Colère & Violence
Comment éviter les débordements de colère intempestifs?
Comment canaliser sa colère pour la rendre créatrice? Comment empêcher sa
colère de devenir destructrice? Quelles sont les sources les plus courantes de
la violence? Quel est le rôle de la violence impersonnelle à laquelle nous
sommes exposés quotidiennement dans les médias?
Table des matières
Introduction
A- La colère canalisée
1- Deux versions du même problème
2- Comment se servir adéquatement de la colère
B- L'explosion de colère
1- Escamoter le processus de l'émotion
2- Recourir au bouc-émissaire
3- S'en prendre à un faux obstacle
C- En quoi consiste la violence
1- Qui est enclin à la violence?
2- Colère, violence et perte de contrôle
D- L'attrait pour la violence impersonnelle
Un exutoire à notre colère
Conclusion
Vous pouvez aussi voir:
Vos questions liées à cet article et nos réponses !
Introduction
Contrairement à une opinion populaire, la colère intense ne
conduit pas nécessairement à la violence. C'est seulement chez les personnes
déjà prédisposées à la violence qu'une forte colère débouche ainsi. Il faut
d'autres facteurs que la colère elle-même pour expliquer l'action brutale même
si, chez le violent, c'est souvent la colère qui sert de déclencheur.
À force d'associer l'agressivité à la violence, on en vient
souvent à vouloir réprimer l'expression de la colère elle-même. Mais cette
direction conduit directement à une impasse et à des conséquences néfastes qui
ressemblent étrangement celles qu'on voudrait éviter: plus de violence
destructrice.
Il est impossible de faire disparaître la colère; elle fait
partie du répertoire fondamental de la vie émotionnelle. Il s'agit d'une
émotion normale qui, comme toutes les émotions, est saine en elle-même. Comme
les autres émotions, elle est même nécessaire aux processus adaptatifs qui
permettent de conduire notre vie et nos rapports avec les autres.
On verra dans cet article que ce n'est pas refoulant sa
colère que l'on évite les débordements intempestifs, mais bien en la vivant à
fond, quelle qu'en soit l'intensité. Plus précisément, on verra que c'est en
canalisant sa colère qu'on la rend créatrice et qu'on l'empêche de devenir
destructrice. Enfin, je tenterai d'identifier les sources les plus courantes de
la violence et de cerner le rôle de la violence impersonnelle à laquelle nous
sommes exposés quotidiennement dans les médias.
A- La colère canalisée
1- Deux versions du même problème
Je cherche à extraire non nouvel ordinateur de sa boîte mais
l'empaquetage est serré et c'est difficile. J'arrive à peine à le faire bouger.
À répétition, le carton se referme sur mes mains. L'irritation me gagne petit à
petit. Mécontente je remue brusquement la boîte, ce qui n'arrange rien: ça
semble coincé. La moutarde me monte au nez.
Je lâche un hurlement de colère tout en empoignant le
récalcitrant avec une plus grande fermeté. Je tiens résolument la boîte entre
mes jambes et tire avec force. Il sort! C'est pas trop tôt, m'écris-je avec
humeur, mais quand même satisfaite d'avoir réussi. Entre temps le chat s'est
caché sous le lit et mon plus jeune enfant s'est mis à pleurer. Il n'est pas
habitué de m'entendre crier ainsi mais tant pis, ça m'a fait du bien!
Cette colère était intense et exprimée avec toute son
intensité. La même situation aurait pu déboucher autrement et avoir des
conséquences très différentes. Voici un deuxième scénario.
Je lâche un hurlement de colère et me mets à donner des
coups de pieds sur la boîte. Cela ne donne rien et me satisfait pas; j'empoigne
alors la boîte et la lance de toutes mes forces à l'autre bout de la pièce! Je
continue à vociférer contre le fabricant qui devrait être puni pour avoir fait
de pareils emballages et contre le vendeur qui aurait dû retirer lui-même
l'ordinateur de sa boîte. Le chat est disparu et les enfants sont immobiles et
silencieux dans le coin.
