Tout Pour Toi
Épisode 2.02
Pourquoi Christian emmène des filles?
Ce fut
comme un vent de l’Antarctique qui s’engouffrait non seulement sous leurs
vêtements, mais sous leur peau également, entourant leurs pauvres os et les faisant
frissonner de l’intérieur. L’eau glaciale les mordait méchamment, tentant de
les faire renoncer au sauvetage. Floriane sentit ses membres s’engourdir, mais
elle continua d’avancer, se concentrant sur les cris qu’elle entendait et sur
les visages terrifiés qu’elle voyait. Elle pensa aux parents de ces enfants
apeurés et elle se dit que si cet accident arrivait à Dorianne, elle serait
extrêmement reconnaissante à ceux qui ont sauvé la vie de sa fille. Elle ne se
laissa pas abattre par le froid sans pitié du lac et elle força ses bras à
effectuer des mouvements circulaires. Chaque seconde, elle craignait cependant
de couler et de ne jamais pouvoir remonter pour dire au revoir à sa chère
fille. Étienne se démenait pareillement à ses côtés, guidé par un courage qu’il
ne se connaissait pas. Non loin derrière, trois motards tatoués ayant vu
l’accident les suivaient, montrant qu’il ne faut pas se fier aux apparences. La
petite compagnie arriva enfin à l’autobus qui commençait à sombrer sous l’eau
du lac. Les enfants heurtaient leurs poings contre les vitres, prisonniers.
Étienne fit signe à un jeune rouquin de baisser sa fenêtre et celui-ci obéit
avec difficulté. Quand ce fut chose faite, Étienne l’agrippa et il le coinça
sous son bras gauche tout en s’assurant que la tête du bambin restait à la
surface. Une brunette profita de l’ouverture de la vitre pour se glisser hors
du véhicule. Étienne lui fit mettre ses jambes autour de son dos, puis il s’en
alla vers la rive en nageant de peine et de misère. Le poids des deux gamins
gênait sa progression et cela l’emplissait de rage, car il songeait aux autres,
toujours pris à l’intérieur de l’autobus. Sur les rives, il vit un amas de
personnes qui s’improvisait spectateurs. À son grand soulagement, l’un d’entre
eux avait trouvé un canot et il se préparait à aller le remplir de gosses.
Rendu à une dizaine de mètre de la plage, Étienne demanda au garçon et à la
fillette s’ils pouvaient nager le reste et ceux-ci acquiescèrent tout en
pleurant. Étienne repartit vers le lieu du drame tout en sachant que les gens
iraient chercher ses deux protégés et qu’ils seraient sains et saufs. En
revenant, il croisa Floriane et un motard qui portaient respectivement une
blondinette et des jumeaux aux figures ravagées de pleurs. Les deux autres
motards revinrent également, accompagnés d’un quatuor larmoyant. Étienne
constata que bientôt, l’eau pourrait rentrer par les fenêtres, il se pressa
donc malgré tous ses muscles qui élançaient. Il gagna le véhicule en même temps
que l’homme au canot. Il fit sortir six enfants et les aida à grimper dans
l’embarcation de bois, mais l’homme l’assura qu’un de plus les ferait chavirer
à coup sûr. Sur ce, il rebroussa chemin, inquiet par les grandes vacillations.
Étienne s’occupa d’un noir d’environ 5 ans, découragé de voir qu’il restait
encore une quinzaine d’enfants prisonniers. Il remarqua que le conducteur avait
été assommé lors de la chute. Il gisait, inerte, la tête posée sur le volant.
Une fillette aux traits asiatiques était étendue sur le sol, inconsciente.
Étienne hurla si fort qu’il crut que ses poumons se déchiraient. Un désespoir
énorme s’installa en lui et il se mit à pleurer sans pouvoir s’arrêter.
Floriane le rejoignit.
Floriane :
Un homme avec un deuxième canot approche. Il pourra en prendre huit qu’il dit.
Des
rigoles commencèrent à s’infiltrer par les fenêtres, créant ainsi de minuscules
chutes qui affolèrent les petits.
Étienne :
Merde!
Il se
tourna vers l’homme qui ramait.
Étienne :
Plus vite! Plus vite, nom de Dieu!
Puis il
repartit avec le noir et une châtaigne au visage tuméfié. Elle devait se
trouver à l’avant lors de l’accident. Pourtant, malgré ses blessures, elle
gardait un calme réconfortant qui apaisa légèrement Étienne. Celui-ci ignorait
la douleur qui le tenaillait et il avançait, quoique trop lentement à son goût.
