Les ingrédients essentiels pour un grand périple
Claude Bédard
Avant d'entreprendre un grand périple en vélo, il faut s'assurer de trois ingrédients essentiels : une condition physique correcte, une bonne disposition mentale et un équipement en excellent état. Si, en plus, la tournée cycliste se fait en solitaire durant plusieurs semaines, il faut compter sur les conseils de gens d'expérience, car l'improvisation en la matière peut déboucher sur des surprises pas toujours agréables.
Partir à froid sans entraînement, avec une condition physique chancelante est le gage certain de blessures à plus ou moins brève échéance qui peuvent mettre en péril la randonnée projetée. Et cette situation peut s'avérer fort coûteuse si le voyage se déroule à l'étranger.
Comme tous les spécialistes le diront, il n'y a pas mille façons de se mettre en forme. Il faut faire du vélo fréquemment et le plus longtemps possible. Pas facile avec nos saisons !
Afin de préparer mon long voyage du printemps, j'ai fait de la bicyclette stationnaire, ce qui s'avère un excellent compromis. Rien ne nous empêche de regarder la télé ou de lire en même temps. Et dès que les beaux jours s'annoncent, il faut enfourcher son vélo et faire du slalom à travers les nids-de-poule tout frais qui ornent nos réseaux routiers.
Les jambes, la nuque et le fessier sont particulièrement sollicités et leurs muscles ont besoin d'entraînement, sinon, après quelques heures, cela devient rapidement l'enfer. J'ai personnellement payé pour apprendre qu'une journée ne peut commencer ni se terminer sans un bon échauffement et des étirements aérobiques, surtout quand les articulations commencent à porter le poids des ans.
Bien s'alimenter est la clé du succès d'un long périple en vélo. La nourriture, c'est le carburant du cycliste. Il est essentiel de rechercher des aliments riches en glucides. Il faut tenter d'accumuler un maximum d'énergie au départ de la journée et bien s'hydrater. N'oubliez pas que c'est vous le moteur. Et vous allez en carburer un coup dans les heures qui vont suivre.
Il faut se faire une provision pour la route car on ne doit jamais attendre de sentir la faim ou d'être assoiffé. Beaucoup de liquide et une collection de tablettes énergétiques, accompagnées si possible de quelques fruits, préviennent les passages à vide qui vous attendent au détour de la route ou au pied de la côte à gravir.
Le nombre de calories qu'on peut dépenser en six ou sept heures de route est effarant. Ne craignez pas d'engouffrer un copieux déjeuner le matin et de prendre un bon repas en fin de journée. Malgré la sensation occasionnelle de m'être suralimenté, je perdais en moyenne plus d'un kilo par semaine lors de mon récent périple de six semaines aux États-Unis. Je suis beaucoup plus à l'aise dans mes vêtements en ce moment...
La pratique du vélo est intimement liée à l'environnement. Vous faites partie de ce paysage dans lequel vous évoluez et il aura une influence certaine sur votre performance. Au départ le matin, une foule d'éléments internes et externes façonneront le type de journée que vous passerez. Il y a de ces jours dans mon voyage où je n'ai pu rouler que 44 km et d'autres où j'en ai parcouru jusqu'à 170.
L'expression « ne pas avoir de jambes » est bien réelle. Un bon matin, la mécanique personnelle a décidé de faire la grève et on sait dès lors que ce sera une journée de misère. Par contre, à un autre moment, dès le départ, en moulinant dans le petit matin brumeux, on s'aperçoit que le corps s'adapte rapidement à l'effort qu'on va exiger de lui et ce sera alors une journée glorieuse.
La chaleur, la pluie, la brume, le froid, le vent, les bourrasques, le bitume de plus ou moins bonne qualité, les côtes à gravir, la densité de la circulation automobile, ce sont là autant d'éléments qui déterminent le rythme de pédalage et la distance que vous parcourrez en une journée. Une évaluation réaliste de la situation au départ vous évitera bien des déceptions vis-à-vis des objectifs que vous vous êtes fixés la veille en consultant vos cartes routières.
Mécanique au service de l'esprit
Le corps est un excellent esclave mais un très mauvais maître. La loi du moindre effort est son leitmotiv. À trop l'écouter, on est porté à se décourager rapidement devant l'obstacle qui se dresse devant soi. Dans la préparation d'un long périple, la discipline mentale est un facteur fondamental pour affronter le défi qui s'annonce.
