La jalousie
Table des matières Introduction A- Jalousie et existence jalouse B- Caractéristiques de l'existence jalouse
C- La source de la jalousie D- Comment sortir de la jalousie
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L'amour peut-il exister sans la jalousie? Lorsque nous choisissons d'accorder à quelqu'un une place prépondérante dans la satisfaction de nos besoins affectifs les plus importants, nous disons que nous aimons cette personne. Or cette place de choix correspond à une dépendance qui conduit facilement à la jalousie. On peut donc dire que l'amour et la jalousie sont des expériences indissociables.
Mais la jalousie n'est pas un problème en soi. Elle n'est que l'indice de la présence d'un problème; elle naît avec l'insatisfaction et l'insécurité. On éprouve de la jalousie lorsqu'on n'est plus satisfait auprès de la personne qu'on a choisi de privilégier et plus particulièrement lorsqu'on craint de perdre cette source de satisfactions importantes.
La jalousie peut donner lieu à des comportements destructeurs qui sabotent les fondements de la relation. Mais elle peut aussi servir de déclencheur pour nous amener à régler les problèmes personnels et conjugaux qui en sont la vraie source. C'est à nous de choisir entre la jalousie-émotion et l'existence jalouse.
L'émotion de jalousie amoureuse est une expérience précieuse. L'envie qu'elle contient nous informe sur nos besoins en souffrance. La part de colère qui en fait également partie constitue une porte d'entrée sur nos problèmes personnels par rapport à ces besoins ainsi que sur nos résistances à ceux-ci.
Comme toutes les émotions, la jalousie n'est donc ni mauvaise ni bonne en soi, même si c'est une émotion souffrante. Sa mission spécifique consiste à révéler à la fois un besoin frustré et les obstacles intrapsychiques à leur satisfaction. Un contact adéquat avec cette émotion ne conduit pas aux gestes destructeurs qu'on associe à tort à l'agressivité qui fait partie de la jalousie. Au contraire, il permet de régler le problème qui suscite cette émotion (Voir La vie d'une émotion).
Thomas a été intensément jaloux durant le dîner avec des amis. Eugénie l'a négligé et flirté sans arrêt avec ses copains.
Il est furieux et lui exprime avec toute l'intensité qu'il ressent. Il lui dit combien il a eu mal qu'elle n'ait aucun regard pour lui et qu'elle ait été toute tournée vers ses copains. Il lui dit toute sa colère de l'avoir vue séductrice avec eux et presque froide avec lui. Il est triste et choqué et ne s'en cache pas.
Eugénie est profondément remuée. Elle ne s'était pas arrêtée à l'effet de sa conduite sur Thomas. Elle est touchée par l'importance qu'il lui manifeste, mais aussi par sa douleur, car elle l'aime. Elle se trouve insensible de lui avoir fait subir cela.
Il n'est pas étonnant que cette scène de jalousie ait rapproché les deux amoureux. Elle fut pour eux l'occasion de s'exprimer leurs sentiments, de constater l'importance qu'ils ont l'un pour l'autre et de la manifester. Mais la jalousie n'est pas toujours vécue et exprimée de cette façon et elle n'a pas toujours un effet positif sur la relation. Quand l'existence d'un couple est empreinte de jalousie, c'est à la détérioration de la relation qu'il faut plutôt s'attendre.
L'existence jalouse est une toute autre chose que la jalousie en tant qu'émotion. Je désigne par cette expression l'ensemble des attitudes et des comportements malsains d'une personne qui éprouve une jalousie: manifestation d'agressivité à répétition, suspicions, intrusions, manipulation, harcèlement. Dans des cas extrêmes, la jalousie ainsi vécue peut même conduire à l'homicide.
Cet article porte uniquement sur l'existence jalouse. Lorsqu'il sera question du "jaloux", il s'agira toujours de celui qui laisse la jalousie envahir son existence et ses relations. Dans ce cas, le jaloux n'est pas le seul dont la vie est contaminée. Si l'autre membre du couple est tant soit peu complice en acceptant ses règles du jeux pathologiques, il peut être sûr de prendre lui aussi son billet pour l'enfer.
