<%@ Language=JavaScript%> Epilogue

Epilogue

Le voyage était devenu mon quotidien.

Je ne l’avais pas réalisé. C’est un ami qui m’a ouvert les yeux.

Je vivais avec mon sac à dos et mon guide Lonely Planet. J’arrivais quelque part, je cherchais une chambre, le plus souvent sans grand confort, et puis je partais me promener et visiter . Au bout de quelques jours j’avais recréé un cadre de vie : je connaissais les bus et j’avais mes habitudes au marché. Dans la journée j’aimais bien prendre des cours – yoga, cuisine, langue – et le soir je sortais régulièrement voir des spectacles.

Je lisais la presse locale et je m’intéressais à l’actualité du pays. En Inde je suivais les affaires de politique intérieure et la préparation des élections au parlement. Je me réjouissais à la lecture des exploits de la police qui, à la suite d’une information, avait réussi à arrêter un voleur de batteries de voiture. J’apprenais, dessins à l’appui, comment Saddam Hussein était tombé. Au Chili je vois que Jospin est venu faire un tour à Valparaiso. En Bolivie je vis au rythme quotidien des revendications pour un accès au Pacifique, j’apprend que le parti de Sonia Gandhi a, contre toute attente, gagné les élections et que Brigitte Bardot est condamnée pour racisme.

Tous les jours j’écrivais dans mon petit carnet pour bien me souvenir de chacun de ces moments extraordinaires que je vivais. J’ai ainsi rempli 4 petits carnets à la couverture de cuir noir, ceux là même qu’utilisait Bruce Chatwin.

Régulièrement j’avais des nouvelles de mes amis et de ma famille. Sporadiquement je pensais à mon « travail ». J’avais mon travail aussi : la mise à jour de mon site internet.

J’avais appris à vivre bien dans un confort réduit, à passer des heures dans des transports chaotiques, à me satisfaire d’une douche tiède et d’une chambre souvent monacale. J’occupais mon temps sans contrainte en essayant de profiter de tous les instants, conscient de cette période hors du commun – unique ? – que je m’étais accordée.

Parfois j’avais des coups de blues ou de fatigue alors soit je téléphonais moins, soit je téléphonais plus, soit je vivais au ralenti, soit j’étais dehors du matin à tard le soir. Mais jamais je n’ai vraiment eu envie de rentrer plus tôt.

Quand j’en avais assez, de la chambre ou de la ville, je fermais mon sac à dos et je partais.

 

Chaque jour je faisais plus confiance à ceux que je croisais sachant que ces rencontres dureraient de quelques minutes à quelques jours, des quelques mots échangés avec un rickshaw qui me raconte comment il a rencontré sa femme, à la semaine passée à marcher en compagnie d’un belge et d’un français dans un parc au Chili. Chaque jour je savais qu’il me restait un jour de moins.

Souvent le soir je m’endormais en refaisant mon voyage depuis le départ, depuis mon arrivée à Saint-Pétersbourg. Je repensais à tous les endroits où j’avais dormi, à ce que j’avais laissé de côté pour une prochaine fois…

Au fur et à mesure du voyage mon sac à dos avait changé : j’avais abandonné par mal de vêtements et de petit bazar inutile au profit d’une tente, d’un matelas de mousse et d’un réchaud. Mon petit carnet noir était devenu plus important que mon passeport et mon argent.

 

Et puis la fin s’est dessinée sur l’horizon. J’ai passé les 100 jours et les 200 jours de voyage, il ne me restait plus qu’un mois, dans une semaine je reprenais l’avion, encore 3 jours à La Paz, aujourd’hui c’est mon dernier jour. Un dimanche.

 

Le voyage était mon quotidien et ma façon de vivre.

 

Une dernière fois j’ai repris mon passeport – tiens je n’avais droit qu’à 30 jours en Bolivie et j’y étais depuis 40 jours – j’ai fermé mon sac à dos. Il était 4 heures du matin, le taxi m’attendait – la 4ème fois que je prenais le taxi en 9 mois – ça y est : je partais, je rentrais.