Sur la plage, il déposa les gamins et il s’apprêta à retourner lorsque la foule
se referma sur lui. Il mit du temps à comprendre ce qui se passait : les
gens l’empêchaient d’y aller en argumentant qu’il aurait une hypothermie. Il se
débattit et plongea de nouveau. Floriane enfouissait ses mains sous l’eau, par
les ouvertures, pour agripper les bambins qui se noyaient. Les motards
tentaient de l’aider, mais c’était peine perdue. Deux fillettes étaient assises
dans le canot, une couverture jetée négligemment sur leurs épaules, attendant
la suite. Floriane sentit une petite menotte saisir l’un de ses doigts et elle
s’y accrocha tout en criant sa joie au travers de ses larmes. Ce spectacle
était si pénible. Elle tira de toutes ses forces et réussit à sauver un
garçonnet aux yeux d’émeraude. Elle le tendit au canotier, se trouvant ainsi la
tête sous l’eau jusqu’à ce que le gosse soit sain et sauf. Étienne s’engouffra
à l’intérieur du véhicule, ce qui était fort imprudent. Les cris de Floriane ne
l’arrêtèrent pas. Il était décidé à en sauver autant qu’il le pouvait. Il
plaqua un corps contre le sien, puis un deuxième. Il les poussa hors de
l’autobus pour qu’ils puissent être récupérés par les sauveurs. Il sentit de
longs cheveux effleurer sa joue et il tâta pour trouver la jeune à qui ils
appartenaient. Il finit par l’agripper et au même moment, il comprit qu’il ne
pouvait rester une seconde de plus sans air. Il s’éclipsa, l’une des victimes
dans les bras, et il remonta à la surface pour aspirer une grande goulée d’air
froid qui crispa ses poumons douloureusement. L’un des motards le soulagea de
l’enfant et Étienne en profita pour replonger dans cet autobus maudit.
*
*
Christian
tourna à droite dans le long couloir sans fin et il scruta les numéros de
portes avant d’apercevoir celui que l’on lui avait indiqué : 207. Il
frappa trois coups et entra sans attendre de réponse. Maëlys dormait
profondément dans un lit, un masque d’oxygène plaqué sur son petit visage, et
Maxime l’observait fixement d’un air inquiet. Il ne se retourna même pas
lorsqu’il entendit son meilleur ami approcher derrière lui. Christian, oubliant
leur algarade du matin, posa une main réconfortante sur son épaule.
Christian :
Comment vas-t-elle?
Maxime
prit une grande inspiration sans détourner le regard.
Maxime :
Mieux. Le docteur m’a dit qu’elle était asthmatique. Elle va l’être toute sa
vie. Elle aura des pompes à prendre, etc., etc.
Christian :
Ah… C’est dommage, mais, tu sais, ça aurait pu être pire.
Maxime
se contenta de grogner.
Christian :
Quand est-ce qu’elle sort?
Maëlys
remua légèrement dans son sommeil, déplaçant ainsi la couverture que Max
s’empressa de remonter.
Maxime :
Le docteur veut la garder en observation pour aujourd’hui, mais probablement
que demain, elle pourra.
Les
deux amis restèrent silencieux durant un instant, puis ils prirent conscience
qu’ils se devaient des excuses. Maxime s’humecta les lèvres.
Maxime :
Je ne voulais pas dire tout ce que j’ai dit ce matin. Je sais que j’ai eu droit
à beaucoup de choses et que de ton côté, tu n’as pas toujours été gâté. Je sais
que j’ai obtenu plus que ma part de bonheur…
Christian :
Mais, au fond, tu as souffert plus que moi.
Maxime :
Oui, mais au moins, j’ai connu ça. J’ai connu l’amour, le vrai, et je sais ce
que c’est d’être père…Tout ça m’a apporté de si belles choses et tu n’as pas eu
cette chance là.
Christian
baissa la tête.
Christian :
Oh… J’ai encore le temps. Il me reste plusieurs années devant moi pour trouver tout
ça. Je ne devrais pas t’envier. Désolé, mec.
Maxime
ne put s’empêcher de sourire. Il y avait si longtemps que Chris n’avait pas
utilisé l’expression « mec »!
Maxime :
Ça va. C’est moi qui est désolé.
Ils se
serrèrent la main solennellement.