2- Comment se servir adéquatement de la colère
Dans ces exemples la colère est apparue comme une réaction
normale lorsque j'ai rencontré un obstacle important à l'atteinte de mon
objectif et elle a augmenté à l'apparition de chaque nouvelle barrière. C'est
toujours source d'une colère réelle: celle-ci est la réaction normale devant ce
qui s'oppose à ma satisfaction. (Voir "Agressivité et affirmation"
dans "Les émotions source de vie". Voir aussi la fiche analytique sur
la colère dans "La puissance des émotions".)
Toutes les émotions qu'on appelle "négatives",
servent à nous indiquer qu'un de nos besoins est en souffrance. La colère est
porteuse d'un message plus spécifique: elle est déclenchée par le fait qu'il y
a un obstacle. Quelqu'un ou quelque chose s'oppose à notre satisfaction.
Dans l'exemple présenté plus haut, j'éprouve de la
difficulté à retirer l'ordinateur de sa boîte. Devant cet empêchement, une
énergie proportionnelle à ma frustration est automatiquement créée dans mon
organisme. Cette énergie agressive est une ressource utile: elle me fournit des
ressources nécessaires pour m'aider à résoudre le problème. Pour m'en servir
adéquatement, il me reste à canaliser cette énergie dans la résolution du
problème. C'est ce que je fais dans le premier scénario de l'exemple.
Cette façon d'utiliser ma colère est la seule manière d'être
entièrement satisfaite. Il s'agit essentiellement de me servir de l'information
fournie par mon émotion pour me guider et d'utiliser l'énergie contenue dans ma
colère pour rechercher activement la satisfaction désirée.
Ce n'est pas ce qui se passe dans le deuxième scénario.
Celui-ci constitue au contraire un excellent exemple de mauvaise gestion de la
colère. Même s'il est beaucoup moins grave, mon geste destructeur s'apparente à
celui du conjoint enragé qui assassine la femme qui ne l'aime plus. Au lieu de
consacrer l'énergie de sa frustration à la reconquérir, à changer en lui-même
ce qu'elle ne supporte plus, il détruit l'objet de son désir. L'inefficacité de
son geste est évidente: non seulement le prive-t-il irrémédiablement de ce
qu'il voulait, mais en plus il l'entraîne dans un immense pétrin.
J'ai présenté ces deux exemples pour faire voir que la
colère n'aboutit pas nécessairement à un geste inapproprié ou à un acte de
violence. L'action sur laquelle débouche la colère dépend de plusieurs
facteurs. Voyons ce qui peut expliquer que la colère soit explosive plutôt que
canalisée.
B- L'explosion de colère
La colère éclatée est l'inverse de la colère canalisée; soit
qu'elle reste sans cible, soit qu'elle vise une mauvaise cible. On peut penser,
par exemple, à la personne qui tempête contre tout et tout le monde ou à celle
qui se soulage sur un bouc-émissaire. On peut évoquer aussi celle explose pour
se soulager, sans se soucier des conséquences. Il est évident que ces
manifestations de colère ne peuvent déboucher sur la satisfaction que par
accident.
Plusieurs facteurs peuvent conduire à une explosion de
colère. En voici trois que nous observons fréquemment.
1- Escamoter le processus de l'émotion
Comme nous l'avons souvent expliqué, nos émotions servent à
nous informer sur nos besoins immédiats et à nous signaler combien ils sont
comblés. Mais pour que l'émotion nous apporte toute son information et puisse
nous servir à bien répondre au besoin qui les déclenche, il faut que le
processus émotionnel se déroule bien. Lorsqu'elle est vécue adéquatement,
l'émotion traverse cinq phases et l'action (ou l'expression) qui permet de
répondre au besoin n'est que la dernière de ces cinq étapes du développement de
l'émotion. (Voir à ce sujet Les émotions source de vie, dans "La vie d'une
émotion".)
Si cette action expressive survient trop tôt dans le
processus, celui-ci est perturbé et ne peut donner ses résultats normaux. Dans
ce cas, l'expression verbale et le geste servent avant tout à nous débarrasser
de l'émotion. Nous faisons un "passage à l'acte" ("acting
out"), c'est à dire que l'action prématurée sert à éviter le ressenti en
l'évacuant avant qu'il soit vraiment éprouvé.
