot pour s’assurer que tout était bien à sa place et fonctionnel.

Collègue : Et tu vas me dire que sa fille, ce n’est pas la tienne?

Éti ne se donna même pas la peine de répondre et il examina l’intérieur de l’automobile de son collègue. Il poussa le bras recouvert de cuir gris de la position D à la position P, un petit sourire moqueur sur les lèvres.

Étienne : Essaie-la maintenant, elle devrait marcher.

*

*

Christian essayait de ne pas paniquer en voyant tous ces gens crier leurs commandes. « Un gin! », « Une crème de menthe! », « Une Molson! », « Un sex on the beach! », etc. Les autres barmen étaient en pause alors que c’était la folie furieuse! Christian avait envie de se cacher sous le comptoir tant la foule semblait impatiente et agressive. Il fit un drink pour une fille qui n’avait sûrement pas l’âge de sortir dans les bars, puis il entendit le téléphone sonner. Il fit signe d’attendre aux nombreux client qui tapaient du pied ou fulminaient carrément en levant les bras au ciel. Il décrocha le combiné.

Christian : Oui?

Maëlys : C’est Maëlys.

Christian : Salut ma cocotte! Ça a bien été à l’école aujourd’hui?

Maëlys : Oui, mais papa a encore été en retard.

Christian : Ah! Méchant papa! C’est horrible de te faire ça!

Maëlys : Tu es dans la boutique de jouets, là?

Christian observa la salle enragée et il évita de justesse une bouteille de bière lancée par un ivrogne.

Christian : Oui, tout à fait, cocotte. Dans la boutique de jouets.

Maëlys : Pourtant, il est tard pour acheter des cadeaux, non?

Christian se cacha finalement sous le comptoir.

Christian : Ne soit pas idiote, Maë! Les parents viennent tard, pendant que leurs enfants dorment. Une surprise doit rester secrète.

Maëlys : Ah! Il y a beaucoup de bruits…

Christian : Oui! Il y a beaucoup de parents, aussi. Allez, va te coucher! J’irai te donner un câlin en rentrant.

Maëlys : D’accord. Bonne nuit.

Christian : Bonne nuit, Maë.

Il raccrocha et prit une grande respiration avant de refaire surface.

*

*

Flo déposa ses clés sur la table d’entrée et elle défit son chignon nonchalamment en soupirant. Elle s’arrêta un instant, songeuse, puis elle sursauta en entendant quelqu’un accourir vers elle. Dorianne, sa fille, se montra, le nez rougi par une vilaine grippe.

Dorianne : Gougou Baban!

Floriane : Salut ma chérie!

Elle la prit dans ses bras et l’embrassa sur le front. Elle était si heureuse en cet instant! Après une journée de travail épuisante, il n’existait pas récompense plus réjouissante que celle de voir sa douce enfant. Lorsqu’elle était née, elle avait reçu tant d’amour que Floriane était surprise que cela ne lui soit pas monté à la tête. La fillette, contrairement à la plupart des gosses de cet âge, n’était pas égoïste, méchante ou calculatrice envers l’autorité afin d’obtenir ce qu’elle voulait. Certes, ce n’était pas la plus intelligente, mais elle était d’une tendresse touchante et d’un soutient irremplaçable. Les autres gamins profitaient malheureusement de sa gentillesse, à la garderie. Souvent, elle ne pouvait pas s’amuser avec les plus beaux jouets ou elle ne pouvait pas s’amuser du tout. Pour y remédier, Floriane lui avait acheté un magnifique toutou en forme d’hippopotame et la petite l’avait baptisé Fripouille.

Dorianne : Suzabe a pis soin de boi.

Comme pour le confirmer, Suzanne arriva en souriant, une tasse de lait au miel fumant entre les mains.

Floriane : Salut maman!

Suzanne : Salut Floriane. Ta journée s’est bien passée?

Floriane : Oui. Comme d’habitude. Est-ce qu’elle en a pour encore longtemps à tousser et à moucher comme ça?

Suzanne : Ça semble vouloir se tasser.