*
*
La journaliste
lissa ses cheveux une dernière fois, puis elle s’observa dans le petit miroir
circulaire qu’elle traînait toujours dans son sac à main. Elle sortit son rouge
à lèvre, pour mettre une retouche finale à sa bouche pourtant écarlate, puis
elle rangea tout. Étienne et Floriane commençait à s’impatienter, de même que
le caméraman qui n’osait pas le dire tout haut. La grande blonde fit enfin
signe à son collègue qu’ils pouvaient commencer. Elle saisit son micro et se
plaça près des deux colocataires qui se serrèrent un contre l’autre sous la
chaude couverture qui les protégeait de l’hypothermie.
Journaliste :
Je suis ici avec Floriane et Étienne, deux des personnes qui n’ont pas hésité à
sauter dans les eaux glaciales afin de sauver la vie des élèves de l’école
Saint-James. Floriane, qu’est-ce qui vous a poussé à commettre un acte aussi
héroïque?
Floriane
s’humecta les lèvres, légèrement nerveuse. Elle fixa une bout de bois qui
s’étendait sur l’herbe décolorée.
Floriane :
Oh… Euh… Avec le recul, je pense que j’ai songé à ma fille. Il lui arrive de
prendre l’autobus pour des sorties scolaires, alors… je me suis dit qu’elle
aurait pu être avec tous ces enfants. Je veux dire… Je savais bien qu’elle
n’était pas dans l’autobus, mais elle aurait pu… Pas aujourd’hui, mais un autre
jour… Enfin…C’est que…Je sais ce que c’est d’être parent et de s’inquiéter et
j’ai voulu rendre service à ceux qui n’étaient pas là pour le faire…
Elle
toisa la caméra durant une fraction de seconde, confuse.
Journaliste :
Et vous, Étienne?
Étienne :
Je ne me suis même pas posé la question : j’ai sauté. Ça me semblait tout
naturel.
Journaliste :
Plusieurs autres personnes ont également prêté main forte, n’est-ce pas?
Étienne :
C’est exact. Trois motocyclistes et deux hommes qui ont réussi à dénicher des
canots. Heureusement qu’ils étaient là.
Journaliste :
Que pensez-vous de cet accident, Floriane?
Floriane :
C’est terrible. Ça me chavire complètement de savoir que des parents attendront
vainement le retour de leurs enfants à la maison.
Une
larme roula le long de sa joue et elle s’empressa de l’essuyer.
Floriane :
Ça me détruirait si la même chose arrivait à ma fille. Je suis tellement
frustrée : j’aurais voulu tous les sauver, mais c’était impossible.
La
grande blonde se tourna vers la caméra avec un air triste. Elle jouait
drôlement bien la comédie cette coureuse de sensations!
Journaliste :
Rappelons-nous que vers 13h30 cet après-midi, le conducteur a perdu le contrôle
de son véhicule qui a sombré dans le lac Cantin deBeauce. Nous garderons tous
un souvenir tragique de ces évènements en raison des cinq élèves et du
conducteur qui y ont péri. C’était Nathalie Carbonne pour TvTruth.
Dès que
l’image s’éteignit, la journaliste retrouva un sourire flamboyant et elle serra
dynamiquement la main de Floriane et d’Étienne pour les remercier.
*
*
Au lieu
de regarder sa fille entrer dans l’édifice, Maxime y pénétra exceptionnellement
avec elle. Lorsqu’elle fut rendue dans la salle de jeu, il s’inclina vers elle,
inquiet.
Maxime :
Tu te souviens de ce que le docteur a dit, hein, chérie?
Ses
bras s’affaissèrent de chaque côté de son petit corps en geste de désespoir.
Maëlys :
Papa! Tu me l’as répété au moins vingt fois! Je sais! Je veux jouer maintenant!
Maxime :
Maë, ce n’est pas une chose à prendre à la légère! C’est de ta santé dont nous
parlons et si tu t’essouffles trop, il se reproduira la même chose.
Maëlys :
Je sais! Je sais! Je sais! Laisse-moi jouer maintenant! Papa poule!
Maxime s’offusqua
de l’empressement de sa fille, mais il se souvint qu’elle n’était qu’une enfant
et qu’il ne fallait pas la traiter en être responsable comme il tentait de le
faire trop souvent. Elle avait besoin de ne pas s’accaparer l’esprit avec des
choses aussi sérieuses. Elle devait profiter de sa jeunesse et laisser aux
adultes le soin de penser à sa place. C’est pour cette raison que Max alla tout
expliquer à la gardienne qui lui promit de bien la surveiller. Elle rangea sa
pompe dans une armoire et Maxime put partir en paix.
