Monsieur Bernard Desgagné de Hull a fait parvenir à VÉLOPTIMUM
copie de la lettre qui suit. Le titre est nôtre.
Monsieur Serge Ménard
Ministre des Transports du Québec
Monsieur le Ministre,
Je crois comprendre que vous vous apprêtez à autoriser en permanence le virage à droite au feu rouge dans un projet de loi que vous venez de déposer hier. Jusqu'à maintenant, le virage à droite n'était permis qu'à titre d'essai. Nous pouvions espérer que le gouvernement ferait marche arrière, mais, de toute évidence, il n'en est rien.
J'ai beaucoup de difficulté à saisir ce qui motive le gouvernement dans cette entreprise étrange qui consiste à risquer inutilement la sécurité des gens pour satisfaire les caprices de quelques-uns. Quand avons-nous assisté à des manifestations de Québécois en colère réclamant le virage à droite au feu rouge? Les études réalisées jusqu'à maintenant ont-elles démontré que des gains appréciables résulteraient de ce changement au Code de la route? Ne serait-ce pas plutôt le contraire? Les comptes rendus que j'ai lus dans les journaux prévoyaient des gains insignifiants ou nuls. Rien à voir avec les économies que nous ferions et la pollution que nous éliminerions si nous utilisions davantage le transport en commun ou si, comme d'autres peuples, nous circulions un peu plus à pied dans nos villes.
Pourquoi faudrait-il faire comme le reste de l'Amérique du Nord quand c'est l'Amérique du Nord qui, en fait, nage à contre-courant avec cette règle insolite et illogique que le reste de la planète ignore? N'y a-t-il pas eu, au Québec, des accidents causés par le virage à droite au feu rouge pendant la période d'essai? Et même si ces accidents n'ont entraîné ni blessure grave, ni décès, ne serait-il pas raisonnable de croire qu'à la longue, il finira par en arriver?
La vérité, Monsieur le Ministre, c'est que cette idée du virage à droite vient de votre prédécesseur, M. «Chevette», qui était beaucoup plus le ministre des Chars que le ministre des Transports. C'est la fantaisie d'un homme et elle ne répond aucunement aux besoins de la population du Québec. Au contraire.
En fait, au lieu d'autoriser le virage à droite au feu rouge et d'adopter d'autres mesures dignes des années cinquante pour accélérer la circulation automobile, le gouvernement devrait faire exactement l'inverse. À l'ère de l'effet de serre, il faut réduire la circulation automobile, et non la faciliter. Autrefois vue comme un instrument de libération, l'automobile s'est transformée en cauchemar pour l'humanité. Elle laisse derrière elle un cortège de morts et d'éclopés, en particulier parmi les jeunes, qui constituent des pertes immenses pour la société. Elle transforme en obèses dégénérés nos enfants désormais incapables de marcher pour se rendre au coin de la rue. Par la pollution et l'inactivité physique qu'elle entraîne, elle accroît considérablement les dépenses dans le domaine de la santé au point où, malgré toute notre richesse, nous ne sommes plus capables de donner aux gens les soins de santé les plus élémentaires. Elle nous force à dompter l'hiver au lieu de l'apprivoiser. Elle nécessite d'énormes dépenses d'infrastructure. Elle nuit considérablement à la qualité de vie dans les villes et provoque l'étalement urbain. Bref, loin d'être la clé des champs, l'automobile est un joug implacable.
Alors, que fait le gouvernement devant ce fléau? Il autorise le virage à droite au feu rouge pour que les gens aient encore plus envie de se servir de leur automobile. Mesure dérisoire et aberration. Décidément, si je n'étais pas un sympathisant de longue date du Parti québécois, je dirais qu'il y a là une intention bassement électoraliste.
