Simon Drouin
L'histoire du docteur Maurice Duquette a pris une tournure rocambolesque, hier, devant le comité de discipline du Collège des médecins du Québec.
Quelques heures après avoir admis sa culpabilité à 14 chefs d'accusation pour avoir prescrit et administré de manière inappropriée de l'EPO, une substance dopante interdite, le Dr Duquette a viré capot et est revenu sur les aveux concernant la cycliste québécoise de niveau international et son entraîneur, qu'une ordonnance de non-publication nous interdit d'identifier.
Hier matin, à la surprise générale, Me Alain Barrette, l'avocat représentant la cycliste et son entraîneur, a demandé au comité de discipline la permission de déposer une lettre dans laquelle le Dr Duquette soutient ne pas avoir « prescrit ou donner d'Éprex (ndlr. une appellation commerciale de l'EPO) » à la cycliste. L'orthopédiste montréalais ajoute qu'il n'a pas non plus émis de prescription pour de l'EPO à l'entraîneur. Ces affirmations sont contraires au plaidoyer de culpabilité enregistré lundi par le Dr Duquette.
Visiblement irrité et décontenancé par la tournure des événements, Me Jean-François Lepage, l'avocat représentant le Dr Duquette, s'est opposé à ce que la lettre de son propre client soit déposée ! Le syndic du comité de discipline, représenté par Me Jacques Prévost, a eu la même réaction. Le comité a finalement refusé le dépôt de la lettre. Me Barrette a donc choisi de transmettre la lettre aux médias.
Selon Me Barrette, la lettre a été remise à sa cliente par le Dr Duquette lui-même. Comment expliquer un tel revirement de situation ? Le procureur du syndic a peut-être refusé que le Dr Duquette s'avoue coupable sur certains des 14 chefs plutôt que sur l'ensemble, a mentionné l'avocat. « Tu plaides coupable sur tout ou sur rien, c'est peut-être ça qui est arrivé », a-t-il dit à La Presse au cours d'un entretien téléphonique.
« Quand on plaide coupable sur des chefs, on peut négocier la sentence. Il est connu que quand on plaide coupable, la sentence est plus clémente que si on décide de faire un procès et qu'on est déclaré coupable au bout du compte », a ajouté Me Barrette, précisant que ce n'était qu'une hypothèse sur les motivations du Dr Duquette.
Il y a quelques jours, sentant qu'un plaidoyer de culpabilité se préparait, Me Barrette a envoyé une lettre au Dr Duquette, lui enjoignant de mesurer la portée de son geste pour ses clients. « J'ai voulu lui dire que çe faisant, il pouvait causer des dommages à des tiers qui sont tout simplement innocents, a indiqué l'avocat. D'après moi, par sa lettre, le docteur fait juste rétablir une réalité concernant ces patients-là. »
Après cet épisode pour le moins rocambolesque, Me Marc-André Blanchard, l'avocat qui représente La Presse, Radio-Canada et The Gazette, a pu présenter ses arguments visant à faire lever les ordonnances qui empêchent les médias de dévoiler l'identité des patients mentionnés dans l'affaire. Me Blanchard a accepté le même mandat de la part de la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC) et de l'Association cycliste canadienne, deux fédérations qui souhaitent que la cycliste en question soit identifiée pour être questionnée.
« Pour pouvoir convoquer les athlètes et les personnes au comité de discipline et faire le travail correctement, il serait évidemment préférable que les noms puissent être rendus publics », a mentionné le directeur général de la FQSC, Louis Barbeau, dans une entrevue à Radio-Canada.
Le comité de discipline a pris la demande de levée des ordonnances en délibéré et pourrait rendre une décision d'ici une dizaine de jours.
Par ailleurs, le Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES), l'organisme chargé entre autres de sanctionner les athlètes canadiens convaincus de dopage, estime que les informations divulguées devant un comité disciplinaire professionnel peuvent être utilisées contre un athlète.
« Je ne commenterai pas le cas (du Dr Duquette), mais il me semble que s'il y a une preuve écrite provenant d'un processus légal ou quasi légal, comme c'est le cas pour un comité de discipline professionnel, ce sont des informations assez fiables, a soutenu Joseph de Pencier, avocat général du CCES. Je ne crois pas qu'on pourrait ignorer ces informations. Il faudrait examiner la question avec attention.
page mise en ligne le 12 novembre 2003 par SVP