Par exemple, si j'explose dès que la colère monte, mon éclat
me permet de me défaire en partie du sentiment de frustration et d'en liquider
l'intensité. Dans ce cas, ma colère n'est pas canalisée sur une cible qui me
permettrait d'atteindre peut-être la satisfaction, elle ne sert qu'à me
soulager.
En plus d'éclater dès qu'elles sont en colère, certaines
personnes se préoccupent peu de la cible sur laquelle elles dirigent
l'expression de leur mécontentement. Souvent, les personnes qui sont dans les
environs sont celles qui écopent, même si elles ne sont pas concernées. Parfois
c'est contre lui-même que le violent dirige son agression (par exemple en se
blessant d'une façon plus ou moins accidentelle).
Les personnes qui vivent ainsi leur colère éveillent la
peur, chez elles comme chez les autres. On associe souvent le colérique à cette
façon de vivre ses émotions, sa colère en particulier.
2- Recourir au bouc-émissaire
D'autres ont besoin d'une cible; ils doivent absolument
trouver quelqu'un sur lequel déverser leur colère. Ils se soulagent
momentanément en attaquant quelqu'un ou en s'en prenant à un objet. La cible
est alors un exutoire plutôt qu'un vrai responsable, même dans l'esprit de
celui qui s'y attaque.
Dans ce cas également le processus est escamoté. Bien entendu,
ce comportement est loin de celui qui pourrait procurer une réelle
satisfaction. Le soulagement est souvent de très courte durée. Ceux qui sont
dotés d'un peu d'empathie se mettent bientôt à regretter leur geste, ce qui ne
les empêche généralement pas de recommencer.
3- S'en prendre à un faux obstacle
Pour me servir efficacement de ma colère, je dois m'en
prendre à l'obstacle réel. C'est ce que je fais dans l'exemple où je m'y prends
plus soigneusement et plus vigoureusement pour extraire l'ordinateur de son
emballage. Dans le deuxième scénario par contre, je m'attaque à la boîte parce
que j'estime qu'elle devrait me faciliter les choses. En fait, ce n'est pas
réellement le rôle de cette boîte!
Celui qui bat sa femme parce qu'elle veut le laisser s'en
prend aussi à un faux obstacle. À première vue, il semble que le refus de
celle-ci soit la source de son insatisfaction, l'obstacle qui l'empêche de
réaliser son désir. Mais ce n'est pas vraiment le cas car son épouse n'est
aucunement obligée de l'aimer ou de désirer la même chose que lui. Si elle veut
vivre à ses côtés, il faut que ce soit parce qu'elle y trouve son compte.
Aucune autre raison n'est vraiment acceptable car son existence n'est pas au
service de celle de son époux.
Dans cet exemple, l'obstacle réel à la satisfaction de
l'homme est plutôt sa propre incapacité. Il ne réussit pas à exercer une
attraction suffisante sur sa femme pour qu'elle souhaite vivre avec lui. (Voir
la fiche analytique sur l'amour dans "La puissance des émotions".)
Pour identifier l'obstacle réel à notre satisfaction, nous
avons besoin de nos ressources les plus évoluées. Il nous faut d'abord un
certain niveau de conscience de nous-même ainsi que la capacité d'analyser les
situations du point de vue de notre responsabilité personnelle. Il faut en plus
le courage de reconnaître notre responsabilité lorsqu'elle est en cause. Pour
cela, il est essentiel d'accepter la solitude existentielle, c'est à dire le
fait que "chacun est le seul responsable de sa satisfaction". Mon
expérience comme psychothérapeute me permet d'affirmer sans hésiter que
l'attitude contraire, celle qui consiste à se décharger de cette responsabilité
sur un autre, est la source de nombreux conflits interpersonnels insolubles.
