14 mars 2003


à la une du cahier des Sports

« La vie me gâte »

Manon Jutras a quitté son emploi
pour satisfaire sa passion du vélo

Daniel Aucoin
daucoin@lapresse.ca

En 1991, avec un baccalauréat en microbiologie et un certificat en gestion et marketing en mains, Manon Jutras entreprend sa carrière professionnelle en acceptant un poste temporaire chez Glaxo, une entreprise de produits pharmaceutiques. À sa grande surprise, elle adore son travail et gravit les échelons un à un. Entrée par la petite porte à titre de représentante junior, Jutras taille sa place au sein de l'entreprise et devient représentante senior, puis chef d'équipe et finalement consultante. « Le pire, c'est que je n'ai jamais couru après les promotions, explique-t-elle. Il y a eu du mouvement de personnels en raison de fusions et les patrons m'offraient toujours des promotions. J'aimais mon travail, j'aimais mes collègues... et je faisais un bon salaire. »

Malgré tout, Manon Jutras prend une importante décision à l'automne de 2001 et décide de quitter son emploi.

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Tout au long de ses études, Jutras est une sportive de fin de semaine qui participe à des triathlons pour le plaisir d'être avec ses amis. Une fois chez Glaxo, elle poursuit l'entraînement et termine parmi les 15 premières aux Championnats canadiens de 1997, 1998 et 1999. Comme elle n'atteint jamais son objectif de faire partie des dix meilleures, elle suit les conseils de ses amis et de son conjoint (Jocelyn Gascon-Giroux de l'équipe nationale de triathlon).

« Ils me disaient tous que j'excellais en vélo et que c'est dans cette discipline que je devrais me fixer des objectifs élevés, dit-elle. Je me lance donc dans l'aventure du vélo en vue des Championnats canadiens de juillet 2000. Mais ces championnats servent de sélections olympiques et s'avèrent une fort mauvaise expérience. Le contre-la-montre se termine dans la controverse quand le clan Jeanson crie à l'injustice parce que Geneviève et Clara Hughes (la gagnante) n'ont pas emprunté le même parcours. Puis la course sur route devient une course dans une course parce que les cinq filles présélectionnées pour les Jeux ne font que s'étudier et ignorent toutes les autres filles qui finissent devant elles. Je me demandais bien dans quel monde je m'étais embarquée. En triathlon, les compétitions sont toujours amicales. En vélo c'est de la merde que je me disais. J'avais 32 ans et je me disais que ce monde-là n'était pas pour moi. »

Sauf que quelques semaines plus tard, Geneviève Jeanson communiquait avec elle. « Aïe! C'était la vedette, la championne du monde. Puis elle m'appelait pour me demander de faire partie de son équipe en 2001. Une toute nouvelle équipe. »

Manon Jutras accepte l'offre et se négocie un congé sans solde afin de vivre sa passion. Elle aidera la vedette de l'heure au cours de l'été 2001 et reprendra son travail à l'automne. Comme elle joue son rôle à merveille au sein de l'équipe Rona tout au long de l'été (elle permet entre autre à Jeanson de gagner la Coupe du monde du mont Royal), on lui demande évidemment de revenir en 2002.

Torturée entre son travail et sa passion, Manon Jutras tente de vendre l'idée à ses patrons de devenir consultante à horaire flexible. Comme les nouveaux dirigeants refusent, la cycliste a le choix entre l'emploi fort rémunérateur ou la passion aussi payante qu'un emploi d'été pour étudiant. Son choix ? Le vélo. « Je peux vous dire que mes collègues de travail étaient pas mal surpris ! »

Comme son conjoint, un ingénieur, veut également vivre sa passion pour le triathlon, le couple déménage à Victoria, en Colombie-Britannique, où il pourra s'entraîner à l'extérieur 12 mois par année.

Rapidement remise d'une fracture du bassin subie en mars, Jutras connaît une excellente saison 2002 avec son gilet Rona sur le dos. Elle pave encore la voie à Jeanson, qui termine troisième sur le mont Royal et se paye de bons résultats quand cette dernière est à son tour victime de blessures.

Cette fois, son travail est remarqué par l'équipe Saturn, qui lui offre un emploi à la fin de l'été. « Saturn, c'est la grosse équipe du peloton. Je n'en revenais pas quand ils m'ont appelée », confie-t-elle.

Jusqu'ici, l'ex-triathionnienne du dimanche a pris part à deux compétitions dans son nouvel uniforme et adore l'expérience. «Chez Saturn, on a une approche différente de la course que chez Rona. Je vais beaucoup apprendre. De fait, j'ai 35 ans, mais je compte très peu d'années en cyclisme. Ici, je roule avec des filles très expérimentées et j'ai aussi la chance de côtoyer l'équipe masculine. C'est vraiment très intéressant. La vie me gâte. »

En plus de participer à toutes les épreuves au calendrier de l'équipe Saturn, Manon Jutras aimerait bien attirer l'attention des dirigeants de l'équipe canadienne en vue des Jeux panaméricains ainsi que des Championnats du monde, qui doivent être tenus à Hamilton cet automne. « Mais ça, je n'ai pas le contrôle là-dessus », convient-elle.

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page mise en ligne le 14 mars 2003 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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