Rêverie
   Seule sur le bord de l'océan tempêreux, assise sur le récif, où les vagues viennet libérer leur écume, je me perdis dans mes pensées, dans mes rêves, aussi lugubres ou érotiques furent-ils. Ma première pensée fut pour la mort qui attire et retire de moi quasiment de l'admiration. Elle me fait peur mais j'en suis amoureuse.  Je suis amoureuse de son emprise sur les gens, de son statut qui fait que tous en ont peur.  Certains soirs, comme j'aimerais me blottir au creux de ses bras, bercée par son chant funèbre. J'aime me bercer dans les bras de la mort, je m'y sens tellement bien qu'un jour je pourrais bien vouloir y rester, y rester et m'y bercer. Oui, ma première pensée fut pour la mort, tendre amour qu'est le mien.

   Ma deuxième, je pensai à moi, simple mortelle pouvant à tout moment être emporter par la vague traitresse fouettant le rocher sur lequel je vogais hors de notre sale civilisation.

   Ma troisième pensée fut empreinte d'érotisme, seule chose encore imaginative et libre sur cette terre... Encore là, il n'y a plus de pudeur, plus d'intimité.  Tout devant être montré, partagé. Mais où donc est passé le temps des amants non-avoués, des amours cachés où même la vision de la chair du cou était déplacée. Bien loin, peut-être trop loin. Peu importe, je suis déjà emmené ailleurs. Je me suis retrouvée seule, sur une plage de sable chaud. Je marchais, retrouvant parfois de mes vêtements épars. Parfois une vague m'atteignait aux pieds. Une légère brise me fit me rendre compte que j'étais nue.  Tout à coup, je sentis le sable moins chaud, les vagues me parurent plus insistantes autour de mes chevilles, le vent me paru plus pervers. Mon rêve ma paru alors plus vrai que réalité.  Je ne pouvais plus sortir de mes pensées alors que ça aurait été mon plus ardent désir.  Non, je ne me sentais pas rassurée, j'avais peur d'être violer par l'immensité du silence. J'avais peur, j'avais tellement peur.

   J'entends des bruits de pas, quelqu'un vient. Il n'existe aucun endroit où cacher ma nudité, je devrai l'affronter.  Qui est-ce?  Je ne reconnais pas ce visage, je ne reconnais pas ce corps.  Je suis pourtant sûre que c'est l'amour que j'attendais.  Peu importe, je fermai les yeux et me laissai prendre.  J'aurais pu ouvrir les yeux et découvrir à qui appartenait ce corps qui s'acharnait au dessus de moi mais je ne voulais pas briser ce moment, un instant où tout semblait enfin possible.  Je sentais son corps en moi.  Oui, à ce moment j'aurais bien abandonné mon bel amour pour ce corps animal, quelque peu sauvage, tremblant de vie.

   Comme la société semble toujours s'acharner contre moi, encore une fois, elle me tira de ma tendre rêverie.  Le son d'un clocher résonnait au loin. J'aurais voulu crier ma haine quand je m'aperçus qu'il n'y avait pas de clocher à des kilomètres à la ronde.  Alors je compris. C'était mon bel amour qui me rappellait à elle, ayant senti mon désir d'infidèlité.  Regorgeante de désir pour la belle qui me tendait les bras, je me suis levée, j'ai sauté et mon corps fut fracassé entre la vague et le rocher.

   J'ai poussé mon dernier souffle  heureuse, au bras de l'amour dont j'avais tant rêvé.  Au moment où mon corps fut fracassé, la douleur que je ressentis fut un délice.  Pour moi, c'était le premier contact, la première donation complète de mon corps pour celle que j'avais toujours aimé. Ceux qui croiront à un suicide, je vous dis que vous vous trompez. Non, je ne suis pas morte, je crois que je suis enfin venue au monde.  Je suis heureuse, ma première nuit d'amour fut  inoubliable et sans heurt.  Je lui ai tout donné: mon amour, mon corps, ma virginité, ma vie...
19 octobre 1994
PS.  Je ne suis aucunement suicidaire et je ne l'étais pas plus à cette époque malgré ce que mes professeurs pouvaient bien en penser.  C'est que j'ai toujours cru que la mort, à son sens littéraire, était l'amour parfait.  La mort, quand elle vous choisi, elle ne vous abandonne jamais, c'est pour toujours.  Pas de séparation, pas de divorce, pas de larme.  Elle joue franc jeu. Quand on unit son corps avec elle, c'est pour l'éternité.  Voilà comment je la voyais. Mais dans le sens littéral, j'ai toujours aimé la vie.
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