Floriane : Bien!

La grand-mère se pencha sur sa petite fille en lui tendant la tasse.

Suzanne : Prends ça, trésor. Ça va faire du bien à ta gorge.

Dorianne : Berci. Bonne buit!

Suzanne lui ébouriffa les cheveux avec amour.

Suzanne : Bonne nuit.

Elle s’éloigna pour aller rejoindre Carl dans la cuisine. Floriane conduisit sa fille vers sa chambre et elle l’allongea sous les couvertures saturées de Bambi! Après qu’elle ai terminé son lait au miel, Floriane lui chanta deux ou trois berceuses pour l’endormir. Quand la jeune fille ferma les yeux, sa mère l’observa longuement sans oser la toucher, par peur de troubler son sommeil. Mentalement, elle remerciait Dieu de lui avoir accordé un cadeau aussi précieux. Elle devina les détails du petit corps recroquevillé sous la couette. Elle le connaissait par cœur et elle trouvait cela étrange à imaginer, mais un jour, cette même enveloppe charnelle deviendrait celle d’une femme accomplie. Sur ces pensées, Floriane finit par se lever et quitter la petite pièce qui avait autrefois été un bureau.

*

*

Maxime prenait des notes en se fiant au discours plus qu’ennuyant de son professeur de philo. Ce dernier parlait du même ton monotone ponctué de bruits de déglutition pénible. La moitié des étudiants avaient leur tête posée sur leur paume qui s’improvisait douillet oreiller. La cloche annonçant la fin du cours retentit, les délivrant de cette séance de résistance au sommeil. Max rangea ses feuilles dans son cartable parfaitement ordonné et il glissa celui-ci dans son sac bourré de bouquins tous plus compliqués les uns que les autres. Alors qu’il s’apprêtait à quitter le local, deux étudiantes s’approchèrent, un sourire aux lèvres. L’une d’elles était Madeleine, tandis que l’autre, une pulpeuse brunette était Diana, si Maxime se souvenait bien. Madeleine passa une main aux doigts déliés dans sa tignasse rousse, puis elle lança un regard à sa copine.

Diana : Hé! Max! On sort au DirtyLounge ce soir et vu que je serai avec mon copain, Tyler, Mad a peur de se sentir de trop. Ça nous arrangerait beaucoup que tu viennes.

Maxime : Oh! C’est que…

Madeleine posa sa main sur le bras de Max, suppliante.

Madeleine : Allez! Sois gentil! On pourrait s’amuser… tous les quatre.

Maxime fit semblant de réfléchir alors que dans sa tête, la réponse était déjà toute faite.

Maxime : Non, désolé, je ne peux pas. J’ai promis à mon meilleur ami que nous irions quelque part, ce soir.

Diana : Tu peux l’inviter.

Comment allait-il faire pour s’en tirer maintenant? Il fit un pas vers la sortie, embarrassé.

Maxime : Oh! Euh… En fait, nous avions prévu sortir de la ville. À demain, les filles!

Il disparut pendant qu’elles soupiraient et levaient les yeux au ciel.

*

*

Le camion de déménagement se stationna devant l’appartement de briques rouges et deux hommes bien solides sortirent des places conductrices et passagères pour se rendre à l’arrière afin d’ouvrir les portes. Une petite auto s’engagea dans l’allée et en descendirent Floriane, Étienne, Dorianne, Suzanne et Carl. Ils se mirent tous à transporter les boîtes dans la nouvelle demeure tout en se criant des instructions et des plaisanteries. Suzanne et Carl prirent Floriane à part tandis qu’Étienne s’occupait du reste des cartons, aidé de Dorianne qui transportait ses jouets un à un.

Suzanne : Chérie, si tu n’es pas certaine, tu sais qu’il n’est pas trop tard.

Floriane leva les yeux au ciel, découragée par la surprotection de ses parents.

Floriane : Il est trop tard, maman! Nous avons signé les contrats et dans une heure, ce sera chose faite.

Carl : Oui, mais ma chérie, nous pouvons arranger tout ça.

