4 juin 2003

Montréal, ville vélo ?

Près de 30 ans après l'inauguration de la première piste cyclable à Montréal, rouler à vélo en ville demeure un exercice complexe, frustrant et, bien souvent, périlleux. Les quelque 250 kilomètres de pistes que compte l'île sont parfaites pour les balades du dimanche matin. Mais le centre-ville demeure une forteresse où la voiture est reine et le stationnement sacré. À l'occasion de la Féria du vélo, qui bat son plein cette semaine, La Presse fait le point sur la place qu'occupe le vélo à Montréal.

Nicolas Bérubé

Michel Labrecque s'est fait menacer, insulter, cracher dessus. Jean-François Pronovost a été pris en chasse par un camion dans les rues d'Outremont. Robert Silverman a vu son lot de poings tendus, majeurs levés, tandis que Robert Boivin s'est fait traiter d'irresponsable, de ti-cul, parfois de héros.

Leur crime ? Circuler à vélo dans les rues de Montréal durant les années 70, à une époque où la bicyclette était considérée au mieux comme un jouet pour enfant, au pire comme une nuisance publique qui occupait, dans le coeur des automobilistes, la même place que les nids-de-poule et les contraventions.

« Il y a 30 ans, les cyclistes étaient considérés comme des freaks, des granolas, des gens qui n'avaient pas les moyens de se payer une voiture connne tout le monde, lance Michel Labrecque, qui a occupé pendant 15 ans la présidence de Vélo Québec. Les gens ne pouvaient pas concevoir qu'un adulte sain d'esprit puisse choisir d'utiliser son vélo pour se déplacer en ville.»

Trente ans après l'inauguration de la première piste cyclable - une dizaine de kilomètres sur le boulevard Gouin - la situation a bien changé. Les cyclistes sont aujourd'hui nombreux à sillonner quotidiennement les routes et les pistes cyclables de la métropole. Tellement que la pratique du vélo a aujourd'hui devancé la construction de nouvelles pistes cyclables, de voies partagées et de stationnements publics et privés pour vélos. Un problème nouveau, qui prive Montréal d'une solution peu coûteuse pour remédier à l'engorgement des rues, estiment les différents acteurs du milieu cycliste montréalais.

Trois décennies de gains
Au Québec, le militantisme cycliste est apparu avec la Révolution tranquille. De petits groupes de cyclistes mordus se sont formés au hasard des rencontres impromptues. Les groupes ont commencé à présenter des pétitions aux élus pour que la pratique de leur sport soit reconnue et encouragée. « Au départ, nous avions deux mandats : promouvoir le cyclotourisme comme moyen de découvrir le Québec et améliorer la sécurité routière, explique Michel Labrecque, aujourd'hui président du festival Montréal en lumière.

« Mais notre mandat a changé en cours de route. Au milieu des années 70, nous nous sommes mis à revendiquer des pistes cyclables, des stationnements, etc. Nous voulions faire du vélo un moyen de transport facile à utilise en ville, une solution de rechange face à l'automobile. »

C'est en s'inspirant de mouvements semblables établis à New York, Paris et Londres que les militants cyclistes de la première heure ont trouvé leurs idées militantes. « L'idée, c'était d'utiliser l'humour et le sarcasme pour faire passer notre message, explique Michel Labrecque. Alors on organisait des die-in », où des cyclistes faisaient les morts dans la rue. Ou encore on allait acheter les tapis en caoutchouc au Canadian Tire et on allait recouvrir les joints du trottoir du pont Jacques-Cartier, qui «bouffaient» les pneus des vélos... »

Les premières années ont parfois été pénibles. Les automobilistes n'ayant jamais eu à côtoyer de vélos, leurs réactions couvraient toute la gamme des émotions, de l'étonnement et l'incrédulité à la colère.

Pour Robert Boivin, direteur général de la Cinémathèque québécoise et militant cycliste de la première heure, la pratique du vélo s'est beaucoup améliorée à Montréal. « Au début des années 80, j'étais l'un des premiers à avoir une voiturette accrochée à mon vélo pour transporter ma fille, dit-il. Les gens n'en revenaient pas ! Certains me prenaient en photo, d'autres me traitaient de père indigne... »

Autre militant de longue date, Robert Silverman, aujourd'hui âgé de 69 ans, a fondé l'organisme Le Monde à bicyclette. Sa technique préférée : harceler les fonctionnaires de la Ville. « Je les appelle des tonnes de fois, ils n'ont pas le choix de me rappeler, dit-il. Aujourd'hui, j'ai une bonne relation avec les gens, mais au début, tout le monde riait de moi. On disait que j'étais un freak, un Don Quichotte, explique-t-il. Quand je parlais de pistes cyclables, les élus municipaux m'accusaient de vouloir voler la route aux voitures ! »

Étonnamment, c'est sous l'administration Drapeau que le premier réseau cyclable récréatif est apparu à la fin des années 70. Il y a eu l'inauguration de la piste du canal de Lachine, qui est rapidement devenue l'une des plus populaire au pays. Puis le ministère des Transports a financé l'axe nord-sud, la piste cyclable qui traverse la ville, de la rue de la Commune au boulevard Gouin. Et, en 1985, les cyclistes ont participé au premier Tour de l'île. Le reste est passé à l'histoire.

