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Communisme - Elements
De Reflexion (1)



COMMUNISME

Vous voulez abolir le salariat et vous le remplacez par quoi ? Qu'est-ce que vous proposez ? nous dit-on. Peut-on se contenter de répondre que l'abolition du salariat ne peut se concevoir que comme un mouvement social, un processus d'émancipation et de libération qui bouleverse l'ensemble de la vie ? Que cela suppose le changement complet des rapports sociaux ! C'est-à-dire en un mot : le communisme. Mais alors le communisme, c'est quoi, en supposant que ce soit autre chose que l'image à la sauce Goulag liée a des Partis ou à des Etats se prétendant eux-mêmes communistes ?

On peut se contenter d'un haussement d'épaules, penser que ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre aujourd'hui seront de toute façon contraints d'agir dans la direction du communisme sous la pression des conditions objectives. On peut considérer que ceux qui demandent « et alors, qu'est-ce que vous proposez ? » ne sont que des moutons à la recherche de nouveaux bergers. Ceci peut-être vrai pour certains individus, mais l'explication est tout de même un peu courte. Elle empêche de chercher plus loin. On pourrait pourtant se demander si de telles questions avaient un sens hier, ou du moins le même qu'aujourd'hui. On hésitera avant de répondre par l'affirmative ! Toutes ces questions apparaissent bien typiques d'un monde qui n'a rien à offrir. Précédemment s'offraient des alternatives, en rupture ou en continuité avec la société. Elles apparaissaient dans certains détails de la vie courante. Il existait dans une certaine mesure une culture prolétarienne, accompagnée de particularités vestimentaires, alimentaires, relationnelles,... Il existait un milieu où circulaient des idées de révolte, d'expropriation des patrons et des propriétaires,... Aujourd'hui le capitalisme a envahi tous les aspects de la vie. Il a su donner l'illusion que tous partageaient une même existence, à quelques différences quantitatives près. Sa domination sur la société ne s'est pas tant réalisée par la contrainte physique que par l'acceptation d'un modèle ( le rapport marchand ) considéré comme naturel et/ou nécessaire - même si ce n'est qu'un mal nécessaire. Cette domination implique que les hommes ne perçoivent plus leurs conditions réelles d'existence, mais communient dans l'adoration d'une abstraction - l'argent - qui s'approprie et remodèle la nature et l'activité humaine dans tous ses aspects en fonction des besoins qu'a le Capital de s'accroître et de se réaliser par la vente. Plus que les dieux ou les tyrans du passé, celui-ci n'épargne rien ni personne. Les êtres humains, leurs relations, comme les moyens qu'ils utilisent pour vivre en arrivent à être déterminés par cet élément unique : l'argent dont la plus ou moins grande quantité peut permettre de comparer et de représenter tant le produit de l'activité d'un homme, que son honneur ou son corps, tant la peau d'un animal qu'un paysage ou une forêt...; tout, absolument tout, pouvant avoir son équivalent monétaire et devenir ainsi quantifiable, mesurable. Cette soumission à la marchandise fait que plus rien n'a de valeur en soi. Ce mouvement de mystification a atteint son maximum avec le capital pleinement développé.

On pourrait en conclure que le prolétariat s'est trouvé totalement intégré au capitalisme par ce mouvement, fermant la perspective révolutionnaire. On pourrait aussi bien considérer que cette dépossession des êtres par rapport à leur vie n'est qu'une étape vers leur abandon de toute société divisée en classes. Dans un cas le déluge, dans l'autre... le purgatoire suivi du paradis terrestre. La réalité est bien entendu plus complexe et se moque des prophètes .

Poser la question « qu'est-ce que vous proposez », peut à la fois exprimer un embryon de révolte ( tant il est vrai que considérer qu'il pourrait exister un monde plus humain représente déjà une rupture ) et la difficulté à aller au delà. Quoi de plus naturel alors que de demander à ceux exprimant déjà cette rupture, l'ayant souvent théorisée collectivement, ce qu'ils en pensent... ou, dans le langage dominant, ce qu'ils proposent. C'est bien entendu là qu'est le piège : attendre d'autrui un mode d'emploi ( en langage politicien, un programme ) pour remplacer passivement ce monde par un autre. Cette question ne peut prendre un sens que si elle signifie : « Je ressens ce monde comme inhumain et ne perçois qu'avec difficulté la possibilité d'une autre vie ».