*
*
Floriane,
las, déposa la dernière assiette dans le lave-vaisselle qu’elle referma
immédiatement avant de le mettre en marche. Elle remonta les manches de son
chandail pourpre jusqu’à ses coudes et elle essuya son front avec le revers de
sa main. Près d’elle, Dorianne passa en courant et en criant.
Floriane :
Qu’y a-t-il?
Dorianne :
Il y a un monstre qui veut me manger, maman! Protège-moi!
Floriane
avait envie de répliquer que les monstres n’existaient pas et que Dorianne lui
donnait mal à la tête en courant ainsi de droite à gauche. Tout ce
boucan! Cependant, elle se ravisa et se souvint de ses parents. Ils
s’amusaient souvent avec elle et elle adorait ça, étant jeune. Elle se força
donc pour l’amour de sa fille.
Floriane :
Tu as raison! Il est énorme! Oh! Mon Dieu! Sauvons-nous!
Ce
disant, elle glissa sa main dans celle de sa fille et elles s’élancèrent toutes
deux dans une direction, hésitant entre les cris et les rires. Floriane
entraîna sa fille dans la salon et elle se cachèrent derrière le divan en
tentant de reprendre leur respiration saccadée. Dorianne posa doucement un
doigt sur ses lèvres pour indiquer de rester silencieuse. Les deux filles
restèrent immobiles, les sens en alerte.
Dorianne
(chuchotant) : Il approche…
Floriane
jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et elle remarqua que la porte de la
chambre de Do était entrouverte. Elle se pencha vers sa fillette avec le moins
de bruit possible.
Floriane :
Si nous pouvons nous rendre à ta chambre, nous allons être en sécurité.
Dorianne
(les yeux agrandis) : Tu crois?
Floriane :
Oui. J’ai déjà lu que les monstres redoutaient les peluches plus que tout! Au
nombre de peluches que tu as, il n’entrera pas, c’est certain! Tu es prête?
Dorianne
se mordilla la lèvre, inquiète. Elle ne semblait pas sûre que ce plan allait
fonctionner. Elle se balança un peu d’avant en arrière, puis elle leva de
grands yeux naïfs vers sa mère.
Dorianne :
C’est que… j’ai un tout petit peu peur, maman.
Floriane
frôla de flancher : elle désirait rassurer sa fille et la serrer en lui
avouant que tout ça était un coup monté, qu’elle ne risquait rien, mais elle
savait que ça ne marchait pas comme ça avec les enfants. Ceux-ci ne pouvaient
plus faire confiance aux adultes quand ces derniers ne croyaient pas en leur
monde empli de monstres et de fées et d’animaux étranges.
Floriane :
Je ne le vois plus. Il n’est plus là. Profitons-en!
Elles se
ruèrent vers la chambre de Dorianne et poussèrent un soupir de soulagement. Au
même moment, quelqu’un sonna à la porte et les fit sursauter. Elles échangèrent
un regard.
Floriane :
Le premier qui y arrive est le meilleur!
Elles se
précipitèrent hors de la pièce et Flo fit exprès pour ralentir afin que sa
fille gagne. Celle-ci tourna la poignée et se retrouva face à son père et son
amoureuse, Jenna. Elle se jeta dans les bras de l’homme.
Dorianne :
PAPA!
Olivier :
Salut Do! Qu’est-ce que tu étais en train de faire, hein?
Il la
reposa sur le sol et adressa un sourire furtif à l’adresse de la mère de
l’enfant.
Dorianne :
On se sauvait d’un méchant monstre qui voulait nous manger. J’ai vraiment eu
peur, papa.
Floriane
ferma les yeux : quelle impression allait avoir Olivier maintenant?
Qu’elle s’amusait à effrayer sa gamine? Pour appuyer cette pensée, Olivier la
toisa sévèrement.
Olivier :
Hé! Bien! Comme c’est divertissant. Bon, as-tu tout ma chérie, nous allons au
Zoo!
Dorianne
se mit à sautiller sur place comme un chien devant lequel on brandit des
biscuits.
Dorianne :
Au Zoo! C’est génial, papa! J’ai hâte! On y va tout de suite! Maman peut venir?
Cette
question embarrassa légèrement tout le monde qui s’empressa de baisser les
yeux.
Olivier :
Ma chouette, je suis sûr que ta maman a beaucoup de choses à faire aujourd’hui.
Il n’eut
même pas le courage d’observer Floriane en disant cela. Dorianne se retourna.