À Montréal, une demi-douzaine de projets de pistes cyclables sont en voie d'être réalisés cette année où l'an prochain, affirme-t-on à l'hôtel de ville. Dans la foulée du Sommet de Montréal, tenu l'an dernier, on a décidé que le pourtour de l'île de Montréal devra être ceinturé d'une piste cyclable continue. L'île compte 120 kilomètres de circonférence, dont 86 sont équipés d'une voie cyclable : la Ville prévoit que les 36 kilomètres restants seront aménagés dès l'automne prochain.

Au total, 7,8 millions de dollars seront investis par les trois ordres de gouvernements pour l'amélioration du réseau cyclable montréalais au cours des prochaines années.

Plusieurs autres projets ont été ciblés en priorité par la Ville. Un projet dans le secteur du viaduc de la rue Clark a été réalisé l'automne dernier. Un autre vise à rajouter un bout de piste cyclable le long de la rue Queen-Mary et du cimetière Côte-des-Neiges. La Ville compte également prolonger la piste cyclable qui longe la voie ferrée du CP, entre Iberville et Saint-Urbain, et construire un tronçon jusqu'au boulevard Gouin. Dans l'est de la ville, on reliera la piste cyclable du pont Legardeur à celle du boulevard Notre-Dame. Dans le Sud-Ouest, c'est celle du canal de Lachine que l'on reliera au parc Angrignon.

Écolo, la culture vélo
Même s'ils saluent ces initiatives, les cyclistes restent perplexes. Le réseau de pistes cyclables actuel favorise surtout les déplacements récréatifs. Mais on trouve peu de pistes fonctionnelles pour un usage quotidien.

De son bureau, rue Rachel, Jean-François Pronovost, assiste quotidiennement à «l'heure de pointe» des vélos. La piste cyclable passe sous sa fenêtre, et il n'est pas rare de voir des bouchons d'une trentaine de cyclistes qui rentrent du boulot le soir venu. Une scène qui le ravit, mais qui l'inquiète à la fois.

« Depuis les années 70, l'acceptation sociale du vélo a fait un bond considérable, dit-il. Les infrastructures sont infiniment plus adaptées à la pratique du vélo en ville. Mais quand je vois le traitement royal qui est réservé aux voitures, je ne peux m'empêcher de penser que l'utilisation du vélo comme moyen de transport y est sous-encouragée à Montréal. »

« Aujourd'hui, la pratique du vélo est ancrée dans les moeurs des gens, dit-il. Mais j'ai l'impression que les élus voient encore le vélo comme une belle activité sympathique, pas comme une solution sérieuse aux problèmes de transport. Dans tout l'argent qui est investi dans les transports à Montréal, le vélo ne récolte encore que des pinottes. »

« Tous les élus vont vous dire qu'ils sont en faveur de la pratique du vélo, explique Michel Labrecque. Sauf que pour eux, le vélo est un loisir, un peu comme la natation. Ils ne voient pas le potentiel du vélo pour réduite la congestion, améliorer la qualité de l'air, et rendre la vie plus facile aux citadins, qui sont de plus en plus nombreux à se plaindre de la circulation dans les petites rues de quartier. »

Résultat : au centre-ville de Montréal, les pistes cyclables ne sont encore qu'à l'état de projet, explique Serge Lefebvre, coordonnateur des voies cyclables à la Ville de Montréal.

« Au centre-ville, si on veut fait une piste cyclable, c'est sûr qu'il faut enlever quelque chose à quelqu'un, dit-il candidement. Bien souvent, les commerçants n'ont rien contre la pratique du vélo au centre-ville. Sauf qu'ils ne sont pas prêts à voir disparaître la place de stationnement située devant leur commerce. Il va falloir négocier avec eux, pour arriver à une solution qui arrange tout le monde », dit-il, ajoutant qu'aucune négociation n'avait encore été amorcée.

En attendant une solution globale pour encourager les cyclistes à se rendre au centre-ville, les cyclistes sont encore perçus comme des curiosités au royaume des automobilistes. « Lorsque je me rends à une réunion d'affaires en vélo, les gens sont encore interloqués, explique Michel Labrecque. Dans la tête des gens, le vélo c'est encore une affaire d'étudiants. Si vous portez une cravate, vous ne pouvez pas vous déplacer en vélo. C'est un mythe tenace auquel il faut s'attaquer. Sinon, j'ai peur que la «révolution» cycliste dont on rêvait quand on était jeune n'ait été le projet d'une seule génération. »

Le vélo au Québec
• Nombre de vélos : 5,5 millions (dont 4,2 millions de vélos adultes).
• Nombre de vélos neufs vendus par année : 625 000.
• Nombre de vélos construits au Québec par année : 900 000.
• Pourcentage de la production canadienne : 80 %.
• Marché du vélo neuf : 193 millions de dollars par année.
• Nombre de cyclistes: 3,5 millions.
• Pourcentage des cyclistes qui font du vélo au moins une fois par semaine : 31 % des adultes et 76 % des enfants.
• Nombre de kilomètres parcourus en moyenne par année : 630 km.
• Pistes et banques cyclables : 3270 km.
• Aménagement sur route : 1783 km.

Source : L'État du vélo au Québec, Vélo Québec (2001)

photo : Armand Trottier


page mise en ligne par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
Qui sur SVP?