Richard Lessard
Directeur, Direction de la santé publique de Montréal
À titre de responsable de la santé publique pour le territoire de Montréal, je tiens à vous faire part de ma plus profonde perplexité quant au bien-fondé de votre décision de permettre, dès le printemps prochain, le virage à droite sur feu rouge (VDFR) partout au Québec, sauf à Montréal.
Sur le strict plan de la santé publique, cette décision est mal avisée car elle aura pour conséquences prévisibles :
- d'augmenter le nombre de collisions avec blessés (le rapport Gou fait une projection de 162 collisions), tel qu'attesté par les projets pilotes réalisés par votre propre ministère,
- d'alourdir le bilan routier que collectivement nous avons réussi à améliorer grandement depuis une décennie, notamment par des mesures de santé publique comme l'obligation du port de la ceinture de sécurité ou les grandes campagnes contre l'alcool au volant.
Cela me semble déjà constituer deux arguments de poids pour que vous reconsidériez la décision prise. Mais il y a plus. Votre ministère, dans son Plan pour diminuer le nombre de blessés et de morts sur nos routes d'ici 2005, s'est donné un objectif de réduction de 15 %. N'est-ce pas là un contradiction de fond dans vos objectifs, un paradoxe étonnant ? D'autant plus que l'expert Michel Gou, de l'École polytechnique, auteur du rapport d'évaluation complémentaire sur le sujet, se montre d'une très grande prudence face aux «supposés avantages du VDFR» et ne prend pas clairement position en sa faveur. Mieux encore, il vous propose d'autres solutions -- vérification hebdomadaire de la pression des pneus, synchronisation systématique des feux de circulation -- pour réaliser des gains bien supérieurs en ce qui a trait aux objectifs de réduction de consommation d'essence et de perte de temps pour les automobilistes.
Ma préoccupation immédiate, de par mes fonctions, est bien sûr pour les Montréalais. Or, vous annoncez que, pour Montréal, la décision est laissée aux autorités locales. Curieux, car c'est sans aucun doute ici que les effets les plus néfastes du VDFR (compte tenu de la densité de la population et de la circulation) se vérifieraient le jour où, la pression du reste du Québec aidant, certains, même bien intentionnés, voudront que ce soit pareil partout !
Quant à l'argument de l'harmonisation par rapport à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord -- à l'exception de la bien grosse exception qui s'appelle New York -- le spécialiste Michel Gou estime fort justement que ça ne tient pas la route, compte tenu des nombreuses autres différences entre les réseaux routiers des provinces et États américains.
À titre de responsable des transports au Québec, vous vous devez, ainsi que le conseil des ministres, de reconsidérer votre décision à la lumière du véritable bien commun de la population, dont la santé constitue le premier fondement. À cet égard, toute la preuve épidémiologique (études, recherches, mémoires) rassemblée par la Direction de la santé publique au cours des dernières années et produite lors de l'étude du Livre vert sur la sécurité routière au Québec en 2000 constitue toujours une somme d'informations objectives et incontestables pour appuyer le maintien du statu quo dans ce dossier.
page mise en ligne le 17 septembre 2002 par SVP