Floriane : Je n’y tiens pas, papa! Je veux voler de mes propres ailes, maintenant. Je suis assez vieille pour ça, je suis majeure même! J’ai la maturité nécessaire pour vivre seule… enfin… sans vous, quoi.

Ses parents se jetèrent un regard tristounet qui irrita Flo.

Suzanne : C’est plus sûr chez nous, Floriane. Tu le sais bien! Nous ne pensons qu’à ta sécurité et à celle de Dorianne. Si quelque chose venait à vous arriver, nous nous en sentirions coupables pour le restant de nos jours, ça c’est certain!

Floriane : Arrête de dramatiser comme ça, maman! Tu te fais du mal pour rien. C’est sûr ici. Et je sais prendre soin de ma fille quand même! Et ce n’est pas comme si je te privais de notre présence à tout jamais : je désire seulement vivre sous ma propre autorité et non sous la votre comme je le fais depuis ma naissance. J’ai grandi, vous le voyez j’espère!

Suzanne : Oh! Mais bien entendu que nous le voyons et nous sommes très fiers de la fille… femme que tu es devenue! Crois en notre parole! Cependant, ce monde est dur Floriane et malgré cette grande responsabilité qui te caractérise, j’ai bien peur que tu ne sois pas totalement prête à affronter tout ça.

Floriane prit une grande respiration afin de ne pas céder à la colère bouillante qui l’habitait. Ses parents n’avaient jamais eu complètement confiance en elle! Elle détestait cela!

Floriane : Je vais apprendre de la vie, maman. Rien n’instruit plus que l’expérience. Où avez-vous appris à vivre, vous? Vous avez essayé et parfois triomphé, parfois tiré des leçons. Vous m’avez élevé correctement, grâce à ces leçons. Alors, Nom de Dieu, laissez-moi ex…

Carl : Mais nous étions plus âgés que toi, ma chérie…

Floriane : VOUS ÊTES ÉTOUFFANTS! Laissez-moi partir, bon sang! Qu’importe le fait que je sois plus jeune que vous l’étiez quand vous m’avez eue? Est-ce que j’ai négligé ma fille une seule fois depuis qu’elle soit venue au monde? Non! Est-ce que je vous ai confié mon rôle de mère? Non! J’ai toujours pris soin d’elle et j’ai toujours été là pour elle. Tout ce que je vous demande, c’est de me faire confiance au moins une fois dans votre vie! S’il vous plaît! Faites ça pour moi! Pitié!

Ses parents se turent et parurent réfléchir durant plusieurs secondes. Dorianne les rejoignit, accompagnée de son toutou Fripouille.

Dorianne : Maman! Étienne dit qu’il a besoin de toi pour trouver où mettre un des cartons.

Floriane dévisagea ses parents un instant, puis elle alla porter secours à son nouveau colocataire.

*

*

Christian tartina sa rôtie de caramel, puis il se versa un café bien noir avant de vider d’un trait son jus d’orange matinal. Ses cheveux étaient ébouriffés  et sa robe de chambre était jetée négligemment par-dessus ses boxers décorés de striures bleues et noires. Il commença son déjeuner, vraisemblablement épuisé à cause de son travail ayant pris fin aux petites heures du matin. Il se jura de démissionner de son métier de barman dès qu’il pourrait se payer des études dans un quelconque domaine encore inconnu. Ses cernes violettes soulignaient la fatigue de son regard habituellement si téméraire. Christian fronça les sourcils lorsque Maxime, vêtu d’une chemise marine et d’un pantalon beige, fit son entrée dans la cuisine. Son aspect était impeccable et Christian se doutait bien qu’aux côtés de son copain, il devait faire plutôt pitié! Devinant agilement la raison de cette propreté,  Christian reposa son café et fixa gravement son colocataire. Maxime démontrait une détermination de fer, même vis à vis de la désapprobation de Chris. Ce dernier le lu dans ses yeux et il secoua négativement la tête, cherchant à faire connaître son désaccord même s’il savait que cela ne changerait rien. Maëlys apparut aux côtés de son père, vêtue d’une jolie robe jaune.