L'existence jalouse est une sorte d'existence "morte" et sans issue à cause des deux conduites qui la caractérisent: le camouflage du vécu et le contrôle du partenaire. Dans certains cas, on retrouve ces comportements à la fois chez le jaloux et son conjoint. Ce dernier se fait plus ou moins volontairement, complice de cette existence jalouse, comme l'est Martine dans l'exemple qui suit.
Voyons à travers cet exemple, en quoi consistent ces deux caractéristiques.
Martine ne sait plus quoi faire devant la jalousie de Richard. Elle se demande s'il peut en "guérir". Leur vie est un enfer qui dure depuis plus de dix ans.
Déjà dans ce bref énoncé, nous constatons que Martine fait du problème de Richard son propre problème. À ce qu'elle dit, on devine qu'elle a beaucoup tenté d'en venir à bout. Typiquement, elle fait tout pour ne pas éveiller la jalousie de Richard et elle tente de le persuader de la fausseté de ses soupçons lorsqu'il en manifeste.
Les soupçons perpétuels de Richard empoisonnent leur vie. Selon Martine, ils ne sont aucunement fondés mais elle n'arrive jamais à le convaincre. Il interprète le moindre regard qu'elle pose sur un homme comme une infidélité. Aussi est-elle toujours extrêmement prudente dans ses gestes et ses propos afin d'éviter toute ambiguïté. Lorsqu'elle parle d'un collègue ou d'un ami commun, il raille, laissant entendre qu'elle le trouve certainement plus attrayant que lui. Il suffit que sa conversation téléphonique soit brève pour lui faire croire qu'il s'agissait de son amant. S'il ne connaît pas son horaire, c'est sûrement qu'elle a un rendez-vous galant. Les soupçons à tout propos et les allusions blessantes à répétition, voilà ce que subit Martine pour une vie parallèle qu'elle n'a même pas!
Martine pense qu'elle réussira à calmer la jalousie de Richard en étant prudente et en le convainquant de son innocence. C'est pourquoi elle est prête à s'expliquer à l'infini.
1. Culpabilité
Même si elle est rigoureusement fidèle, elle se reproche quand même intérieurement de ne pas aimer son mari davantage. Elle ne sait plus si l'amour s'est effrité à la longue à cause de la jalousie ou si ce sont plutôt ses insatisfactions grandissantes dans sa relation avec Richard qui ont usé son espoir d'être heureuse avec lui. Finalement, elle vit souvent de la culpabilité par rapport à ses sentiments à l'égard de Richard.
Elle ne regarde pas vraiment les autres hommes, mais elle sait qu'elle ne regarde pas vraiment Richard comme un homme. Elle ne flirte pas, comme il l'accuse de le faire, mais elle sait qu'elle ne déteste pas quand un homme se retourne sur son passage. Elle s'en veut de ne pas désirer être séduite par Richard et se reproche de ne pas l'avoir rendu plus heureux. Elle croit donc avoir contribué à ce qu'il soit maintenant si hargneux.
Elle sait aussi qu'elle s'est longtemps consacrée aux enfants pour éviter d'être trop souvent en relation avec lui. Elle se critique de cela et estime qu'en tant qu'épouse aussi imparfaite, elle mérite en partie le sort que lui fait subir son mari.
Sa culpabilité la rend vulnérable aux reproches de Richard. Dans la mesure en effet où elle se refuse à assumer ce qu'elle vit réellement (son peu d'attrait pour Richard, son désir de plaire...), elle est inconfortable devant les crises de son mari, se voyant plus ou moins responsable de son malheur. (Pour la relation entre la culpabilité et le fait de na pas accepter ce que l'on vit et ses conséquences, voir la fiche sur la culpabilité-camouflage).
2. Dissimulation
Mais pas plus que Richard, Martine ne parle de tous ces sentiments. Elle ne lui donne jamais l'heure juste quant à ses propres insatisfactions et à ses besoins affectifs. Elle cherche plutôt à contrôler la jalousie de Richard en s'efforçant d'éviter tout ce qui pourrait l'attiser.