La notion de responsabilité est donc cruciale dans la
gestion de la colère. Je dirais même que l'éducation à la colère ne peut
réussir sans une éducation parallèle à la prise en charge de sa vie. Mais
prendre la responsabilité de soi est exigeant. Il est tentant d'essayer de
l'alléger en niant la solitude inhérente à la vie car elle en découle
directement. (Pour plus des précisions sur la notions de prise en charge de ses
besoins, voir ici. Pour une élaboration intéressante de le thème de la solitude
existentielle, voir le chapitre "Implications existentielles" dans
"L'Auto-développement: psychothérapie dans la vie quotidienne".)
C- En quoi consiste la violence
L'acte violent est habituellement un mauvais choix pour
atteindre la satisfaction du besoin. Il l'est toujours lorsque l'action est
dirigée sur la mauvaise cible et presque toujours lorsque l'action posée est
destructrice. La vengeance ne fait pas exception à cette règle; elle est avant
tout une manière de soulager la colère plutôt qu'une action satisfaisante.
Si l'agressivité a si souvent mauvaise presse c'est en
partie parce que certains d'entre nous vivent leur colère sur le modèle de la
violence. Or les actes violents engendrent toujours des problèmes
supplémentaires (ordinateur en morceaux, vaisselle cassée, coeur blessé...).
Les personnes qui agissent avec violence en viennent rapidement à craindre la
colère elle-même. Même leur entourage hérite bientôt de cette crainte, avec
raison!
Quel genre de personnes fait le choix d'agir de façon
violente? Avant d'examiner cette question, précisons en quoi consiste la
violence.
Essentiellement, la violence est une atteinte à l'intégrité.
On dit qu'un choc à été violent s'il a fait des dommages importants.
Contraindre quelqu'un par la force physique ou psychique, brutaliser en guise
de répression sont des actes de violence. Lorsqu'on parle de violence pour
qualifier une action humaine, on réfère à une volonté de transgresser des
limites de l'autre et à un abus de pouvoir. (Voir la fiche analytique "La
violence".)
1- Qui est enclin à la violence?
Il est probable que toute personne soit capable de poser un
geste violent dans certaines conditions. Même une personne au caractère
pacifique peut agir avec une grande brutalité si les circonstances l'exigent.
Par instinct de survie, elle repousse le naufragé qui s'agrippe à elle en étant
consciente de mettre sa vie en péril, elle blesse cruellement son agresseur
afin de se dégager de son emprise. En fait, dans certaines situations, le
recours à la violence est nécessaire à la survie; la personne incapable d'y
parvenir souffre d'un sérieux problème.
Une personne pacifique peut aussi avoir recours à la violence
pour des raisons qui ne relèvent pas de la légitime défense: un père qui
s'attaque au violeur de sa fille, une mère qui abat l'assassin de son enfant.
L'agression qu'ils ont subie à travers l'être aimé est telle qu'ils estiment
légitime de riposter, quelles que soient les conséquences pour eux-mêmes. Dans
un tel cas, ils perdent la tête ou leur deuil est tellement dévastateur que
toute autre souffrance leur est égale. Seule la vengeance, pensent-ils, peut
les soulager quelque peu.
Plusieurs d'entre nous se méfient des personnes intenses et
notamment de celles qui sont capables de très grande colère. Mais la capacité
de vivre intensément la colère n'est pas en elle-même l'indice d'un risque de
violence. Au contraire, cette capacité garantit une certaine maîtrise car celui
qui peut exprimer sa colère avec justesse n'a pas besoin de la refouler. Par
contre, il arrive souvent que des gens apparemment doux et gentils, ne
manifestant jamais d'intensité dans leurs émotions, deviennent soudainement violents,
parfois jusqu'au meurtre. Ils ont si souvent réprimé leur colère qu'elle s'est
accumulée et transformée en une bombe à retardement. Au-delà d'un certain
point, il suffit d'un nouveau déséquilibre pour provoquer l'explosion: son fils
réplique et il le frappe.
La colère intense et sa libre expression ne sont donc pas
des indicateurs du potentiel de violence. Mais on peut identifier des facteurs
qui favorisent le développement des attitudes violentes. En voici
quelques-uns.