Maxime : Vas m’attendre dans l’auto, Maë.

Celle-ci obéit sans toutefois manquer de montrer qu’elle n’aimait pas se faire donner des ordres.

Maxime : Je sais ce que tu penses.

Christian : Ah! Bon? Tu es rendu devin?

Maxime força un gloussement.

Maxime : Rien qu’à te voir, ça me suffit. Je ne crois pas que tu puisses me comprendre.

Christian : Non, effectivement. Pourtant, je suis assez compréhensif de nature, mais là, ton truc, c’est carrément de l’obsession!

Maxime soupira, blessé par ces propos.

Christian : Je veux dire… Elle est morte, Max! Merde! Elle est morte il y a six ans et toi tu continues d’aller la voir comme si vous étiez toujours ensemble! Et ta fille? Tu y penses à Maë?

Maxime : Bien sûr que j’y pense! Elle est ce qu’il y a de plus important dans ma vie!

Christian : Alors, arrête de lui faire ça! C’est de la torture inutile que d’aller lui rafraîchir la mémoire sur sa mère qu’elle ne connaîtra jamais! Quelle image a-t-elle de tout ce cirque, hein? Tu voues un véritable culte, une véritable adoration à une morte! S’il te plaît, enseigne-lui qu’il vaut mieux aimer les vivants que les morts! Ce n’est pas saint ce que tu fais, mon vieux.

Maxime : Nous avons déjà eu cette conversation. Maë est ma fille et je sais ce qui est bien pour elle. Ne te prends pas pour son deuxième père!

Christian : C’est pourtant le cas, Max, que tu le veuilles ou non. J’ai changé ses couches, moi aussi. Je lui ai donné le biberon, comme toi. Et je l’ai dorloté et je l’ai fait rire et j’ai pris soin d’elle quand elle était malade. Je lui ai acheté des cadeaux, j’ai supporté ses crises de rage, je l’ai réconfortée, j’ai joué avec elle et je lui ai conté des histoires. Je l’ai emmenée au Zoo et au cinéma. Je me suis inquiété. Et tu sais quoi, tout ça sans être son père naturel. Tout ça en sachant qu’elle n’était pas de moi même si cet amour que je lui porte est inconditionnel et incommensurable. Tout ça en étant déchiré parce que ce n’est pas moi qu’elle appelle papa. Parce que moi, je suis Christian, le parrain, qui n’a jamais été fichu d’être aimé de la façon dont Jasmine et toi vous l’avez fait. Je suis son deuxième père. Laisse-moi au moins ça.

Mécontent contre lui-même de s’être révélé si émotif, Christian s’apprêta à disparaître dans sa chambre quand les paroles de son meilleur ami se firent entendre.

Maxime : Tu crois que j’ai tout et toi, rien, c’est ça?

Il ricana sans aucune joie.

Maxime : Tu veux savoir ce que j’ai? Moi, j’ai les regrets. J’ai le sentiment de ne pas être un bon père. J’ai le cœur brisé. J’ai l’âme en morceaux parce que celle à qui je l’avais offerte n’a pu la prendre. J’ai cet amour qui persiste alors qu’il serait mieux pour tout le monde qu’il soit éteint. J’ai cette colère et cette rage contre un homme à qui ne n’ai jamais parlé! J’ai tout, hein, Chris? Si tu veux, je te le donne ce « tout » là! Je préfèrerais n’avoir jamais aimé plutôt que de pleurer un amour si fort! Plutôt que d’être incapable de faire mon deuil! Tu veux que je renonce à aller voir Jasmine? Tu veux que je fasse comme si rien ne s’était passé? C’est impossible! Et Maë, je veux qu’elle sache que j’ai aimé sa mère et que cette dernière n’est pas si absente qu’il n’y paraît…

Christian ravala sa sensibilité et sa voix se fit plus dure qu’il ne le voulait.

Christian : Pas si absente? Max, elle est morte!

Un silence inconfortable s’installa, puis Maxime sortit.