Elle met donc beaucoup de temps à convaincre Richard que ses soupçons ne sont pas fondés. Elle explique ses regards, ses retards et parfois même ses soupirs. Elle va jusqu'à rendre compte de ses pensées et à les justifier. Surtout, elle fait extrêmement attention de ne pas provoquer Richard. Lorsqu'elle ne réussit pas, elle s'acharne à lui démontrer que ses présomptions sont illogiques. Mais, comme elle le dit si bien, "il est très difficile de prouver ce qui n'a pas eu lieu!" Étrangement, elle sort perdante de chacune de ces séances d'explication, car Richard trouve toujours, dans ses propos, de nouveaux motifs d'être jaloux.
Richard pressent la tiédeur des sentiments de Martine et cela contribue à alimenter sa jalousie. Mais il ne parle pas pour autant de l'amour qui lui manque, de son insécurité par rapport aux sentiments de Martine, de sa peur d'être délaissé pour un autre plus attrayant, du fait qu'il n'a pas confiance en lui comme homme. Au lieu de cela, il mise sur le contrôle, il s'efforce de tout contrôler.
Il s'emploie à la démasquer et à la punir de ce qu'il éprouve. Il l'assaille de questions, l'accable de ses soupçons et la charge de son hostilité. Il la traite réellement comme si elle était responsable de ce qu'il vit, c'est-à-dire de ses manques affectifs et de sa propre incapacité à les avouer et à les combler.
Martine et Richard sont engagés dans une roue qui tournera à perpétuité. Celle-ci les conduira à coup sûr à l'usure émotionnelle (voir Tristesse n'est pas dépression).
Martine est au bord de l'usure émotionnelle. Elle se dit qu'elle finira par partir. Elle réagit de plus en plus agressivement mais n'ose pas lui dire ce qu'elle pense vraiment de son comportement, ni lui parler de tout ce qu'elle vit. Elle craint d'augmenter ses motifs d'être jaloux.
Martine ne peut pas confronter Richard parce qu'elle est coincée dans la culpabilité. Comme elle n'assume pas la façon dont elle a été avec lui et les sentiments qu'elle éprouve aujourd'hui pour lui, elle peut difficilement lui en parler. Il lui est donc impossible d'amorcer un dialogue franc sur leurs insatisfactions mutuelles.
Pour Richard la vie n'est pas plus rose. C'est un homme triste et tourmenté dont la vie est peu remplie. Quand il n'est pas absorbé par le travail, il fantasme sur ce que fait Martine ou l'espionne carrément. Ses soupçons sur la "double vie" de sa femme le font énormément souffrir: peine, colère, jalousie, rage, sont à peu près les seules émotions qui l'habitent. Il vit continuellement dans l'insécurité: celle de perdre Martine. Il craint qu'elle soit séduite par un autre homme car il est convaincu de ne pas être à la hauteur. Son apparence physique lui pose des problèmes d'une part, mais d'autre part, il sent bien que sa mauvaise humeur quotidienne est néfaste pour sa relation conjugale. Profondément en lui, il ne se trouve pas très aimable. Mais il s'arrête très peu à cette pénible impression.
Richard n'aborde jamais ces problèmes avec Martine. Il ne s'arrête pas pour y réfléchir non plus. Il n'a jamais pensé non plus à prendre des moyens sérieux comme la psychothérapie pour travailler sur sa confiance en lui. Il se laisse miner par la peur que ses problèmes entraînent une rupture plutôt que de leur faire face, de les avouer et de mettre de l'énergie à les régler.
Si on demande à Richard qu'elle est la solution à sa jalousie, il lorgne du côté de Martine, mais il est incapable de répondre. "Je ne peux tout de même pas la garder en cage!" pense-t-il. Mais il lui semble tout de même qu'elle devrait changer. "Elle ne devrait pas avoir de sentiments pour d'autres que moi et elle devrait m'aimer davantage".