L'éducation
Dans certains milieux et dans certaines familles la violence
règne; elle fait partie intégrante du mode de vie. L'usage de la violence y est
valorisé. On sait par exemple de quel genre de brutalité les mafias sont
capables. On connaît des familles où les attaques à l'intégrité physique et
psychique par les "plus forts" est monnaie courante. Les victimes
d'abus sexuels et les enfants battus en sont les tristes témoins.
Dans ces univers, la brutalité et même la cruauté
apparaissent comme des signes de force et une qualité méritant le respect.
Aussi n'est-il pas rare de voir le fils imiter le père violent et reprendre son
rôle auprès de la mère et de la fratrie. Il n'est pas surprenant que les
enfants de ces cultures se calquent aux modèles qui y sont valorisés. Plus
tard, dans leur propre famille ou dans un gang, c'est par leur dureté, leur
insensibilité et leur potentiel destructeur qu'ils tenteront de se valoriser.
La distance émotionnelle
Certaines personnes sont généralement coupées de leurs
émotions, la colère y compris. Cette scission les amène à vivre leur colère
froidement, sans implication émotive. Ils posent alors leurs gestes violents
d'une manière "impersonnelle". Comme la colère ne peut être modulée
par le reste de leur expérience émotive ou par leurs valeurs, ils sont capables
de gestes extrêmes.
Mais plus encore, la scission qu'ils opèrent dans leur
expérience émotionnelle leur permet d'accomplir des actions extrêmement
violentes sans le moindre remords. On n'a qu'à penser au tueur à gage pouvant
abattre un inconnu de sang froid. Il le fait pour l'argent mais parfois aussi
pour gagner le respect de ses pairs.
La symbolisation déficiente
L'incapacité de symbolisation raffinée peut également amener
la colère à s'exprimer par des réactions violentes. L'habileté à nommer
précisément son expérience (symbolisation) est aussi un produit de l'éducation,
mais elle dépend aussi d'autres sources, notamment les mécanismes de
défense.
L'enfant de trois ans crie, tape, mord lorsqu'il est
furieux. Il ne dispose pas des habiletés intellectuelles pour agir autrement.
En d'autres mots, sa capacité de symbolisation se limite à l'expression
physique. Petit à petit pendant sa maturation, il gagnera l'accès à l'usage des
mots, ce qui lui permettra de symboliser son expérience émotionnelle de façon
plus subtile. Mais certains individus ne passent jamais au stade de
développement intellectuel qui leur permettrait une expression verbale adéquate
de leurs sentiments. Ils continuent d'avoir besoin des actions pour
extérioriser leur émotions de manière concrète.
On peut le comprendre, cette limite intellectuelle ne
facilite pas l'introspection et réduit d'autant la lucidité émotionnelle. Une
telle personne en vient facilement aux coups lorsqu'elle est furieuse et il
arrive souvent qu'elle ne se soucie pas d'identifier l'obstacle réel à sa
satisfaction.
Les abus physiques et psychologiques
Les personnes qui ont été victimes de violence au cours de
leur enfance sont plus susceptibles d'en manifester à leur tour à l'âge adulte.
Ce n'est pas le cas de tous ceux qui ont vécu sous la contrainte, qui ont été
battus ou violentés psychologiquement. Mais c'est généralement le cas pour ceux
qui sont encore habités par la rage. La plupart du temps, cette dernière est
profondément enfouie parce que sa puissance les effraie. Mais elles savent
instinctivement que cette rage pourrait resurgir et, probablement, devenir
dévastatrice. C'est pourquoi certains s'interdisent toute manifestation de
colère et évitent les situations qui pourraient déclencher une telle émotion
chez eux. La colère est à leurs yeux une émotion dangereuse car ils pressentent
qu'elle pourrait mettre le feu aux poudres, éveiller leur volcan.
Mais comme la colère est une émotion indispensable à la vie,
ces personnes doivent trouver le moyen de l'apprivoiser. Elles ont absolument
besoin de faire une démarche thérapeutique pour y parvenir. C'est ce travail qui
est nécessaire pour les aider à se libérer de la rage et leur rendre l'usage de
leur agressivité.
