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4 septembre 2005

Histoires de pillage

Il y a deux jours, en pleine crise nationale, Grover Norquist, influent lobbyiste républicain, a envoyé une note à ses alliés. Voici en partie ce qu'il écrivait : « Les adversaires de l'abolition de l'impôt sur les successions vont exploiter cette tragédie pour reporter un vote. »

La « tragédie», bien sûr, c'est l'inondation de La Nouvelle-OrIléans, qui s'est transformée en déshonneur national. Et l'abolition de l'impôt sur les successions, c'est un objectif du Sénat républicain, qui pourrait voter là- dessus dès mardi. Sur 10 ans, une telle mesure détournerait 236 milliards de recettes fiscales au profit de l'aristocratie économique des États-Unis.

On a beaucoup parlé, et avec raison, des pilleurs de La Nouvelle-Orléans, qui ont donné une image souvent affligeante des États-Unis la semaine dernière. Quelle honte ! Et particulièrement pour les Noirs de ce pays, qui se voient, à la télévision, réduits au sort des Haïtiens et des Somaliens. Quelle humiliation !

Malheureusement, il n'y a pas d'images pour illustrer ce qui se passe à Washington, où Grover Norquist lutte depuis 20 ans pour baisser les impôts et réduire au minimum la place de l'Etat. Il y a cependant une petite phrase qui donne une idée du personnage et de son idéologie ultra-conservatrice.

Président de l'association Americans for Tax Reform, proche de l'administration Bush, sujet d'un reportage récent dans le magazine The New Yorker, Grover Nordquist a déjà dit : « Mon but est de réduire la taille du gouvernement de moitié en 25 ans, de le ramener à une dimension où on pourrait le noyer dans la baignoire. »

Il a vraiment dit ça, et son ambition semble s'être réalisée à La Nouvelle-Orléans. Y aura-t-il une révolte contre cette mentalité, contre ce parti qui enrichit Halliburton en Irak et les plus riches des plus riches aux Etats-Unis ? Les désastres naturels, comme le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 et l'inondation de Johnstown (Pennsylvanie) en 1889, ont déjà occasionné des remises en question fondamentales.

Rappelons que le président Bush a obtenu, au cours de son premier mandat, trois réductions d'impôts totalisant 1900 milliards sur 10 ans. Au cours de son dernier mandat, il aimerait bien pérenniser ces réductions et aussi, bien sûr, abolir l'impôt sur les successions.

Sur ce dernier point, tous les milliardaires ne sont pas du même avis. Bill Gates et Warren Buffet, par exemple, préconisent le maintien de cet impôt. Leur principal argument est que le régime actuel encourage la philanthropie. Si jamais les plus riches pouvaient transmettre intact leur patrimoine à leurs enfants, ils n'auraient plus d'incitation à distribuer comme aujourd'hui leur fortune avant leur mort à des oeuvres diverses.

Au Congrès, les démocrates sont également opposés à l'abolition de l'impôt sur les successions. Ceux-là croient encore au rôle de la redistribution des revenus et de la réduction des inégalités.

Mais les républicains de Bush ne croient qu'aux réductions d'impôts, et ils sont majoritaires à Washington. Se livrent-ils eux aussi à du pillage, celui des finances publiques ?

La semaine dernière, les commentateurs conservateurs ont été particulièrement virulents à l'égard des pilleurs de La Nouvelle-Orléans. « Tirons dessus !» a écrit Peggy Noonan, pasionaria républicaine, dans les pages du Wall Street Journal.

Malheureusement, il n'y a pas d'images pour illustrer ce que fait la société de services pétroliers Halliburton en Irak. Il y a cependant un rapport, rendu public par les démocrates en juin dernier. Selon cette étude, les surfacturations de Halliburton ont coûté au moins un milliard aux contribuables américains. Parmi les cas d'abus les plus grossiers, ils ont cité des paquets de boissons gazeuses facturés 45 $ chacun.

Le pillage de La Nouvelle-Orléans semble peu de chose à côté de celui de l'Irak. Faut-il pour autant tirer sur Dick Cheney et cie ?

Il va sans dire que le président Bush n'est pas directement responsable du désastre en Louisiane, mais toutes ses politiques semblent y mener. Pour financer ses réductions d'impôts, il a réduit le budget d'entretien des digues de La Nouvelle-Orléans. Pour faire la guerre en Irak, il a envoyé des soldats de la Garde nationale de la Louisiane, qui aurait dû protéger la population de l'État dès mardi. Pour faire plaisir à l'industrie automobile, il a subventionné l'achat des véhicules utilitaires sport, qui sont aussi gourmands que polluants.

Vraiment, dans ce désastre de La Nouvelle-Orléans, il y a, réunis, tous les problèmes des États-Unis sous l'administration Bush. Et le président, qui était sorti grandi de la tragédie du 11 septembre 2001, paraît très mal depuis une semaine. Même la page éditoriale du New York Post l'a critiqué, hier, lui donnant « trois jours » pour reprendre les choses en mains dans le sud des États-Unis.

« Les trois prochains jours pourraient déterminer s'il commandera le respect du peuple américain pour les trois prochaines années. »

Tu parles !

Il y a trois ans, un républicain désabusé, Kevin Phillips, publiait Richesse et démocratie, un réquisitoire impitoyable contre la dérive ploutocratique (c'est son mot) du capitalisme américain. Selon lui, les États-Unis ne sortiront pas de cette phase, qui encourage le développement d'une « aristocratie économique héréditaire », sans des réformes profondes ou une violente secousse sociale.

La catastrophe de La Nouvelle-Orléans a secoué les États-Unis, c'est évident. Mais jusqu'à quel point ? Il faudra peut-être attendre jusqu'aux élections de mi-mandat, en novembre 2006, pour avoir un début de réponse.