M. Richard (Nicolet-Yamaska): Merci, M. le Président. M. Brun, dans votre traité de droit constitutionnel vous abordez à la page 139 le cas du Labrador. Pour vous, il semble y avoir certains doutes relatifs au statut du Labrador. Ça peut, peut-être, poser à question puisque, entre autres, M. Henri Dorion nous a dit d'oublier la revendication du Labrador, d'une façon assez claire. Ma question est la suivante: Vous serait-il possible de nous exposer en quoi le jugement de 1927 ne devrait pas être opposable au Québec? Et, pourriez-vous -- évidemment, vous allez sûrement pouvoir le faire -- nous expliquer le principe constitutionnel qui vous fait dire, entre autres, que la loi impériale de 1949 pourrait ne pas être opérante puisque, à ce moment-là, le Québec n'y a pas participé?

M. Brun: La question du Labrador... Bon! Dans le traité, c'est vrai qu'on laisse une petite fente. On est deux auteurs, n'est-ce pas? Et on laisse une petite fente, la porte juste un petit peu ouverte. C'est parce que c'est toujours pénible d'être le premier ou les premiers à dire que telle cause, qui a beaucoup de signification collective, est une cause perdue et que c'est terminé. Jusqu'ici, on ne peut pas dire que les autorités politique québécoises ont eu beaucoup de courage là-dessus. Peu important les partis, je ne crois pas qu'il y ait eu encore beaucoup de monde, de premiers ministres ou de ministres de la Justice, qui ont admis que c'était terminé, l'affaire du Labrador. Alors, ma foi, on a peut-être hésité à être les premiers croque-morts.

Ceci dit, si je jouais le jeu de certains de mes collègues juristes, je n'aurais qu'une attitude à tenir, c'est la suivante: le Labrador, c'est à nous. Je suis convaincu que c'est à nous parce que, en tant que juriste, à partir du moment où je nuance, parce que j'ai la conviction que, sur le plan scientifique, c'est ça, je ne peux pas dire autre chose, ce n'est pas vraiment crédible sur le plan juridique. C'est-à-dire, du côté, du front politique, je mets bas des armes, je laisse tomber du lest.

Est-ce que je dois faire comme certains de mes collègues juristes qui sont prêts, encore une fois, à habiller du manteau juridique à peu près n'importe quoi? Bon! Non, ma réponse est non. Je ne suis pas prêt à aller jusque-là et, pour répondre à la question du Labrador, je dois dire -- même si ça me fend l'âme pour des raisons historiques passées et peut-être parce que ça enlève des munitions pour demain, éventuellement -- que ma réponse de juriste aujourd'hui est que c'est une cause qui est terminée, une cause qui est perdue. Je ne pense pas, maintenant, qu'on puisse revenir là-dessus. Il y a trop de clôtures à sauter. Vous l'avez dit, il y a la clôture de 1949, une loi constitutionelle en bonne et du forme. C'est vrai qu'on n'a pas été participant, mais elle nous lie juridiquement en droit. Je peux faire une critique politique, mais, en droit, c'est ça. Il y a le jugement de 1927. On peut s'en plaidre là aussi, parler de juges et parties, mais s'en prendre à un jugement qui a cet âge-là, c'est tout un périple, d'un point de vue juridique. Si on monte plus loin dans l'histoire, on risque, même à cela, en plus de frapper d'autres difficultés plus loin dans l'histoire, sur la définition de ce laboratoire... Parce que toute la question est de savoir ce que veut dire le mot "côte". La côte du Labrador, est-ce que c'est "côte" dans un sens étroit? Est-ce que c'est le rivage de la mer ou si c'est la côte dans un sens physique plus large, tout le territoire qui est drainé par les cours d'eau qui se vident sur cette côte-là, qui se vident à la mer? Ma foi, peut-être qu'en remontant au texte premier qui parle de cette question du Labrador, c'est-à-dire la proclamation royale de 1763, peut-être que, même là, on serait obligé d'arriver à la conclusion que c'est "côte" au sens large et que la thèse terre-neuvienne est juste depuis cette époque.

Alors, tout ça mis ensemble fait que je ne serais pas capable de dire, comme juriste, qu'il y a là une cause à laquelle le Québec pourrait s'attaquer. Une reconquête à faire.