Mais ce qui me pousse à vous écrire aujourd'hui, Monsieur le Ministre, ce n'est pas l'inertie de votre gouvernement devant certains problèmes sérieux qui nous concernent tous, ni son empressement à satisfaire les désirs frivoles des ginos dans leur Camaro. D'autres que moi ont déjà fait valoir à maintes reprises les arguments que je vous ai servis dans les paragraphes précédents et, manifestement, vous n'avez pas l'intention de les écouter. Non, je vous écris plutôt parce que je sens que vous violez sans vergogne mon droit à la sécurité et surtout, le droit de mes enfants à la sécurité. Vous vous apprêtez à permettre à des gens de conduire encore plus dangereusement des engins meurtriers, malgré le bon sens et la prudence qui devraient vous guider.
Vous trouvez que j'exagère? Et bien, laissez-moi vous parler de l'intersection du chemin de la Montagne et du boulevard McConnell-Laramée, à Gatineau, dans le secteur Hull. J'habite près de cette intersection et je la traverse presque tous les jours, tantôt pour aller me balader à pied, à vélo ou à ski dans le parc de la Gatineau, tantôt pour aller faire des courses, tantôt pour emmener mon garçon de cinq ans et demi à l'école. Cette intersection est dangereuse, comme bien d'autres intersections du reste. Puisque le chemin de la Montagne est en pente, les freinages sont lents. Et la plupart des automobilistes n'y font même pas leur arrêt obligatoire avant de tourner à droite sur le boulevard McConnell-Laramée, lorsque le feu est rouge. Ils suivent simplement la voiture qui les précède, comme si le feu était vert. Ce comportement a d'ailleurs été fréquemment observé dans les études réalisées au Québec pendant la période d'essai du virage à droite au feu rouge. Même la police se comporte dangereusement! Au printemps dernier, par exemple, j'ai vu une voiture de police qui descendait le chemin de la Montagne et dont ni le gyrophare, ni la sirène n'était actionné tourner à droite au feu rouge pour emprunter le boulevard McConnell-Laramée au moment où un semi-remorque arrivant en sens inverse et tournant à gauche entrait à vive allure dans l'intersection. La collision a été évitée de peu.
Le chemin de la Montagne est bordé d'une piste cyclable assez fréquentée. Au coin du boulevard McConnell-Laramée, un feu de circulation donne la priorité aux piétons et aux cyclistes pour quelques secondes. Pendant ce temps, une flèche verte invite les automobilistes à aller tout droit, mais il n'y a aucune flèche verte pointant vers la droite, ce qui est l'équivalent d'un feu rouge pour ceux qui veulent aller dans cette direction. Or, les automobilistes y sont tellement impatients et inconscients qu'ils ne font aucun cas de la prudence la plus élémentaire et se permettent de tourner à droite même lorsque des piétons ou des cyclistes essaient de traverser. Et le comble, dans cette histoire, c'est que, cet automne, un automobiliste tournant à droite au feu rouge nous a frôlés, moi et mon garçon, alors que nous étions à bicyclette.
Il va sans dire que si le virage à droite au feu rouge était interdit, comme le veut le bon sens, les piétons et les cyclistes risqueraient moins de se faire frapper. J'espère donc que vous réfléchirez sérieusement à ce danger que vous nous faites courir inutilement. Mais si, malgré tout, vous persistiez dans votre démarche actuelle et s'il devait un jour arriver un malheur à l'un de mes proches en raison du virage à droite au feu rouge, je vous en tiendrais criminellement responsable, vous et votre gouvernement. Et si les tribunaux ne me donnaient pas raison, je m'emploierais sans relâche à vous rappeler votre responsabilité, pour que vous n'oubliiez jamais les vies que vous auriez gâchées.
Quoi qu'il en soit, si vous ne retirez pas votre projet de loi insensé, passéiste et barbare, je considérerai que votre gouvernement n'a pas vraiment à coeur l'intérêt véritable des Québécois et, la mort dans l'âme, je voterai contre le parti que j'ai pourtant appuyé à chaque élection depuis que j'ai l'âge de la majorité, c'est-à-dire depuis l'élection de 1976.
Bernard Desgagné
page mise en ligne le 8 novembre 2002 par SVP