 

Je suis arrivé à Paris en peine forme, j’ai retrouvé ma ville et ma famille comme si je les avais quitté la veille. Je suis passé au bureau, pas grand chose de changé si ce n’est moi ! J’ai déballé 2 ou 3 choses. Et puis mes amis ont voulu me voir et puis mon téléphone s’est remis à sonner, et puis je voulais m’acheter une nouvelle moto.

J’ai retrouvé le CD que j’avais laissé en partant, j’ai relu le journal français.

J’allais bien.

 

À Paris j’ai trouvé qu’il y avait bien peu de bus et que c’était hors de prix. Dans le train qui m’emmenait à Strasbourg j’ai écouté de la musique et j’ai travaillé sur des textes avec mon PC. Mon Dieu que ce clavier était bizarre !

J’étais surpris d’entendre des gens parler français. Une de mes cousines était en train de divorcer. Tout était propre. J’avais envie de dire aux gens d’être heureux de leurs conditions de vie et d’arrêter de se plaindre et de critiquer. J’avais envie de raconter les statues de l’île de Pâque et la magie de Bénares.

 

Je suis retourné faire des courses dans un supermarché : il y avait bien trop de choses et c’était bien difficile de trouver ce que je cherchais… j’étais plus à l’aise avec mon marchand de yaourt à Varanasi et la vendeuse des 4 saisons à Cochabamba.

 

Ma vie était différente, bien différente. Dans le train j’ai eu peur. Et si je me trompais, et si j’avais changé ? Non, je devais continuer à vivre au présent et prendre ce qui était bon dans les minutes qui passaient. J’avais vécu comme ça pendant 9 mois, continuons !

Zut, j’aurais dû laisser un numéro de téléphone au cas où Papa n’aille pas bien… Non il était mort il y a 6 mois…

 

Et puis j’ai regardé mes photos. Les odeurs, les couleurs, les paysages. J’avais envie de raconter, d’expliquer, d’y retourner pour montrer sur place.

Mes photos de la Russie, de la grande muraille – les dernières que Papa ait vues de moi. Lhassa, 3 jours en attendant de rentrer… L’Inde, qu’il était beau ce lac à Pushkar, j’aurais bien aimé avoir une photo du rickshaw de Puri mais l’occasion ne s’est pas présentée. Ah ! la Thaïlande, quel record ! C’est vrai que j’ai eu de la neige à Dallas. Tiens me voilà au Chili. Ces 4 jours sur le bateau ont vraiment été agréables malgré le mauvais temps. Kauyi Kren, mon meilleur « hôtel » et mes premiers cours d’espagnol avec Lili. Huit jours de trek, le Périto Moreno, que la Patagonie est belle. Voilà les otaries d’Ushuaia. Zut il me manque un autoportrait dans la prison ! Et voici François sur l’île de Chiloé et me voilà à New York avec la Petite Maison. Que ça fume les geysers de San Pedro de Atacam, c’est du sel et pourtant on aurait pu se croire sur la neige. Potosi, une des villes les plus hautes du monde et là je descends dans la mine. À Samaipata on ne sait toujours pas qui a construit et sculpté le « fort ». Le Christ de Cochabamba est plus haut que celui de Rio de Janeiro, La Paz – La Paix – quelle ville étonnante, l’île du Soleil, les mystères de la civilisation de Tiwanaku. C’est fini…

 

Je n’ai pas le blues une vie nouvelle et belle m’attends. J’ai drôlement le blues, c’était tellement bien, tellement beau, il reste tellement d’endroits qui me font envie, tellement d’endroits où j’aimerais retourner. Reverrais-je Moscou, Varanasi et Valparaiso ? J’aimerais bien retourner dans le salar d’Uyuni et autour du lac Titicaca. Vais-je garder mon niveau en espagnol ?

 

Il faut que j’aille m’acheter une moto.