3. Contrôle
Comme le jaloux typique, Richard ne pense qu'à éliminer ce qui le dérange. S'il n'y avait plus d'occasion d'éprouver de la jalousie, il serait un peu rassuré, plus tranquille. Mais l'équilibre qu'il recherche est extrêmement fragile parce qu'il repose sur l'immobilité; une caractéristiques très difficile à obtenir chez les êtres vivants! (Voir Une théorie du vivant) Quoi qu'il fasse, ses besoins continueront d'exister et ceux de Martine également. Il n'aura donc pas le choix de s'en occuper s'il veut que la jalousie disparaisse.
Richard ne vit pas dans un pur désert émotif. Martine a souvent des manifestations d'affection à son égard. Toutefois, lorsqu'elle lui manifeste de l'amour, il ne la croit pas sincère et ne peut s'empêcher d'émettre des critiques: son amour n'est pas assez fort, le moment était mal choisi ou encore, il trouve un défaut dans sa manifestation.
4. Le refus
Richard est comme toute personne qui n'assume pas ses besoins, il est incapable de recevoir. (Voir à ce sujet l'expression ou l'assouvissement du besoin ?) Cette difficulté à combler ses besoins affectifs ajoute donc à ses raisons d'être jaloux. Non seulement il est incapable de s'avancer lui-même ouvertement pour prendre ce dont il a besoin, mais encore, il ne peut profiter de ce qu'on lui offre. Cette limite de Richard n'améliore pas non plus sa relation de couple car, de son côté, Martine souffre de son manque de réceptivité. Elle est de moins en moins encline aux manifestation d'affection car elles sont toujours repoussées et souvent l'occasion de nouveaux reproches.
Mais Richard ne cherche pas davantage à comprendre sa difficulté à recevoir qu'il ne s'intéresse aux raisons intérieures de sa jalousie. Comme nous l'avons vu plus haut, il fait porter la responsabilité de son manque de réceptivité à Martine.
Richard est dans une telle impasse qu'il pense souvent à quitter Martine. Il souffre du mal qu'il lui fait. Il rêve d'une vie avec une femme qui l'aimerait davantage. Mais dans son for intérieur il ne veut absolument pas la séparation.
Un tel désir de continuer à être en relation malgré l'insatisfaction correspond souvent à un évitement de la solitude (voir le chapitre 7 de l'Auto-développement: psychothérapie dans la vie quotidienne). Mais il est aussi possible que Richard tienne vraiment à Martine. Cependant, il ne lui exprime pas cet attachement plus qu'il ne parle du reste de son vécu. Au lieu de cela, il cherche chez elle des preuves qu'elle l'aime. La preuve suprême serait sans doute qu'elle n'ait de penchant pour personne d'autre.
5. Sommaire
L'exemple de Richard et Martine met en lumière les caractéristiques de l'existence jalouse. Les deux partenaires s'abstiennent de communiquer ce qu'ils vivent vraiment. Richard parle des agissements de Martine et cette dernière n'est loquace que pour s'expliquer, se justifier et se plaindre des méfaits de la jalousie.
Chacun cherche essentiellement à contrôler ce que vit l'autre. Martine s'explique pour atténuer la jalousie; elle se contrôle dans ses gestes pour éviter de l'attiser. Quant à Richard, il dénonce sa femme pour qu'elle cesse de faire ce qui l'irrite et se contient autant qu'il peut de lui faire des remarques. En général, il s'échappe lorsque la colère de sa jalousie est trop intense.
Paradoxalement, il n'applique pas le contrôle là où il aurait un certain avantage à le faire, c'est-à-dire sur ses fantasmes. Il alimente au contraire sa jalousie, même à partir des explications de Martine. Parfois il pense qu'il est "masochiste".
En fait, l'acharnement qu'il met à cultiver sa jalousie peut être vu comme une force mal orientée. La tendance actualisante (Voir Une théorie du vivant) qui pousse les êtres vivants à combler leurs besoins est bel et bien active chez Richard. Elle le presse à s'occuper des besoins affectifs en souffrance.
