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Daniel Savard
L'auteur est un montréalais
Le VDFR ça vous dit quelque chose ? Si la réponse est non, vous ratez en ce moment un débat qui déplace des gens et de l'air depuis quelques mois dans la métropole. Lors des assemblées publiques, les membres de la commission du conseil de ville sur le virage à droite au feu rouge ont accueilli bon nombre de représentants et d'experts, armés de chiffres et données à l'appui, prêts à défendre jusqu'au bout leur position respective.
Mais que peut-il y avoir de si compliqué dans cette manoeuvre routière que l'on retrouve sur l'ensemble de continent nord-américain ? Ça fonctionne bien ailleurs, mais pourquoi pas ici ? À écouter ceux qui sont favorables à cette initiative, le tout se ferait sans trop de pépins et comporterait de sérieux avantages pour l'environnement et la fluidité de la circulation automobile. D'autre part, le tollé soulevé par ses opposants nous laisse croire que cette mesure serait un geste irresponsable de la part des élus, voire même dangereuse pour la survie du piéton montréalais.
Question de culture
Tout en respectant le bien fondé des arguments des deux parties, l'impasse se situerait plutôt au niveau culturel... oui, oui, vous avez bien compris, au niveau culturel. Nos voisins ontariens nous donnent la réponse à cette question épineuse. Le VDFR pourrait se comparer à la vente de bière dans les épiceries et les corner stores (dépanneurs) dans cette province.
Pour les Québécois, rien de plus normal, voir même ordinaire, que d'acheter une p'tite caisse au dépanneur du coin. En Ontario, pas question de se procurer de la bière en quantité suffisante sans avoir une voiture et se rendre à un établissement spécialisé, The Beer Store, endroit plutôt terne et mal décoré, souvent situé loin du domicile.
Malgré le fait que le gouvernement de Queen's Park, soutenu par moult études favorables, ait tenté de libéraliser la vente de bière au milieu des années quatre-vingt, c'est le statu quo qui a remporté le match haut la main. Craignait-on qu'un accès plus facile à la bière favorise la consommation en bas âge ou bien contribuerrait à l'alcoolisme ? Pas du tout. La raison peut se résumer de cette manière : une large part des citoyens n'était pas prête à modifier leurs moeurs et leur façon de s'approvisionner. Bon, il est vrai que la situation pourrait changer, mais il ne semble pas que ce soit demain la veille car le changement engendre parfois des hésitations et des craintes, fondées ou non, dans l'esprit des gens.
On pourrait en dire autant du VDFR à Montréal : question d'habitude, d'us et de coutumes. Et que dire de la double personnalité des individus impliqués que l'on pourrait nommer syndrome Docteur Jekyll/M. Hyde, autrement dit, ces mêmes piétons qui s'opposent férocement au VDFR, aimeraient bien pouvoir tourner à droite au feu rouge lorsqu'ils prennent le volant.
Même si l'administration municipale consulte à maintes reprises la population, il appert que, si la tendance se maintient, cette politique routière finira ses jours sur les tablettes. Les partisans du VDFR présents aux assemblées publiques sont largement dépassés en nombre et en volubilité par ses opposants. Ces derniers sont appuyés par les fonctionnaires de la voirie municipale et le service de police de la ville. Aussi, il sera beaucoup plus facile et surtout moins coûteux d'installer des enseignes interdisant cette manoeuvre aux 15 ponts qui ceinturent l'île pour la modique somme de 30 000 $ que de dépenser pas moins 4,1 millions de dollars pour réaménager la signalisation des quelque 2200 intersections de la nouvelle ville. Bref, on est encore loin de la coupe aux lèvres en ce qui a trait au VDFR et la bière au corner store .
page mise en ligne le 26 mai 2003 par SVP