*

*

Dorianne était assise sur un carton, tenant dans ses petits bras son Fripouille adoré. Une assiette remplie de pâtes au fromage traînait à sa gauche, abandonnée sans scrupules. Dorianne prit sa fourchette, tombée sur le sol, et elle la glissa dans le plat pour ensuite la coller contre la bouche de son toutou.

Dorianne : Mange, Fripouille! C’est bon!

Floriane, une boîte en mains, courait à gauche et à droite pour s’assurer que tout était à la bonne place. Elle remarqua sa fille, lui faisant dos, qui s’occupait à tuer le temps avec son meilleur ami hippopotame. Elle alla la retrouver et soupira en voyant le toutou tâché de sauce au fromage.

Floriane : Dorianne! Il ne faut pas nourrir les peluches, je te l’ai déjà dit!

Dorianne : Mais maman, il avait faim! Il n’arrêtait pas de pleurer et de dire que l’on s’occupait jamais de lui.

Floriane : Dorianne! Fripouille n’a pas besoin de notre nourriture et tu le sais très bien! Tu ne fais que le salir!

La fillette baissa la tête, honteuse, puis elle tâcha d’enlever la sauce de sur la bouche close de l’hippopotame, mais elle ne réussit qu’à l’étendre ce qui la fit éclater en sanglots.

Dorianne : Maman! Fripouille n’est plus propre! Est-ce que ça va s’ôter, maman? Est-ce qu’il va toujours être tout sal à cause de moi?

Floriane s’attendrit et elle s’accroupit en face de sa fille unique.

Floriane : Mais non, ma chouette. Je vais aller lui donner un bain et il sera comme avant. Seulement, ne le nourrit plus, d’accord?

Les yeux encore humides, la jeune fille acquiesça avec remords. Floriane la serra dans ses bras et lui caressa doucement le dos avant d’emmener Fripouille dans la laveuse.

*

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Maxime déposa une rose blanche sur la tombe faite en marbre de Jasmine. Il regarda l’inscription avec nostalgie, puis il baissa les yeux vers la photographie représentant la jeune femme lors de la soirée faite en son honneur afin de marquer son acceptation à Harvard. Maë, ayant cueilli des pissenlits sur le chemin, en entoura la rose. Elle agita vivement sa main en guise de salutations.

Maëlys : Salut maman! On est venu te voir, comme d’habitude. J’espère que tu es contente. Moi, je voulais te dire que je t’aime.

Sur ce, elle s’éloigna en courant, à la poursuite des oiseaux. Visiblement, elle ne comprenait pas le sens de la mort, mais son père avait tant insisté sur l’importance d’aller voir sa mère chaque semaine, qu’elle s’y était soumise même si elle n’en voyait pas l’utilité ou l’intérêt. Se rendre dans un endroit ennuyant afin de parler à une femme qu’elle n’avait jamais connue! Ridicule!

Maxime : Bonjour Jasmine. Comme tu vois, notre fille va bien même si elle a hérité de ton caractère un peu hautain. Oh! Je ne dis pas ça méchamment. J’aime pouvoir te voir à travers elle. Comme ça, je sais que je ne t’ai pas rêvée. En fait, je ne sais pas si c’est un soulagement ou le contraire. De me rappeler de tout ce qu’on a vécu ensemble, ça me remplie d’un sentiment de bien-être, mais quand je songe que tu es partie et que je ne pourrai plus jamais vivre ces moments, ça fait de moi un homme incomplet. Je recherche un bonheur que je ne pourrai jamais atteindre et pourtant, je le rechercherai toute ma vie. J’errerai ainsi toute ma vie. Il n’y a personne qui vaille la peine comme toi tu l’as value. C’est vrai, il y a six ans que tout cela est arrivé et je suis incapable de passer par-dessus. Nous venions de nous retrouver quand tu m’as échappé de manière si inattendue et si brusque! Oh! Juste à repenser à ce jour où le policier a sonné à ma porte, mon être de brise de nouveau. C’est une blessure béante que j’ai au cœur et elle saigne constamment. Ne me demande pas comment, mais je réussis quand même à adorer notre fillette. Sûrement parce qu’elle est le fruit de nos passions réciproques. Parce qu’il y a de toi en elle. Cependant, si après six ans, cette plaie n’a pas cicatrisé, je crois bien qu’elle ne le fera pas davantage en trente ans. Tu as été l’amour de ma vie et je t’ai perdu trop tôt. C’est un devoir de continuer à vivre, car tout ce à quoi j’aspire, c’est de te retrouver pour pouvoir me blottir de nouveau dans tes bras. Si je le pouvais, je resterais ici, sur ta tombe, pour te parler quand j’en ai envie. Tu ne peux pas savoir à quel point ça me manque de me réveiller à tes côtés et de t’observer dormir. Et d’unir mon corps au tien. Je m’ennuie de ta peau si douce et de tes sourires enfantins. De ton odeur et de tes cheveux si fins et si blonds.

