Back Forward Table of Contents Return to Homepage Return to Homepage

« Bilan » Contre-Révolution en Espagne - Présentation (11)


LE P.O.U.M.

Pour l'immense majorité des groupes de gauche et d'extrême gauche d'alors, la révolution bourgeoise reste à faire en Espagne [33] . Tous les tenants de cette thèse s'accordent sur la faiblesse de la bourgeoisie en Espagne. La révolution bourgeoise va donc à la défaite, selon eux, à moins de montrer plus d'audace, d'être plus « populaire » que dans les pays capitalistes modernes. Mais ils se divisent ensuite sur la portée plus ou moins radicale de ce dépassement. Un seul remède pour y parvenir en tout cas : l'« unité ». Dans un article de Masses, A. Patri cite en exemple la Catalogne où le Bloc Ouvrier et Paysan et le Parti Socialiste se sont alliés : « Avant qu'un général tire à nouveau son grand sabre, il faut que le mouvement ouvrier se soit constitué en Espagne. Là est la seule chance de salut » [34] .

Trotsky croit à la nécessité d'une phase démocratique, dont la réalisation par la classe ouvrière forcera celle-ci à aller plus loin, jusqu'à la révolution socialiste. A ce schéma de « révolution permanente », c'est-à-dire de lien indissoluble entre les deux phases, le P.O.U.M. oppose la thèse d'une étape démocratique bourgeoise distincte de la suivante, où le prolétariat fait « pression » sur la révolution bourgeoise sans en assumer lui-même les tâches. En 1931, le P.O.U.M. définit la prochaine révolution espagnole comme un nouveau 1789. « Le marché intérieur s'élargira dans des proportions fabuleuses et l'industrie sortira de son rachitisme traditionnel » [35] . Il y a flottement au sein du P.O.U.M. : Maurin est pour une structure gouvernementale de type bourgeois, Nin pour des structures de pouvoir nouvelles ( « juntes révolutionnaires » ). Cette question se relie aux autres divergences dans le P.O.U.M. Maurin est proche du séparatisme des diverses provinces, alors que Nin préconise une solution liant l'unité nationale et l'autonomie régionale. L'ex-B.O.P. dirigé par Maurin et qui donne au P.O.U.M. le gros de ses militants, est plus enraciné dans la situation réelle, et en subit encore plus les pressions démocratiques réformistes, que le petit groupe autour de Nin, venu du trotskysme. Pourtant le clivage Maurin-Nin n'aura guère d'effet pratique pendant la guerre. Maurin, est prisonnier des nationalistes, et on le croit mort. Nin donne au P.O.U.M. une phraséologie de gauche en appliquant une orientation droitière.

A la mi-1936, le spectre politique de la gauche espagnole diffère de celui des autres pays. Le mouvement ouvrier traditionnel, c'est d'abord la C.N.T., et, dans une moindre mesure, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et sa centrale syndicale l'U.G.T. Le P.C. est très faible par rapport au « centrisme » représenté par le P.O.U.M. ( mais, comme on l'a vu, Bilan qualifie le P.C. de « centriste » ). Le P.C.E. ne se développera qu'au pouvoir, avec le contrôle de l'Etat et l'appui russe. Jusqu'en 1934-1935, le P.O.U.M. est pour le « front uni » alors que le P.C.E. défend la ligne « sectaire » dite « clisse contre classe ». Généralisant l'expérience des Asturies et de l'Alliance Ouvrière de 1934, le P.O.U.M. refuse au début le Front Populaire tout en proposant l'Alliance Ouvrière. Il rejette au plan électoral ce qu'il accepte au fond, incapable de voir que le problème en d'abord dans la nature des organisations « ouvrières », qu'elles se réunissent en front de « combat » ou en coalition parlementaire.

Après juillet 1936, face au P.C. qui dit : surtout pas de socialisme, défendons seulement la démocratie, le P.O.U.M. dit : nous luttons pour la démocratie et pour le socialisme. Jamais il ne cherche à sen donner les moyens, ni n'indique que la condition d'une lutte pour le socialisme serait une rupture effective avec le capital. P.C. et P.S. embrigadent les masses réformistes; le P.O.U.M., lui, sert à justifier la guerre d'un point de vue « révolutionnaire ». Il veut fin 1936 « un gouvernement d'ouvriers et de paysans... ne versant pas son sang pour une république démocratique, mais pour une société libérée de toute exploitation capitaliste » [36] . Il est donc conduit à se heurter à l'Etat espagnol comme à l'U.R.S.S., sans jamais lui-même les attaquer de front : politique suicidaire. La répression exercée contre lui n'en fait pas pour autant un groupe révolutionnaire.