Dorianne :
C’est vrai, maman?
Floriane
hésita, trouvant tentant de contredire son ancienne flamme, mais elle jugea
plus responsable de s’en abstenir.
Floriane :
Papa a raison, ma chérie. Allez-y, moi je suis débordée.
Un peu
déçue, Dorianne s’éloigna en agrippant la main de son père et de Jenna.
Floriane eut un petit serrement au cœur : elle avait peur que Jenna soit
plus gentille qu’elle et que Do en vienne à l’aimer davantage. Elle chassa
rapidement cette idée et alla s’occuper du lavage.
*
*
Maëlys
n’en pouvait plus : elle avait très soif! Son ventre la tiraillait et elle
n’était plus capable de rester étendue dans son lit. Elle prit donc son courage
à deux mains : elle posa un pied par terre, puis un deuxième, et elle
courut jusqu’à sa porte qu’elle entrouvrit lentement. Dans les escaliers, des
éclats de rire étouffés lui parvinrent. Elle sentait qu’elle faisait une chose
interdite : elle ne devait pas être debout quand les grands étaient
couchés. Seulement, sa soif ne pouvait pas attendre. Elle avança sa petite tête
dans le corridor pour voir d’où venaient les murmures et elle aperçut Christian
qui embrassait passionnément un belle rousse en laissant ses mains se balader
un peu partout sur ses courbes féminines et protubérantes par endroits. Maë ne
put s’empêcher de grimacer de dégoût, puis elle s’adossa au mur en attendant
que les deux adultes disparaissent dans la chambre de Christian. De faibles
gémissements s’échappèrent de dessous la porte et la fillette se demanda
pourquoi la jeune femme avait autant de difficulté à respirer. Elle devrait
peut-être lui apporter un verre d’eau? Elle décida que c’était une mauvaise
idée, car Christian serait sûrement furieux en la voyant encore levée. Elle
marcha sur la pointe des pieds jusqu’à la salle de bain, puis elle se hissa sur
le comptoir où elle ouvrit le robinet. Elle plaça sa bouche sous le jet d’eau
froide, puis elle redescendit de son perchoir et retourna aussi silencieusement
que possible.
Voix :
Continue! Continue! Continue! C’est boooooooooooooooooon!
Des
points d’interrogation se logèrent dans les pupilles de la gamine, mais déjà le
sommeil la gagnait et l’entraînait dans les bras de Morphée. Elle eut tout
juste le temps de rejoindre son lit que ses paupières se fermèrent.
*
*
Étienne
se versa un café auquel il ajouta du lait, mais pas de sucre. Ses rôties
sautèrent du grille-pain dans une synchronisation parfaite et il s’empêcha
d’aller les recueillir. Il étala du beurre qui fondit en un rien de temps.
Floriane fit son apparition, vêtue d’une robe de chambre rose bonbon qui lui
allait jusqu’à la mi-mollet. Elle ouvrit le réfrigérateur et mit quelque temps
à trouver un déjeuner convenable : des œufs. Elle s’affairait à tout
préparer quand Dorianne arriva, son pyjama de Gros Minet sur le dos.
Étienne :
Do! C’était amusant au Zoo, hier?
Les yeux
engourdis de sommeil s’éveillèrent en un rien de temps.
Dorianne :
Super! J’ai vu des lions et des girafes et des zèbres et des éléphants et des
tigres et des paons et des serpents et des singes et des… rhinocéros… et… heu…
Ah! Oui! Des perroquets! Des otaries! Des dauphins! Des ours! Des
gorilles! Des hippopotames, des lions… ah! Je l’ai dit déjà! Heu…
Étienne
esquissa un large sourire.
Étienne :
Y avait-il des panthères et des hyènes?
Dorianne :
Oui! Il y en avait tellement! C’était super! Et papa m’a acheté des bonbons et
un cornet et un hot-dog, mais il m’a dit de ne pas le dire à mam… Oups.
Floriane
cessa de retourner ses œufs et elle lorgna Étienne brièvement. Celui-ci
souriant toujours.
Floriane :
Ce n’est pas grave, ma chérie. Tant que ça ne devienne pas une habitude. Tu
sais que c’est mauvais pour ta santé.
Dorianne :
Oui, maman. Je m’excuse.
