OPINIONS |
Sauver du temps mais à quel prix ?
Sherbrooke, le 22 janvier 2003
Monsieur Serge Ménard, Ministre
Ministère des Transports
Place Haute-Ville
700, boulevard René-Lévesque Est, 29e étage
Québec (Québec) G1R 5H1
Objet : Lettre ouverte sur le virage à droite au feu rouge (VDFR)
Monsieur le Ministre,
C’est en lisant un article de La Tribune que j’ai appris que le VDFR serait imposé à la municipalité de Sherbrooke dès avril de cette année.
Lorsque vous avez remplacé votre prédécesseur, monsieur Chevrette, j’ai été soulagé par la mise en veilleuse du VDFR. J’avais d’ailleurs envoyé une lettre à celui-ci, dont vous trouverez copie ci-jointe, pour lui suggérer d’autres mesures beaucoup plus efficaces pour diminuer les pertes de temps durant les déplacements tout en augmentant la sécurité de l’ensemble des usagers de la route.
Votre volte-face, justifiée par une seule étude d’un professeur d’une Université québécoise a de quoi surprendre. Lorsque l’on sait que l’une des prémisses de cette recherche est que le comportement des automobilistes du Québec n’est pas différent de celui des automobilistes du reste du Canada et des États-Unis, on se demande qui pourrait donner la moindre crédibilité aux conclusions de cette étude. Le manque de discipline des automobilistes du Québec est aussi flagrant que reconnu, tout comme l’absence généralisée de priorité accordée aux piétons et aux cyclistes.
Selon les études citées par la Société de l’assurance automobile du Québec, l’augmentation du nombre d’accidents chez les piétons se situerait entre 44 % et 107 % alors que, chez les cyclistes, elle se situerait entre 72 % à 123 %. Toujours selon la SAAQ, 56,9 % des automobilistes n’effectuent pas un arrêt complet avant un VDFR et 20,3 % de ceux-ci effectuent un VDFR même aux intersections où la manœuvre est clairement interdite.
Peut-on vraiment croire qu’une campagne de publicité changera tout cela en trois mois ? Pourquoi imposer le VDFR avant même d’être assuré de l’efficacité de cette campagne ? Il n’y a aucun doute que l’application de cette loi tuera et blessera des Québécoises et des Québécois, surtout des jeunes, des personnes âgées et des personnes handicapées. Le fait de les culpabiliser en disant que c’est eux qui n’ont pas respecté la signalisation n’y changera rien. Ce ne sera qu’ajouter l’insulte à l’injure.
Si les Québécoises et les Québécois sont favorables au VDFR, c’est peut-être qu’on ne leur a pas tout dit. Tous sont d’accord pour sauver 2,5 litres d’essence et 2 heures par année. Mais, tous seraient-ils d’accord pour payer l’augmentation des primes d’assurance et pour risquer les pertes de temps considérables suite à une implication dans l’un de ces accidents ?
Si je vous posais la question suivante: Monsieur Ménard, combien de morts et de blessés par année parmis les Québécoises et les Québécois seriez-vous prêt à accepter, vous personnellement, pour sauver 1/3 de minute et 1/2 cent par jour ? Si vous répondiez 1 ou plus, je vous demanderais alors si vous accepteriez que ce soit votre vie ou celles de vos proches qui soient sacrifiées. Je ne peux pas croire que la majorité des citoyens du Québec accepterait de sacrifier la vie d’un seul de leurs concitoyens pour obtenir un gain aussi minime. Je crois qu’on ne leur a pas posé les bonnes questions.
Quoi qu’il en soit, je m’engage à poser très bientôt ces questions au plus grand nombre possible de politiciens du Québec et à vous faire parvenir leurs réponses ainsi qu’aux médias. Nous serons peut-être tous étonnés du résultat. Je termine en faisant à nouveau le souhait que l’implantation du VDFR au Québec soit suspendue par respect pour la vie et l’intégrité de tous les citoyens.
Veuillez agréer, monsieur Ménard, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Normand Godbout
Sherbrooke, (Québec)
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