BON, C'EST BIEN BEAU TOUT ÇA, ET LE COMMUNISME !

Les définitions que l'on peut donner du communisme sont multiples, même en ne tenant pas compte de la dictature étatique constituant la réalité des pays de l'Est ou des « nations libérées » du tiers-monde, et le programme des partis et groupuscules divers se masquant sous cette étiquette.

Si pour de nombreuses personnes, c'est cette triste réalité qu'évoque le terme de communisme, c'est - entre autres - qu'il est plus facile de concevoir la transition d'un système d'exploitation vers un autre qu'une société qui abolit l'exploitation. Quant à une longue période d'enchevêtrement du communisme et du capitalisme durant laquelle le premier se consoliderait au dépend du second, c'est une absurdité. C'est cette absurdité que proposent de réaliser les divers « socialismes », sortes de mode de production mal défini, dont les défenseurs n'ont jamais pu exposer sur quels rapports sociaux il se fondait, si ce n'est le remplacement de la propriété privée par la propriété d'État et de l'« anarchie » du marché par la planification - tout en conservant les bases du capitalisme : salariat et marchandise.

Le communisme, tel que nous l'entendons, est avant tout la tendance à la communauté humaine qui sous les formes diverses par lesquelles elle s'est exprimée a toujours été la recherche d'un monde où n'existeraient ni loi, ni propriété, ni Etat, ni discrimination qui sépare, ni richesse qui distingue, ni pouvoir qui opprime.

Le communisme, n'est pas une politique. Il n'est pas un programme qu'il s'agirait d'opposer à d'autres programmes et de faire triompher par la force de son argumentation ou par la violence des armes. Ceux qui s'en réclament n'ambitionnent pas la conquête de l'État et la substitution de leur pouvoir juste et raisonnable a celui de la bourgeoisie injuste et scélérat. Le triomphe de la politique, avec celui de l'État, n'est pas notre propos. C'est la classe capitaliste qui l'a réalisé sous nos yeux. L'État, ce n'est pas d'abord les ministères, les palais présidentiels... c'est l'exercice du pouvoir politique par une partie de la société sur le reste. Par delà les différentes formes d'organisation du pouvoir, l'intensité de l'oppression subie, la politique c'est la division sociale en dominants et dominés, la répartition des hommes en maîtres du pouvoir et sujets du pouvoir. La révolution communiste, si elle advient, sera le renversement et non l'aboutissement de cette tendance. Ainsi les notions de démocratie et de dictature, référant aux formes juridiques du pouvoir étatique tel qu'il fut formalisé par la philosophie des lumières, cesseront d'être adéquates. La dictature comme la démocratie proviennent de l'exigence de maintenir la cohésion sociale, soit par la coercition, soit par l'idéalisation, dans une société dont le mouvement même rompt les liens traditionnels et personnels entre les groupes et les individus. Le communisme représente au contraire la manifestation d'autres rapports, d'une communauté humaine. La révolution communiste ne peut être, dès ses premiers pas, que l'acte fondateur de cette communauté. Croire qu'elle devra reconstituer, despotiquement ou démocratiquement, une communauté fictive, c'est la fonder dès son origine sur la négation de sa dynamique propre. Toutes les contorsions n'y changent rien : les hymnes à la Politique, le culte de l'État, ne sont ni le communisme, ni un chemin détourné (  ! ) pouvant y mener.

Le communisme n'est pas non plus un type d'organisation économique, ou une nouvelle répartition de la propriété. La communauté communiste n'instaurera pas la propriété « commune » car le concept de propriété signifie accaparement, possession des uns au détriment des autres. La circulation des biens ne pourra s'y effectuer selon les modalités de l'échange : tel bien contre tel autre. Une société dont personne n'est exclu ne peut qu'ignorer l'échange, l'achat et la vente, donc l'argent. Il y a utilisation collective ou personnelle de ce que produit la communauté. La logique du partage y remplace donc la logique de l'échange. Les êtres humains s'associent pour accomplir telle ou telle action, partager tel plaisir ou telle émotion, et répondre à tel ou tel besoin de la communauté, sans que ce regroupement prenne la forme d'un Etat - donc de la domination de certains hommes sur d'autres - ou d'entreprises qui embauchent des salariés et monnaient leur production. On ne peut donc plus parler pour une telle société de « lois économiques », lois qui sont aujourd'hui l'expression de la domination des rapports marchands.