Elle
semblait regretter énormément. Étienne s’en rendit compte et il se leva pour
aller la faire tournoyer dans les airs, ce qu’elle adorait plus que tout. Elle
éclata de rire et oublia vite ses remords. Floriane ne put dissimuler son
sourire en voyant ces deux êtres qu’elle aimait tant s’amuser comme des petits
fous. Ses yeux bruns s’attardèrent sur le visage éclairé de son colocataire.
Elle se rendit compte qu’elle l’avait dévisagé une seconde de trop et elle riva
ses yeux aux omelettes lamentables qui s’étendaient dans la poêle. Étienne…
*
*
Maëlys
se versa un verre de jus d’orange et elle mordit à pleines dents dans ses
petites pains aux confitures de framboises. Face à elle, son père l’imitait
plus ou moins, son menton dégoulinant de gelée. Maë secoua la tête comme pour
désapprouver une telle maladresse.
Maëlys :
Papa, tu es dégoûtant.
Ce
dernier, prit sur le fait, fit comme s’il faisait exprès et il enfouit la rôtie
dans sa bouche tout en s’arrangeant pour que la moitié tombe sur la table ou
glisse sur sa figure maintenant collante. La jeune fille ne put cacher sa moue.
Elle dégusta son déjeuner avec dignité et propreté, la tête haute! Soudain, une
question sembla l’assaillit et elle reposa sa tartine.
Maëlys :
Papa…?
Celui-ci
se léchait les doigts avec avidité. Il arrêta son mouvement.
Maxime :
Quoi?
Maëlys
(embêtée) : Pourquoi Christian emmène des filles?
Maxime
(hébété) : Hein?
Maëlys :
Ben, tu sais… le soir… Il ramène tout le temps des filles à la maison.
Maxime
posa ses coudes sur l’angle de la table et il réfléchit quelques secondes,
embarrassé.
Maxime :
C’est que… il leur conte des histoires. Il les entraîne dans sa chambre et leur
raconte des aventures si passionnantes!
Maëlys
vida son verre de jus sans cesser de fixer son paternel qui avait l’air
ridicule avec son air sérieux tâché de confiture.
Maëlys :
Mais pourquoi crient-elles : « continue! Continue! C’est bon! »?
Maxime
eut un regard furieux pour son meilleur ami : il n’aurait pas pu être plus
discret, non?
Maxime :
C’est comme je te dis, Maë, ses histoires sont fascinantes et dès qu’il
s’arrête pour reprendre son souffle, ses auditrices le prient de continuer,
parce que c’est une torture de les faire attendre pour la suite.
Maëlys
(pas convaincue) : Ah!
Maxime
se remit à manger tranquillement, redoutant les questions de sa fille.
Maëlys :
Est-ce qu’il te les a déjà conté ses histoires à toi?
Maxime :
Non… Il n’en a jamais vraiment eu l’occasion.
Maëlys :
Et pourquoi est-ce qu’il ne me les conte pas à moi?
Maxime :
Bon! C’est l’heure d’aller te conduire à la garderie! Vas t’habiller en
vitesse!
Maëlys :
Réponds à ma question!
Christian :
Bonjour tout le monde!
Les
deux complices virevoltèrent vers le sujet de leur conversation, l’une
curieuse, l’autre furieux! Christian les observa tour à tour sans comprendre.
*
*
Dorianne
saisit les dizaines de petits pots rangés dans les armoires de la cuisinette,
puis elle les remplit d’aliments en plastique. Après quelques temps, elle
décida qu’il était temps de se faire à manger, elle déposa donc un maïs jaune
canari dans la poêle et elle attendit patiemment qu’il cuise. Pour passer les
minutes servant à la cuisson de son repas, Do s’amusa à découper des carottes
divisées par des petits rubans de velcro. Une autre fillette se plaça derrière
elle, les mains sur les hanches, la tête haute.
Voix :
Tasse-toi! C’est à mon tour de jouer avec la cuisinette!
Dorianne
se retourna lentement, n’étant pas certaine que l’intruse s’adressait à elle.
C’était la première fois de l’année qu’elle avait un jeu pour elle seule et
elle souhaitait en profiter! La plupart du temps, elle laissait les autres
enfants prendre tout ce qu’ils désiraient et elle se retrouvait avec des jouets
difformes qui avaient souffert au travers des années. Pour une fois, pour une
fois seulement, c’était elle qui était au jeu le plus intéressant. Dorianne
baissa les yeux, incapable de supporter le regard bleu glacial.
Dorianne :
Non. C’est à mon tour.
Voix :
Ôte-toi, Dorianne! Je veux jouer avec la cuisinette!
