Gabriel Lupien fut successivement père rédemptoriste, père de Vélo-Québec et … père de famille.
Alain Bouchard
Après avoir été un bon père rédemptoriste, Gabriel Lupien a été un bon père de famille, puis le père de Vélo-Québec. S'il avait pu faire pédaler les chats ou les oiseaux, il l'aurait fait. Puisqu'il a fait pédaler les aveugles!
Il y a souvent une grande passion, voire une grande manie derrière le bénévolat "extrême". Voilà comment le vélo a récemment valu à cet homme de 77 ans le prix québécois Dollard-Morin du loisir et du sport. "On voulait mettre des cyclistes sur la route, et Dieu qu'on en a mis, raconte Gabriel Lupien au SOLEIL, durant un dîner à la... Cage aux Sports. Non seulement on aidait alors les jeunes, en les faisant pédaler. Mais on leur inculquait des habitudes sportives dans lesquelles ils reviendraient ensuite comme parents. "
Gabriel Lupien, qui est originaire de Shawinigan, fut l'un des premiers éducateurs physiques en soutane de tout le Québec. Après son cours classique au séminaire Saint-Alphonse, chez les Rédemptoristes de Beaupré, il fut au nombre des premiers Québécois à aller étudier l'éducation physique à l'Université d'Ottawa. La spécialité ne s'enseignait nulle part au Québec, à cette époque. La culture du corps y était aussi louche que la culture de l'argent.
Devenu enseignant à son alma mater de Sainte-Anne-de-Beaupré, à l'ombre de la célèbre basilique des "miracles", le jeune religieux se mit en frais de vouloir en faire par la bicyclette. Il se mit à sauver des jeunes, pour ne pas dire des âmes, en les faisant pédaler. Voici la philosophie qui l'animait, telle que décrite dans le prospectus de fondation de l'École cyclotourisme du Québec, qui est son oeuvre: " Un problème très grave se pose pour les jeunes de 14 à 20 ans, qui sont sans travail. La plupart d'entre eux font de la bicyclette ( ... ). Mais ils se fatiguent vite de se balader en ville, dans une circulation dense, qu'ils encombrent, hélas, trop souvent. ( ... )
Ils feront des sottises, parfois graves de conséquences, pour oublier l'isolement qui les entoure. Ils ne sont pas faits pour tourner en cage à cet âge. Il leur faut le large, les vastes horizons, ils apaiseront leur désir du risque et de l'aventure en développant le goût de l'effort et d'une discipline personnelle.
Cinq enfants
Voilà comment, en 1956, fut fondée l'École de cyclotourisme, qui visait à répandre la pratique sécuritaire du cyclisme de promenade. "Des cours étaient donnés dans les cours d'école, dans les terrains de jeux, dans les patros, se souvient Gabriel Lupien. Des tests de conduite étaient effectués. Et à une certaine époque, un pique-nique récompensait leur réussite. "
L'École marchait si bien qu'elle devint itinérante. Le Rédemptoriste et ses acolytes allaient " évangéliser " les cyclistes de Montmagny, de Lac-Mégantic, de Trois-Rivières. Puis, plus tard, de Montréal, d'une autre manière. Ce qui devait mener à la fondation de Vélo-Québec, en 1975, avec l'entreprenante Abitibienne Louise Roy comme secrétaire générale. C'est cette femme qui lança le célèbre Tour de l'île cycliste, à Montréal.
"Quand j'y étudiais, le séminaire Saint-Alphonse était l'un des rares collèges où les élèves s'y amenaient à vélo, se rappelle Gabriel Lupien. Il était aussi l'un des rares collèges où les cours d'éducation physique étaient obligatoires et dont les résultats avaient le même poids que celui des autres matières." L'ancien président de la CSN, Gérald Larose, pourrait le confirmer. Il fut confrère de Lupien, et assez proche de lui pour devenir secrétaire de son École cyclotourisme.
Le Rédemptoriste a 45 ans lorsque, en 1971, il décide de défroquer des ordres religieux. « J'ai fonctionné longtemps dans un grand questionnement, dit-il. J'estimais que l'idée de l'amour universel, plus ou moins abstrait, me convenait mal. Pour moi, l'amour était forcément dirigé vers des personnes précises. » La rencontre d'une jeune fille fut le tournant décisif. Il l'épousa, d'ailleurs. Et lui fit cinq enfants... qui devinrent tous cyclistes de plus ou moins haut calibre. Marie-Laurence Lupien, son bébé de 19 ans, est la plus connue de la famille. Elle est toujours coureuse, au niveau national.
Toujours bénévole
"On a fait des choses incroyables durant toutes ces années, raconte Gabriel Lupien. Comme organiser un tour cycliste du lac Saint-Jean, en 1960 (NDLR: comme quoi on n'a rien inventé aujourd'hui!). Et comme faire pédaler les aveugles, un peu plus tard. "
C'était à Montréal, à l'institut Nazareth, une école pour jeunes aveugles. Lupien a décidé qu'il remplacerait leur ultime repère qu'est le sol par un nouveau rapport au bruit, à la chaleur du soleil et au vent. "La technique consistait à pédaler à leur côté en parlant sans cesse, dit-il. Leur grande sensibilité au soleil et au vent a fait le reste. "
À 77 ans, " sans jamais avoir été malade de ma vie", Gabriel Lupien est toujours bénévole du cyclisme, au club Record de Québec, là où il a la tâche ingrate de faire rentrer l'argent. Et il pédale toujours lui-même, bien sûr. « L'hiver, c'est la marche, dit-il. Le ski de fond au froid, à un certain âge, n'est pas très indiqué pour les bronches »
Cet homme organisé, discipliné, altruiste l'a même été jusque dans son contrat de mariage. "J'ai dit à ma femme, de 15 ans plus jeune que moi: le jour où tu auras envie de vivre ton âge, pas de problème, je te laisserai aller. Il faut savoir vivre chaque étape pour ce qu'elle est."
page mise en ligne le 22 novembre 2003 par SVP