Mais l'inconscience de Richard par rapport à la nature de ses besoins l'amène à choisir une mauvaise cible. Ainsi, il utilise l'agressivité alimentée par ses manques pour contrôler Martine, c'est-à-dire pour développer sa jalousie plutôt que pour combler ses besoins.
De ce point de vue, Richard ressemble au phobique qui cherche à "contrôler" sa phobie plutôt que de la considérer comme le symptôme indiquant qu'il néglige un aspect important de sa vie. Ce faisant, il consacre son énergie uniquement à surmonter sa panique (encore par le contrôle) plutôt qu'à régler le véritable problème. (Voir La phobie démystifiée).
On peut facilement comprendre pourquoi la jalousie vécue à la façon de Richard et Martine ne pourra jamais donner de bons résultats. Non seulement la jalousie ne disparaîtra pas, mais elle augmentera. Quant à la vitalité du couple, elle s'amenuisera de plus en plus (Voir Évaluer la vitalité de ma relation de couple).
Nous l'avons vu, ce ne sont pas les comportements du conjoint qui sont à l'origine de l'existence jalouse ou de la jalousie morbide, mais ce sont des lacunes au plan des besoins affectifs et une déficience dans la gestion de ces besoins. Plus précisément, la jalousie apparaît lorsqu'il y a à la fois carence affective et refus obstiné de se mobiliser pour combler cette insuffisance (Voir la fiche explicative de la jalousie amoureuse).
Que la carence soit importante et date de l'enfance n'a pas d'importance en soi. Ce qui importe, c'est que le jaloux n'arrive pas à s'occuper adéquatement de ses manques actuels. Il est donc normal que sa jalousie soit activée lorsqu'il voit son conjoint donner à un autre (même parfois ses propres enfants) ce que lui-même désirerait recevoir.
De plus, l'absence de satisfaction peut amener le jaloux à rêver de situations où ses besoins seraient comblés. Mais il n'assume pas les fantasme d'infidélité qui naissent en lui. Il les projette plutôt à l'extérieur en les attribuant à son conjoint. Il est capable de faire cette projection en toute inconscience parce qu'il est incapable d'assumer l'ensemble de son expérience de vie amoureuse: ses manques, ses désirs et les fantasmes qu'ils suscitent. La projection sert alors de moyen pour se défendre contre sa propre expérience qu'il n'est pas disponible à assimiler. Elle lui évite d'avoir à tourner son regard vers l'intérieur pour se comprendre.
En gros on peut affirmer que c'est le contraire du camouflage et du contrôle qui permet de corriger une existence jalouse. Voyons en quoi cela consiste essentiellement, avant de l'examiner à travers un exemple.
1. Le conjoint
L'existence jalouse ne pourra pas prendre d'ampleur si le conjoint n'en est pas complice. Pour éviter d'y contribuer, il doit devenir conscient de ce qu'il vit. S'il est infidèle d'une manière ou d'une autre, il importe qu'il identifie les besoins qu'il comble dans cette autre relation. Il faut également qu'il assume ses sentiments autant que ses désirs et ses actes. Enfin, il doit être prêt à parler ouvertement de tout cela à son conjoint.
Le jaloux tente toujours de rendre l'autre responsable de ses souffrance et de la détérioration de la relation. Conséquemment, le conjoint doit résister fermement à prendre sur lui les responsabilités qui ne lui appartiennent pas. Il doit même s'efforcer de remettre à l'autre celles qui lui appartiennent.
Il doit aussi refuser d'être coupable là où, selon sa conscience, il ne l'est pas. Mais dans la mesure où ses sentiments et ses actes sont assumés, il est peu perméable à la culpabilité.
Enfin, le conjoint doit être convaincu que la première fidélité est celle qu'il se doit à lui-même. Ce qui signifie que sa vitalité de même que celle du couple est tributaire de sa fidélité à son expérience totale. La manipulation a peu de prise sur celui qui tient avant tout à se respecter (Voir Fidèle à moi-même).