Dorianne :
Non, Maëlys. C’est à mon tour. C’est à moi, maintenant. C’est la première fois.
Maëlys
s’approcha vivement et elle saisit Do par les cheveux. Cette dernière se mit à
crier et à se débattre.
Dorianne :
Lâche-moi! Lâche-moi! Je veux jouer pour une fois! Juste une! Après, je vais
arrêter, promis!
Maëlys
la poussa et la fillette aux cheveux bruns bascula. Elle commença à sangloter,
meurtrie.
Dorianne :
Juste une fois!
Ses
larmes roulèrent sous son menton et ses bras enlacèrent ses genoux tremblants.
Do ne s’était jamais sentie aussi désolée et aussi triste. Elle avait failli
s’amuser avec le jeu de ses rêves, mais encore une fois, elle avait dû le céder
à une autre. Maëlys s’installa et fit la cuisine comme un vrai cordon bleu!
Pendant
ce temps, Dorianne l’observait, envieuse, chagrinée, seule…
*
*
Floriane
tendit une assiettée de pâtes blanches à un centenaire qui l’attrapa en
frémissant. Aussitôt, il plongea sa fourchette dans le repas fumant et il la
porta à sa bouche pour constater avec dépit que cette nourriture avait toujours
le même goût caractéristique des hôpitaux. Floriane tira sur son uniforme pâle
et elle laissa ses yeux errer par la fenêtre se découpant dans l’un des murs de
la salle de séjour. Une infirmière claqua ses doigts près de son oreille pour
la sortir de sa distraction, ce qu’elle fit immédiatement en sursautant. Elle
se surprit à regarder sa main où, autrefois, il y a peut-être 6 ans, un cœur
était dessiné, complété d’un nom… Éti. Floriane se surprit à penser que tant de
choses avaient changé depuis. Sa vie de reclus avait retrouvé une place
convenable et elle-même s’était trouvé un emploi moyennement bien payé. Elle
avait appris au jour le jour ce que c’était d’être mère, parfois un peu trop
supportée par ses parents qui tentaient, évidemment, de bien faire. Elle avait
pris soin de sa fille, aidée d’Étienne qui remplissait son rôle de parrain à
merveille. Elle travaillait toute la semaine sauf les vendredi, tandis
qu’Étienne se payait tous les jours, sauf le dimanche. Il leur devenait difficile
de se voir et se sentant éloignés de plus en plus, ils avaient décidé
d’aménager ensemble. Cette décision avait été prise rapidement, car Floriane
avait pour vœu le plus cher de partir de sa demeure natale. Maintenant qu’elle
y songeait, il y avait fort longtemps qu’elle n’avait pas eu de moment
d’intimité avec Étienne. Tous les deux étaient si absorbés dans leur travail et
par le bien-être de Dorianne, qu’ils n’avaient plus de temps à se consacrer
comme avant. Floriane s’ennuyait de son ancienne relation avec Étienne. Une
routine pénible s’était graduellement installée, leurs ravissant leurs petits
bonheurs.
Une main
se posa sur l’épaule de Floriane et celle-ci baissa les yeux vers Nicole, une
dame âgée en fauteuil roulant. Elle lui sourit et s’assit à ses côtés.
Floriane :
Bonjour Nicole! Ça va bien aujourd’hui?
Nicole :
Oui. À qui pensez-vous comme ça? Je le vois dans vos yeux : il y a
quelqu’un qui meuble une bonne partie de vos pensées!
Floriane :
Oui, en effet. Ma fillette, Dorianne. Je m’ennuie déjà d’elle! J’ai hâte
d’aller la chercher à la garderie.
Nicole :
Ne me prenez pas pour une idiote. C’est un homme qui vous préoccupe.
Floriane
perdit son sourire.
Nicole :
Je le sens. Laissez-vous aller, l’amour ne peut faire que du bien. Quand on
sait choisir la bonne personne, la vie qui s’offre à nous est si belle et si
bonne! Faites-moi confiance, Floriane.
La jeune
préposée aux bénéficiaires dévisagea son aînée, hésitante.
Nicole :
Dieu! Je n’ai pas eu d’autre amour que mon cher Albert. Je ne peux même pas
décrire avec des mots ce que je ressentais pour lui. Je l’ai connu en 1940
alors qu’il donnait des cours d’aviation à des novices qui désiraient aller
combattre les Allemands. Dès que je l’ai vu, j’ai su que ce serait mon époux.