D'autres victimes d'abus ont trouvé le moyen de ne pas
réprimer leur rage. Ils la manifestent au contraire constamment à travers des
gestes violents. Souvent cet exutoire consiste à faire souffrir des individus
vulnérables ou dépendants comme leurs enfants ou leurs animaux
domestiques.
2- Colère, violence et perte de contrôle
C'est avec raison qu'on se méfie des gens violents car on ne
connaît pas les limites de leur brutalité. Certains sont susceptibles de perdre
le contrôle, mais d'autres ont recours à la violence en gardant la tête froide.
Ceux dont la rage est réprimée sont les plus susceptibles de perdre le
contrôle, même s'il est contraire à leurs valeurs de devenir violents. Ils se
méfient d'eux-mêmes et nous incitent à demeurer sur nos gardes lorsqu'ils sont
en colère ou pourraient le devenir.
D'autres anciennes victimes de violence adoptent le
comportement de bourreau dans leur vie présente. Ils sont eux aussi
susceptibles de perdre le contrôle, d'une part, parce que leur conscience
d'elles-mêmes est déficiente, et d'autre part, parce qu'ils refusent la
responsabilité de répondre à leurs besoins, ce qui les amène à s'en prendre à
des innocents lorsqu'ils sont frustrés. Ils trouvent toujours un bouc-émissaire
sur lequel déverser leur rage et se venger lorsqu'on ne se soumet pas à leur
volonté. Il vaut mieux se tenir à distance si on tient à sa peau!
D- L'attrait pour la violence impersonnelle
Un exutoire à notre colère
N'est-il pas paradoxal que colère soit considérée comme une
émotion à bannir mais qu'en même temps nous y soyons de plus en plus exposés
par le cinéma, les journaux et la télévision? Si les médias obtiennent autant
de succès en faisant l'étalage de la violence, si les actes de brutalité nous
sont exposés aussi crûment, c'est qu'il y a preneur. Paradoxalement, bon nombre
d'entre nous sommes attirés par la violence et la morbidité. Nous disons que
nous sommes curieux, que nous voulons nous tenir informés, mais ces
rationalisations cachent des raisons plus pertinentes.
Je partage l'opinion exposée dans "L'agressivité
créatrice" à l'effet que l'attrait pour les scènes de violence constitue
un exutoire à notre propre agressivité. La plupart d'entre nous tolérons mal la
nôtre et celle de nos proches mais nous assistons fascinés à des scènes
d'agression. La distance maintenue par la nouvelle ou la fiction nous permet de
nous substituer aux protagonistes sans culpabilité ou encore de nous délecter
sans remords du spectacle. Cela équivaut à une soupape pour évacuer la colère
de tous les jours que nous réprimons parce que nous n'osons pas la vivre.
On pourrait se demander ce qu'il adviendrait de notre propre
colère réprimée si nous bannissions en plus les manifestations sociales
impresonnelles de l'agressivité. Quel exutoire nous resterait-il alors? Une vie
sans colère est impossible car celle-ci est une réaction saine devant un
obstacle et elle fournit l'énergie nécessaire pour le vaincre. Tenter de la
bannir c'est faire fausse route. Il faut plutôt nous soucier d'apprendre à nos
enfants à la vivre d'une manière constructive. Lorsqu'elle fait partie de nos
émotions normales, nous avons moins tendance à vivre notre agressivité par
procuration. Dès que nous serons assez nombreux à mieux assumer notre
agressivité, les médias seront bien forcés d'inventer d'autres façons d'attirer
notre attention.
Conclusion
S'il faut se méfier de la violence quelle qu'en soit la
forme et les raisons, il n'est pas opportun de nous méfier de l'agressivité et
de la colère. Nous devons au contraire réhabiliter la colère en apprenant à la
vivre d'une manière constructive. Si nous y parvenons, elle deviendra à nos
yeux une émotion précieuse parce c'est elle qui nous fournit la force
nécessaire pour régler les situations problématiques. Alors, le fait d'être en
colère envers des êtres qui nous sont chers n'est plus une expérience à
prohiber, bien au contraire. Car cette émotion nous éclaire sur ce qui manque à
notre satisfaction et nous donne l'énergie nécessaire pour y remédier.