25 janvier 1994
La boîte aux lettres |
Ce titre fait écho au titre que donnait Claude Gingras à sa critique d'un concert de la violoncelliste Sophie Rolland en novembre dernier. La critique, qui paraissait dans La Presse du lendemain (24 novembre 1993) était très représentative du style journalistique que M. Gingras s'amuse à pratiquer depuis déjà trop longtemps. Je me suis dit que le plus navrant, c'est que la communauté musicale montréalaise se soit habituée à la présence de ce journaliste dans le milieu, comme une épine au pied dont on n'arrive pas à se débarrasser. Tant mieux pour ceux qui en sont arrivés à penser que ses méchancetés sont à afficher au Musée juste pour rire. Il est malheureusement des artistes qui en ont été brisés. Je ne suis pas de ceux-là, moi qui n'ai eu que des commentaires positifs de sa part au sujet de mes disques et de mes concerts : honneur ou déshonneur ?
Pour ma part, il me semble urgent de réagir. Des critiques comme celle que Sophie Rolland a eu à subir ne devraient jamais, à mon avis, paraître dans un journal sérieux. Sur le fond, personne ne peut nier à Claude Gingras le privilège d'aimer ou de ne pas aimer ce qu'il entend. Je dis bien « ce qu'il entend ». Encore faut-il qu'il fasse preuve de respect à l'endroit des artistes qui ont le courage de monter sur une scène et qui tentent de donner le meilleur d'eux-mêmes. Au lieu de cela, voyons par quels procédés Claude Gingras fait ce qu'il est convenu d'appeler «de la critique musicale». (Je tiens pour un avantage de n'avoir pas assisté au concert : je pourrai ainsi m'attarder uniquement à la forme de l'article.)
M. Gingras affirme que Sophie Rolland devrait « renoncer une fois pour toutes à jouer du violoncelle ». S'il n'a pas aimé la prestation de la musicienne, qui est-il pour décider que plus personne n'a envie d'entendre Sophie Rolland en public? Il y va ensuite de ses sarcasmes au sujet de la tenue vestimentaire (un «déguisement ») de l'artiste et de sa posture. À ce que je sache, Claude Gingras n'est pas engagé par son journal pour faire une revue de mode. C'est de musique qu'il devrait s'agir. Combien futiles - et bien évidemment subjectifs - me semblent donc ces commentaires alors qu'on est impatient d'entrer dans le vif du sujet, à savoir ce que Sophie Rolland avait à livrer à ses auditeurs, ce soir-là? Pour la substance, on peut toujours attendre! Car on passe maintenant aux «séances d'accordage » de la violoncelliste. «Accordage», comme le sait très bien M. Gingras, n'est pas un mot français et il a, dans le contexte, une connotation volontairement péjorative. Son emploi n'est pas le fait d'un journaliste rigoureux, mais soit, Claude Gingras a le droit de faire appel à l'ironie, ce dont il ne se prive pas.
Par contre, lorsque c'est du mépris qu'il témoigne, là je bondis, parce qu'aucun artiste ne mérite un tel traitement. Il est déjà assez périlleux d'être musicien au Québec, par les temps qui courent, sans qu'on ait à subir la hargne d'un journaliste qui se veut, selon ses propres termes, « un intermédiaire entre celui qui donne et celui qui reçoit»*. Comment voulez-vous que le public ait envie d'aller au concert quand l'image qu'on lui projette des artistes est teintée de propos injurieux? «La pauvre fille» et «les ruminations de mademoiselle» en sont des exemples probants. Ici, si on n'est pas dans le mépris, je me demande où est la limite? Non, Sophie Rolland n'est pas plus un ruminant que Mireille Lagacé «un pingouin » (La Presse, 26 mars 1984) et que Claude Gingras un critique musical. On croirait que Monsieur Gingras se prend pour un inspecteur de zoo. C'est alors à Granby qu'il faudrait songer à le muter... A vrai dire, la seule phrase qui me semble receler quelque vérité dans tout son article est la suivante: «Il existe de mauvais critiques. » D'ailleurs, un critique soucieux de rendre compte d'un concert, sachant qu'un programme musical forme un tout, n'a-t-il pas le devoir de rester jusqu'à la fin de l'événement? Claude Gingras avoue avoir quitté la salle avant la fin.
Ridiculiser certains musiciens de son choix paraît être le jeu préféré du chroniqueur. Pour des raisons qu'on devine, mais qu'il ne nous appartient pas de discuter ici, il cogne à bras raccourcis sur les uns pour défier les autres. Je passe rapidement sur les nombreuses erreurs qui se glissent dans ses papiers et qui nous amènent à mettre sérieusement en doute ses compétences musicales: je ne citerai que l'exemple d'une critique dans laquelle il affirmait que les oeuvres atonales de deux jeunes compositeurs créées la veille étaient nettement tonales (La Presse, 9 juin 1993). De la part d'un critique qui est censé «posséder une connaissance complète de son sujet »*, l'erreur est grossière.
En conclusion, je prétends représenter une opinion largement répandue dans le milieu musical selon laquelle La Presse ne fait rien de bon pour l'essor de la musique et la valorisation de ceux qui la pratiquent: elle publie depuis trop d'années les critiques d'un journaliste dont l'étendue du pouvoir est malheureusement proportionnelle à la méchanceté.
Hélène PANNETON
organiste-claveciniste
titulaire à Saint-Viateur d'Outremont
* Claude Gingras, Guide du spectacle et du disque, Québec, 1978
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