Les réformes qu'il appuie ( comme celle de la Justice avec Nin à sa tête ) doivent être abandonnées dès qu'elles ont rempli leur rôle, consistant à occuper les masses pour les détourner de la lutte contre l'Etat. Les collectivisations agricoles et industrielles traduisent certes une immense poussée révolutionnaire. Mais lorsque de telles poussées ne dépassent pas les limites politiques ( Etat ) et sociales ( économie marchande ) capitalistes, elles se condamnent. Afin de contribuer à l'évolution de telles formes au-delà de ces limites, la critique révolutionnaire se fait la plus incisive, montrant jusqu'où le capital peut aller pour se réformer, cédant sur tout pour garder l'essentiel. Le P.O.U.M. fait le contraire. Il doit reconnaître que l'Etat subsiste comme avant, y compris dans ses fonctions clé : « Le P.O.U.M. ne parvint nulle part à influer sur la police » [37] . Cela ne l'empêche pas de pousser aux transformations économico-sociales, dépourvues dès lors de tout fondement.

Le P.O.U.M. est incapable de voir en mai 1937 une victoire de l'Etat, qui attaque et fait céder ( après une vive résistance ) les ouvriers, qui croient encore en lui, alors même qu'il s'oppose à eux par les armes. Comme le P.O.U.M. et la C.N.T. ont appuyé l'Etat fin juillet 1936, de même ils cherchent le compromis avec lui en mai 1937, et appellent -- avec succès -- les ouvriers à déposer les armes [38] . P.O.U.M et C.N.T. acceptent la venue à Barcelone de 5000 gendarmes de Valence. Le caractère centriste du P.O.U.M, se vérifie au fait qu'il vise d'abord à convaincre une organisation « ouvrière » mais en fait non-révolutionnaire ( la C.N.T. ) d'agir de façon révolutionnaire, plutôt que de lui-même une activité minoritaire. Sa contradiction est de vouloir la conquête du pouvoir tout en appuyant le pouvoir d'Etat existant. L'Etat, lui, voit qu'il a les mains libres, liquidation commence.

« Le 19 juillet [1936] fut gagné militairement, mais politiquement. Quoi qu'on fit ensuite, cette faute irréparable. A partir de septembre, les forces « de l'ordre », qui s'étaient ressaisies, contre-attaquèrent. En réalité, les journées de mai [1937] ne furent pas une offensive révolutionnaire, mais une « défensive » condamnée à l'échec » [39] .

La répression qui suit n'ouvre pas les yeux des chefs P.O.U.M. : le dos au mur, face au calomnies, aux tortures et aux procès, ils dénoncent toujours les partis ( socialiste et stalinien ), jamais l'Etat. Seule une minorité s'élève amèrement contre la direction. Une cellule de Barcelone établit par exemple, preuves à l'appui, que la ligne officielle du parti équivaut à un soutien de l'Etat établi [40] . Ainsi, le 21 juillet 1937, le P.O.U.M. demande la « formation d'un gouvernement avec la participation de tous les composants du Front Populaire ». Cette cellule commente : « c'est-à-dire un gouvernement de ceux-là mêmes que nous accusions comme responsables de l'insurrection militaire ». Plus loin :

« L'unique point qui d'une manière indirecte concerne le problème du pouvoir est le no. 8[des propositions du parti]  : « Révision de la Constitution de la Catalogne dans un sens progressif. » Sans doute est-ce du moyen de cette révision que les travailleurs parviendront plus tard à la dictature du prolétariat dont nous parlera le camarade Nin. »

Mais cette minorité ne parvient jamais ( à notre connaissance ) à définit une autre perspective, ni même à provoquer une scission positive.

 
Notes
[33] Selon A. Leonetti, ancien troskyste revenu au P.C., le journal du P.C.I. aurait dit en 1931 que l'avènement de la République espagnole ne changeait pas grand chose : reste de gauche ou influence de la « troisième période » sectaire de l'I.C. ? Bordiga aurait commenté cette position en disant : « Le parti revient à moi. » Cf. Notes sur Gramsci, E.D.I.. 1974. pp. 199 sq.

[34] No. 11. 25 novembre 1933.

[35] Alba. Histoire du P.O.U.M.. Champ Libre, 1975, pp. 40 et 69-70

[36] C. Rama, La crise espagnole au XXe siècle, Fischbacher, 1962, p. 219.

[37] Alba, op. cit., p. 206.

[38] Alba, op. cit., pp. 272, 276, 284-5.

[39] Alba, op. cit., P. 279.

[40] In L'Internationale, no. 30, 10 août 1937.

Back Forward Table of Contents Return to Homepage Return to Homepage