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« Bilan » Contre-Révolution en Espagne - Présentation (15)


L'ANARCHISME DE GAUCHE

Malgré les nombreuses réactions chez les anarchistes contre l'orientation de la C.N.T.-F.A.I., aucune ne se dégage de la confusion fondamentale sur la question du pouvoir. Dans Guerre de classes, dont le premier numéro date de novembre 1936, C. Berneri tente de résister au sein du courant anarchiste de gauche. Berneri part de l'idée d'une révolution qui se déroulerait et qu'il faudrait appuyer, Soutenir l'Espagne révolutionnaire : cela ne peut signifier que soutenir l'Etat en place, ou agir en marge de lui sans le combattre. Il finit donc par demander aux masses de faire pression sur l'Etat existant. En même temps ( et c'est sa contradiction ), il montre en quoi le gouvernement agit contre la révolution : mais il ne désigne ainsi que le « gouvernement », non l'Etat. Il aboutit à une conciliation impossible entre la participation à l'Etat et l'exigence révolutionnaire :

« Le fait que des éléments de la C.N.T. et de la F.A.I. soient entrés dans des organismes de la police n'est pas suffisamment compensé par une autonomie qui aurait permis la rapidité et la discrétion... » [60] .

Sa polémique avec F. Montseny est restée célèbre [61] . Il dialogue avec elle, parce qu'anarchiste, bien que ministre. Il fait comme si elle avait le choix, imitant les trotskystes qui mettent les dirigeants « ouvriers » « au pied du mur ». Berneri est victime de l'idéologie révolutionnaire ( l'un de ses articles s'intitule Madrid, ville sublime ). Guerre et révolution illustre bien son glissement théorique [62] . De l'affirmation : Il faut la révolution, on passe à : Il y a une révolution, qu'il faut donc préserver, d'où lutte primordiale contre Franco, etc. Certes, il met en garde contre la « contre-révolution », Mais, s'il est vrai que le prolétariat est attaqué sur deux fronts ( par Franco et par la République ), on doit en conclure qu'il n'y a pas révolution tant que les prolétaires appuient l'une de ces deux formes de contre-révolution contre l'autre. Berneri parle de contre-révolution comme d'une menace alors que c'est une réalité : d'où ses mises en garde répétées. On proteste contre les agissements non-révolutionnaires de l'Etat : mais pourrait-il agir autrement ?

Le groupe des « Amis de Durruti », qui prolonge une tendance dure de la C.N.T., est aussi significatif, d'abord par le nom qu'il se donne. Il veut arracher le symbole de Durruti aux organisations anarchistes officielles qui s'en font un drapeau ( comme les staliniens de Luxembourg et Liebknecht jusqu'au début des années trente ), au lieu de critiquer le symbole lui-même ( cf. le § « Espagne : guerre ou révolution ? » ). Ce seul fait montre qu'ils entendent continuer le « vrai » anarchisme contre les anarchistes officiels. En juillet 1937, Les Amis de Durruti affirment que la poussée révolutionnaire s'est maintenue en mai 1937 malgré l'« absence de programme concret et de réalisations immédiates ». En 1936 comme en 1937, l'« erreur capitale » de la C.N.T.-F.A.I. fut la peur d'aller de l'avant et la latitude accordée à la prépondérance petite bourgeoise. Les Amis de Durruti préconisent au contraire la « nécessité d'une junte révolutionnaire, de la prédominance économique des syndicats et d'une structure libre des municipalités ». Il faut « un programme et des fusils » [63] . En août 1937, la C.N.T. et la F.A.I. ont failli par manque « de cette précision théorique que notre groupement proposa » [64] . Ce groupe diagnostique donc une insuffisance de la « direction », comme les trotskystes, face aux P.S. et P.C. Comme eux, il se conçoit comme partie intégrante de l'organisation « ouvrière » défaillante, qu'il veut redresser en lui insufflant sa théorie et sa volonté de lutte. L'animateur du groupe écrit lui-même dans le quotidien de la C.N.T. à Barcelone. On se fait une idée de la faiblesse prolétarienne quand on sait que Les Amis de Durruti sont avec les rares trotskystes ( autour de Munis ) et une toute petite minorité du P.O.U.M. et de la C.N.T. les seuls éléments organisés résolus en mai 1937. Le programme de ce Manifeste d'Union Communiste ( début juin 1937 ) restera lettre morte : « Pour battre Franco, il fallait d'abord battre Companys et Caballero. Pour vaincre le fascisme, il fallait d'abord écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire de fond en comble l'Etat capitaliste et instaurer un pouvoir ouvrier surgi des comités de base des travailleurs. L'a-politisme anarchiste a échoué... Pour vaincre le bloc de la bourgeoisie et de ses alliés : staliniens, socialistes et dirigeants de la C.N.T., les ouvriers doivent rompre maintenant avec les traîtres de tout bord. » Ce Manifeste reconnaît que « L'unité antifasciste n'a été que la soumission à la bourgeoisie ». Il est par ailleurs très favorable au P.O.U.M. [65] .

 
Notes
[60] Guerre de classes en Espagne, Spartacus, Reprint La Vieille Taupe, 1972, p. 17.

[61] Guerre de classes en Espagne, Spartacus, Reprint La Vieille Taupe, 1972, pp. 35-42.

[62] Guerre de classes en Espagne, Spartacus, Reprint La Vieille Taupe, 1972, pp. 42-5.

[63] « Une théorie révolutionnaire ! », L'Ami du Peuple, no. 5, in L'Internationale, no. 33, 18 décembre 1937.

[64] « Nécessité d'une junte révolutionnaire », L'Internationale, no. 6, id.

[65] Lorenzo, op. cit., p. 270.

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