2. Le jaloux
La première chose que le jaloux doit faire pour sortir de son existence jalouse, c'est exactement ce qu'il s'abstient généralement de faire, c'est-à-dire chercher les motifs personnels de sa jalousie. Ce n'est pas une tâche facile, mais c'est une démarche essentielle pour régler le problème de la jalousie morbide. En général la psychothérapie s'impose pour ce travail car il manque sérieusement de lucidité et de responsabilité par rapport à son expérience.
Cette recherche personnelle lui permet d'abord d'identifier ses besoins insatisfaits. Elle favorise aussi une meilleure compréhension des comportements aberrants qu'il considère habituellement comme de bonnes façons d'obtenir satisfaction. C'est également une occasion de reconnaître ses responsabilités concrètes dans la satisfaction de ses besoins.
Enfin, cette recherche met en lumière ses résistances à assumer ses besoins devant son conjoint, de même que les peurs que sous-tendent ces résistances (voir à ce sujet Qu'est-ce que s'assumer?). Avec l'aide de la psychothérapie, il peut explorer ses résistances et ses peurs, une condition indispensable pour les affronter efficacement et sortir de son existence jalouse.
3. Un exemple
L'exemple qui suit donne un aperçu plus concret d'une situation où le conjoint n'est pas complice d'une existence jalouse, fait montre de transparence et tente de faire apparaître les vrais problèmes.
Vincent a une maîtresse depuis quelque temps. Son épouse Véronique, qui avait des soupçons, l'a finalement découvert. Depuis, leur vie est devenue tellement pénible qu'ils pensent tous deux à se séparer.
Leur vie conjugale n'était pas satisfaisante depuis déjà plusieurs années quand Vincent s'est engagé sur la voie des amours secrètes. Secrètes parce qu'il craignait que les réactions de Véro lui rendent la vie impossible. Secrètes, parce qu'il n'a plus envie d'investir dans sa relation avec elle. N'eût été des enfants, il aurait opté pour la séparation quelques années auparavant.
Depuis qu'elle sait, Véronique a beaucoup changé. Elle veut reconquérir Vincent et ne ménage pas ses efforts pour y arriver. Elle tient maintenant compte de plusieurs reproches que Vincent lui faisait depuis quelques années. Son mari reconnaît ces changements, mais il n'est pas tellement touché car Véronique n'a pas changé sur ce qu'il lui reproche de plus important: elle cherche encore trop à le contrôler.
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il a aujourd'hui une maîtresse. Il ne l'a pas cherchée. Ce fut même une surprise pour lui d'être soudainement aussi attachée à cette femme qu'il connaissait depuis longtemps. Avec elle, il a l'impression de pouvoir être lui-même sans subir continuellement des reproches... enfin, de pouvoir respirer son air à lui.
Devant l'infidélité de son mari, Véronique choisit encore le contrôle: elle surveille ses allées et venues, l'interroge, fouille dans son agenda, s'informe (à peine discrètement) auprès de ses collègues ou de sa secrétaire (elle est allée jusqu'à faire des menaces à sa maîtresse). Lorsque le vase déborde, elle fait une scène de jalousie dans laquelle elle le presse de cesser de voir son amante. Comme cela ne réussit pas, elle tente de le manipuler en l'accusant d'être responsable de l'atmosphère de la maison et du malheur des enfants.
Quand les choses vont mieux, elle le presse aussi d'investir dans leur relation. En guise de stimulation, elle invoque le bonheur des enfants et les bons moments du passé. Elle lui promet qu'il sera très heureux avec elle (comme avant), s'il consent à laisser sa maîtresse.
Véronique ne se mobilise pas vraiment pour reconquérir la place qu'elle souhaite auprès de son mari. Au contraire, elle lui demande de sacrifier ses besoins: elle exige qu'il renonce à ce qu'il va chercher auprès de sa maîtresse.
De son côté, elle fait des promesses vides. En vérité, elle ne peut l'assurer qu'ils seront heureux. Avant d'en arriver là, ils ont plusieurs problèmes à résoudre concernant ses insatisfactions et celles de son mari. Elle ne propose rien pour régler ces problèmes.