C’était écrit dans le ciel. Nous avons discuté de la guerre pendant une bonne
partie de la soirée et il n’arrêtait pas de me taquiner : il disait que
j’étais trop intelligente et qu’il avait peur de faire mauvaise figure à mes
côtés. Il faut dire que mon père m’avait expliqué les causes de la guerre de
long en large et je savais de quoi je parlais! J’avais une opinion arrêtée sur
tout et je ne me gênais pas pour la faire connaître! Ça l’intimidait un peu, au
départ. Nous nous sommes fréquenté quelques mois : restaurants, cinémas,
théâtres, etc. Tous les lieux publics. Cependant, un vrai moment intime comme
dans les films, nous n’en avons eu qu’un : la veille de son départ pour
les lignes alliées. Nous avons passé la nuit à regarder le ciel et à compter
les constellations. Nous nous sommes avoués notre attachement l’un pour l’autre
et nous avons fait bien plus encore, mais la pudeur m’empêche de tout vous
dévoiler.
La dame
prit un moment pour sourire. Ses yeux étaient perdus dans le vague, revivant
chaque instant de cette fabuleuse histoire qu’était la sienne.
Nicole :
Il m’a promis qu’il reviendrait pour moi. Il a dit, je m’en souviens soixante
ans plus tard, il a dit : « C’est pour toi que je veux revenir.
Uniquement pour toi. » Je l’ai attendu si longtemps! Il me semblait
toujours qu’il réapparaîtrait, mais jamais ce n’était le cas et je me sentais
dépérir de jour en jour. Dès qu’une lettre arrivait, je m’empressais de la
décacheter, mais jamais ce n’était le message enflammé que j’attendais. Mes
parents ont commencé à me présenter d’autres garçons pour que j’oublie mon
amour, mais c’était peine perdue : je ne voulais personne, sauf mon
Albert. Ces cinq années se sont écoulées si lentement que j’ai eu l’impression
que je ne le reverrais jamais. Vers la fin, je me morfondais, apeurée à l’idée
de recevoir la nouvelle de son décès. Bon nombre de mes amies avaient perdu
leur prétendant dans cette guerre si cruelle et je redoutais qu’il arrive la même
chose à Albert. Je les voyais pleurer et pousser des hurlements à en fendre l’âme
et je ne voulais pas les joindre dans ces concerts de tristesse. Un jour, alors
que je faisais les courses, j’ai foncé dans une connaissance qui m’a appris que
la majorité des soldats partis de notre ville n’y reviendraient pas. Ils
avaient presque tous connu le pire sort. Je suis rentrée chez moi en pleurant
et quelqu’un est venu frapper à ma porte. Il a ouvert sans que je ne le lui
permette et il s’est mis à caresser mon dos. Et cette voix que j’avais tant
attendu a questionné : « pourquoi pleures-tu? »
Nicole
eut un sourire encore plus grand et elle croisa ses mains sous son menton.
Nicole :
J’ai sauté dans ses bras et je ne l’ai plus quitté depuis. J’ai profité de mon
mariage avec Albert pendant presque 30 ans, mais un cancer du poumon l’a fauché
la veille de ses 55 ans. Seulement, je survis, car je sais qu’il m’attend. Je sais
que j’ai vécu avec le seul homme que je pouvais aimer et quand j’étais avec
lui, chaque jour était si beau et prometteur! Nous avons eu deux enfants et
quelques disputes, mais surtout du bonheur. Cette relation m’a tant apporté que
cela m’attriste de voir les autres se priver. Comme vous… Vous n’avez pas à
hésiter! Foncez! Vous avez la vie devant vous, mais ça ne veut rien dire si
vous n’en profitez pas!
Floriane
eut un acquiescement reconnaissant pour la dame, puis elle se leva et s’éloigna,
consciente qu’elle était en retard dans son travail.
*
*
Tout
semblait paisible dans ce lac si calme qu’il avait des vertus de miroir. Le
soleil couchant y étalait un peu de ses couleurs de feu, voulant partager sa
beauté avec son élément contraire. Sur les rives, les quenouilles se penchaient
vers l’avant pour en capter le spectacle grandiose. Sur ces eaux tranquilles,
un corps vêtu d’un voile blanc flottait, blafard. Toutes lueurs de vie l’avaient
abandonné. Sur le visage pâle, deux yeux bleus se voisinaient, purs. De longues
mèches de cheveux blonds se déposaient sur la bouche et les joues du cadavre…
Elle qui habituellement les peignait pour qu’ils soient lisses…Jasmine…
À suivre…