Maëlys arriva derrière son père et elle posa sa main chétive sur son épaule.

Maëlys : Est-ce qu’on peut y aller maintenant, papa?

Celui-ci essuya son unique larme avec l’aide de son pouce, puis il se tourna vers sa fille. Il acquiesça avant de dire au revoir à Jasmine qui ne lui répondit pas.

*

*

Floriane haussa le volume de la radio et elle se mit à chanter à tue-tête par-dessus la musique, heureuse en cet instant. Étienne la lorgna avec un sourire en coin, puis il tourna à gauche pour se rendre sur la rue longeant le bord de l’eau.

Étienne : Es-tu contente d’être enfin sous un autre toit que celui de tes parents?

Floriane baissa le son et elle se pencha vers son meilleur ami.

Floriane : Quoi? Qu’est-ce que tu dis? J’ai pas entendu!

Étienne : C’est normal avec autant de bruits!

Floriane (riant) : Désolée! J’aime ça lâcher mon fou.

Étienne : J’aime aussi te regarder quand tu es folle! C’est marrant!

Floriane s’intima de ne pas rougir, puis elle tourna la tête pour ne pas que son colocataire remarque ses pommettes en feu!

Étienne : Je te demandais si ça te plaisait d’avoir ta propre maison, maintenant.

Floriane : Tu parles! C’est génial! Dommage que mes parents ne le prennent pas comme ça.

Étienne : Bah! Ils s’y feront!

Floriane remarqua que les élèves prenant place dans l’autobus les précédant lui faisaient des grimaces. Elle leur répondit pareillement, ce qui fit sourire de plus belle son ami. Soudainement, l’autobus dévia et en donnant un coup de volant, le conducteur envoya le véhicule dans les eaux froides du mois de septembre. Tandis que l’autobus s’enfonçait sous l’eau, les élèves criaient et martelaient les vitres de leurs poings. Tout ça se passa si vite que les deux amis prirent du temps avant de réaliser ce qui se passait. Ils se dévisagèrent et sortirent en même temps de leur automobile pour aller se jeter dans le lac glacial, au risque de leur propre vie.

*

*

Maxime courait après Maëlys sur le chemin du retour et ils riaient tous deux, amusés par ces jeux pourtant si simples. Maxime rugit pour imiter un monstre redoutable et en criant, Maë accéléra davantage, hésitant entre la peur et les rires. Elle manqua de tomber, mais se rattrapa au dernier moment. Max la frôla, mais elle s’élança de nouveau, bien décidée à survivre à ce monstre impitoyable! Tout à coup, elle s’arrêta brutalement et se mit à tousser. Maxime s’approcha et lui tapota le dos en attendant que ça passe. Seulement, plus le temps filait, plus elle s’écorchait les poumons dans une quinte de toux épouvantable. Il devenait évident qu’elle peinait pour respirer. Sa peau vira au rouge et elle s’écroula, incapable d’aspirer l’air pur de la banlieue. Maxime, commençant à paniquer, la serra dans ses bras et la leva sans difficulté pour se rendre à sa voiture à la course.

 

À suivre…