Vincent n'accepte pas de réinvestir avec elle sur la base de ces promesses. Il le lui dit clairement, réaffirmant qu'il ne trouve pas ce qu'il cherche avec elle. Il ne cesse pas pour autant de voir sa maîtresse et il ne s'en cache pas. Il a déjà expliqué à Véronique qu'il trouvait chez celle-ci ce qu'il a vainement attendu d'elle pendant plusieurs années: une personne qui l'écoute et qui cherche à le comprendre; une personne avec laquelle il n'a pas toujours à se battre pour pouvoir être lui- même parce qu'elle ne cherche pas continuellement à le "mettre à sa main" pour son propre confort.
Véronique sait donc que Vincent est encore insatisfait, mais elle ferme les yeux sur la raison qui l'éloigne d'elle: son incapacité à le laisser vivre, à recevoir ce qu'il dit, à le supporter dans ce qui lui importe à lui, même si cela la contrarie... Il s'agit en somme de son attitude de contrôleuse. Mais Véronique ne s'arrête pas suffisamment sur elle-même pour constater à quel point ce que dit Vincent est vrai. Elle a mal, elle est en manque, elle est inconfortable dans la situation actuelle et tout ce qu'elle veut c'est que cela disparaisse.
Vincent confronte sa femme pour qu'elle fasse un minimum d'introspection. Mais ce n'est pas ce qui intéresse Véronique à priori. Elle n'a qu'un objectif en tête: retrouver le genre de vie qu'ils avaient autrefois. Elle se souvient avec nostalgie de leur première année de vie commune où il était très amoureux d'elle. Elle était le centre de son univers et cela la comblait. Lorsqu'il s'est quelque peu détaché, graduellement après la lune de miel, elle s'est montrée tantôt dépressive, tantôt agressive. Elle le rend responsable de ses moments dépressifs et de son attitude agressive.
Ce que Véronique désire c'est de retrouver son confort. Elle n'accepte pas de ne plus être le centre d'intérêt de Vincent comme elle l'était au début de leur relation. À cette époque, elle n'avait rien à faire pour obtenir toute cette place. Elle n'accepte pas l'idée qu'elle ait maintenant à se mobiliser pour être plus importante aux yeux de Vincent. Elle ne reconnaît pas qu'il a évolué et qu'il désire vivre auprès d'elle en étant "distinct" et non "fusionné" comme autrefois. (Voir Transfert et conquête de l'autonomie). La réalité a changé mais elle cherche encore la solution dans les anciennes façons de faire.
Pourtant, elle pourrait retrouver un contact nourrissant avec Vincent si elle prenait les moyens nécessaires. Il lui faudrait d'abord devenir consciente de la façon dont elle "aime" Vincent de même que de sa manière inappropriée de se faire aimer de lui. Cela l'amènerait à travailler sur son réflexe de contrôler l'autre pour éviter (contrôler) ce qu'elle vit. Véronique deviendrait alors plus vivante et moins "accrochée" à l'autre (Voir S'attacher vs s'accrocher). Elle deviendrait ainsi capable d'accepter que Vincent puisse avoir une existence qui lui est propre.
La jalousie, lorsqu'elle devient un mode relationnel, est l'arme la plus puissante pour détruire radicalement une relation et aliéner les deux personnes qui y sont impliquées. Parce qu'elle mise essentiellement sur l'évitement d'un dialogue sincère, sur la fuite des responsabilités de chacun devant la satisfaction de ses besoins et sur une tentative de contrôle motivée avant tout par le déni de son expérience réelle, l'existence jalouse est une recette infaillible pour conduire au malheur.
Mais si on choisit de regarder vraiment les problèmes importants et les insatisfactions graves qu'elle reflète, la jalousie peut devenir la manifestation de nos forces vitales les plus profondes. Si on repousse la tentation du contrôle illusoire et si on choisit la voie de la conscience lucide, la jalousie devient l'alliée de la relation, le signal qui permet de résoudre les problèmes avant qu'il soit trop tard.