Il faut savoir dès le départ que la petite histoire que nous allons écrire, en suant chaque jour sur le goudron de la route qui défile devant nous, connaîtra ses chapitres glorieux certes, mais aussi des chapitres beaucoup plus sombres où le découragement cognera inévitablement à la porte.
Il faut donc se préparer psychologiquement en conséquence. On acceptera, par exemple, que le plan initial, tracé sur de belles cartes routières, subisse des imprévus parfois fort désagréables qui, sans être tragiques on l'espère, contrediront les prévisions toujours trop optimistes qui animent le cyclotouriste.
J'ai connu des semaines particulièrement éprouvantes où la pluie, accompagnée de vents contraires, avait pris un rendez-vous quotidien et me sapait le moral, surtout en fin de journée, alors qu'aucun motel ne se profilait à l'horizon pour accueillir un corps de plus en plus rebelle. C'est dans ces moments que la force mentale doit prédominer, surtout lorsqu'on est en solitaire et que rien ni personne ne nous oblige à continuer.
Heureusement, il existe aujourd'hui une petite bouée pour les cyclistes en perdition. Cela s'appelle le téléphone cellulaire. À ne pas oublier dans vos bagages avec votre appareil-photo. Un coup de fil au bon moment à un parent ou un ami dans ces moments pénibles réchauffe le coeur et l'esprit. En plus, en cas d'urgence, c'est un outil extraordinaire.
Quelqu'un disait récemment que l'Everest se gravit pas à pas. Cette vérité de La Palice s'applique très bien au cyclisme. Si on découpe le parcours en demi-journées avec un but à chaque fois, accompagné d'étapes de rechange en cas de difficultés, il est plus facile d'en sortir gagnant. Il faut toujours pouvoir se convaincre d'avoir atteint un des objectifs fixés dans la journée.
Une bonne bête de somme
Sans un bon vélo solide, adapté aux longues distances et capable de supporter de bonnes charges à l'avant et à l'arrière, l'aventure est plutôt risquée. Le mental et le physique, ça n'est pas tout. Il faut une bonne bête de somme avec des guidons courbés permettant de modifier régulièrement la position des mains et équipée d'une selle très confortable, car vous passerez de nombreuses heures assis dessus. Il existe plusieurs matériaux de base pour les vélos : fer, aluminium, matière composite... Rien ne vaut un essai pour s'assurer de la solidité de l'appareil et de son confort.
Trois plateaux avant, pour tirer profil de la route, sont quasi indispensables. Les pédales automatiques sont fortement à conseiller pour profiter pleinement de la force des jambes, et des pneus pas trop larges sont essentiels pour réduire la friction au sol. Ils doivent toutefois être assez résistants pour affronter les mauvaises routes et les petits obstacles.
L'équipement choisi - sac à guidon avec compartiment pour les cartes, sacoches avant et arrière et porte-bagages - doit vous permettre d'équilibrer le poids de vos bagages. Ma propre expérience m'a démontré qu'on apporte toujours trop de choses. N'oubliez pas que c'est vous qui aurez à transporter tout ce matériel jour après jour.
Heureusement, la poste vous permet, comme je l'ai fait à quelques reprises, de vous délester en cours de route de votre surplus de poids et de tout ce qui ne vous est pas absolument essentiel. Mieux vaut faire plus de lavages en route et se débarrasser des vêtements en trop que de rouler pendant des jours avec un sac de linge sale lourd et inutile.
Enfin, l'achat de bonnes cartes détaillées est un investissement que vous ne regretterez pas. Méfiez-vous des cartes routières à l'usage des automobilistes. L'absence de détails vous fera faire des détours inutiles et des erreurs de parcours cuisantes en nombre de kilomètres.
Pédaler sur de longues distances pendant des semaines peut paraître absurde, comme escalader des montagnes... ou vivre. Il s'agit en fait d'une expérience physique qui vaut la peine d'être vécue, particulièrement par des non-sportifs, comme la plupart d'entre nous. Car la répétition des efforts ajoute à la forme tout en libérant le corps et l'esprit.
Et puis, la conquête de soi ne commence-t-elle pas par ces petits gestes ?
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