7 mars 2006
Mathieu Perreault
Le matin du 23 mai 2003, un million de Québécois sont soudainement devenus trop gros. Les autorités médicales venaient d'adopter un nouveau critère d'embonpoint: la limite du poids santé diminuait de 7,4 %.
Qui a décidé de changer cette limite? Des chercheurs qui sont en conflit d'intérêts, selon un groupe de chercheurs américains. Le Groupe de travail international sur l'obésité, qui fixe cette limite, est en effet en partie financé par l'industrie du régime.
Ces chercheurs iconoclastes ont récemment publié leur thèse dans l'influente revue universitaire International Journal of Epidemiology. L'un d'entre eux, le politologue Eric Oliver, de l'Université de Chicago, a publié un livre, Fat Politics, où il affirme que la croisade contre l'obésité est davantage morale que médicale.
Le Groupe de travail international sur l'obésité n'a pas voulu répondre aux allégations de conflit d'intérêts. Toutes les associations médicales sont financées par des compagnies pharmaceutiques, se limite-t-on à souligner.
Mais une nutritionniste de l'Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ) est elle aussi gênée par le conflit d'intérêts potentiel. «Les subventions des compagnies pharmaceutiques, ça laisse toujours mal à l'aise, dit Lyne Mongeau, de l'INSPQ, en entrevue à La Presse. Mais d'un autre côté, l'industrie alimentaire investit énormément d'argent pour faire la promotion d'aliments qui sont à la base du problème de l'obésité. Il va falloir faire beaucoup d'efforts pour changer les habitudes. Par exemple, il n'y a aucune raison pour que la nourriture de base des festivals et des événements publics soit les boissons gazeuses, la pizza, les chips, les frites et les hot-dogs.»
Quand Santé Canada a tenu des consultations publiques sur l'adoption des nouvelles limites d'embonpoint, Mme Mongeau s'est opposée au changement. «Entre un indice de masse corporelle (IMC) de 25 et de 27, il y a beaucoup d'hétérogénéité: des hommes très musclés, des femmes qui ont des fortes hanches. Il n'y a pas eu beaucoup d'opposition au changement chez les cliniciens, parce qu'ils savent reconnaître les cas problématiques. Mais dans la population, ça crée des anxiétés qui ne sont parfois pas nécessaires.»
En mai 2003, la limite de l'embonpoint est passée d'un IMC de 27 à 25. La proportion de Québécois adultes ayant un excès de poids est alors passée de 31,8 % à 47,3 %. Mme Mongeau s'inquiète que cette limite soit encore abaissée, parce qu'en Chine, les problèmes liés au surpoids apparaissent plus tôt, à partir d'un IMC de 23.
La limite de poids insuffisant a elle aussi été abaissée, d'un IMC de 20 à 18,5. Résultat, la proportion d'adultes trop maigres est passée de 13,6 % à 2,8 %. Compte tenu des problèmes d'anorexie chez les jeunes femmes, ce changement inquiète Mme Mongeau. Les critiques de la lutte contre l'obésité ont fait leurs choux gras de la publication de deux études contradictoires par le Centers for Disease Control, l'agence de santé publique du gouvernement américain. La première, en 2004, affirmait que l'excès de poids causait 414 000 morts par année aux États-Unis, davantage que le cancer du poumon. La deuxième, parue l'an dernier, abaissait ce chiffre à 112 000, parce que des erreurs de calcul avaient été faites par la première étude.
L'accent sur l'obésité a dépassé largement ses effets négatifs sur la santé publique, affirme le politologue Eric Oliver dans Fat Politics.
«L'embonpoint a cessé d'être à la mode quand il est devenu associé à la pauvreté», affirme M. Oliver en entrevue téléphonique.
Le calcul de L'IMC
On calcule l'indice de masse corporelle en divisant le poids (en kilogrammes) par la taille au carré (en mètres). Le poids santé se situe entre 18,5 et 25, et l'obésité commence à 30. Ces limites ont été proposées par l'Organisation mondiale de la santé en 1995 et adoptées par Santé Canada en 2003.
page mise en ligne par SVP
Consultez
notre ENCYCLOPÉDIE sportive