Avec l'abolition de l'État, de l'argent et de la marchandise, il existerait un contrôle conscient des êtres humains sur leur propre activité, au travers des relations et interactions existant entre eux, et entre eux et le reste de la nature. Le communisme serait une société où la première richesse réside dans des relations humaines; où l'ensemble des êtres humains ont la possibilité de vouloir réellement ce qu'ils font, le temps et les espaces où il vivent dépendant d'eux-mêmes. Ceci sous entend la libre association entre femmes, hommes, enfants, au delà des rôles de dépendance et de soumission réciproque. La compréhension que la rareté ou la misère ne dépendent pas d'une faible accumulation de moyens, de choses et d'objets, mais proviennent d'une organisation sociale fondée sur l'accaparement par certains hommes au dépend des autres.

Ceci implique que le communisme, la tendance à la communauté humaine, n'est pas le produit exclusif des contradictions du capitalisme. De notre point de vue, celui-ci n'a qu'une contradiction insurmontable : l'espèce humaine. On peut penser que le capitalisme a développé des bases permettant ou favorisant l'avènement du communisme ( développement des forces productives, homogénéisation des conditions d'exploitations, ... ). Mais :

Ceci est un jugement à posteriori. Si les modes de production antérieurs n'ont pas conduit à cet avènement, il est impossible d'affirmer que ceci était inéluctable. Le mode de production capitaliste n'a, de toute façon, rien donné de plus.

La domination du capitalisme se présentant comme l'aboutissement de l'histoire de l'humanité a produit des explications du passé où les relations entre les hommes sont toujours perçues sous le signe de la recherche d'un gâteau dont les parts ne sont jamais assez grandes pour chacun. Cette présupposition de la rareté comme phénomène invariant auquel serait confrontée l'espèce humaine depuis ses origines fait abstraction des rapports concrets entre les hommes, que ceux-ci reposent sur la coopération ou l'exploitation. Elle dissimule que l'opposition entre besoins et rareté est en fait l'expression de conditions sociales où les êtres humains sont séparés en exploiteurs et exploités. Ainsi, la rareté produirait la violence humaine, celle-ci étant heureusement canalisée par le développement de l'économie. La compétition, la concurrence entre les hommes, produites par ce développement, créeraient un exutoire à cette violence, devenant ainsi bénéfiques puisque le développement des forces productives permet de combler la rareté originelle en permettant aux hommes de disposer de plus en plus d'objets, de choses. Le Capital aurait ainsi créé une productivité gigantesque permettant aux hommes d'en finir avec la division en classes sociales, puisque l'accroissement des ressources dont l'humanité dispose aujourd'hui ne « nécessite » plus l'appropriation par certains hommes au détriment des autres.

Mais si « forces productives » et « rapports de production » ne peuvent se développer de façon harmonieuse ( sans crises, guerres, ... ), ils expriment tous deux les mêmes rapports entre les hommes qui déterminent ce qui sera produit et les moyens pour y parvenir. Le capitalisme étant un système social où il y a généralisation et extension de rapports marchands, cela implique que la recherche de la valorisation de l'argent fasse abstraction de tout ce qu'elle touche pour en faire des marchandises. Tous les moyens permettant de gagner du temps, de réduire la part d'indétermination dans la réalisation du produit afin d'assurer son interchangeabilité, sont recherchés pour assurer un processus continu de production de marchandises. Cette recherche vise toujours d'une part à inventer aux hommes de nouveaux « besoins », à leur faire subir de nouvelles « pénuries », de nouveaux « manques », et d'autre part à réduire leurs capacités d'initiative, à mutiler leurs facultés intellectuelles et corporelles. De la manufacture au machinisme industriel, de l'automatisation a l'informatique et la robotique, ne voit-on pas le cycle qui rend les hommes inessentiels, en les réduisant à un ensemble de gestes prédéterminés sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir, arrivant à rendre même superflues de simples relations entre eux, tout occupés qu'ils sont à surveiller et contrôler des processus qui leurs échappent totalement. Le développement des forces productives exprime la domination de la marchandise dans son mouvement de réduction de l'activité humaine en pure dépense d'énergie. Ce n'est donc pas de la communauté, de la réalisation des hommes, du bonheur qu'il peut produire mais uniquement des marchandises.

Au travers des différents modes d'organisation sociale, la tendance au communisme s'est définie par des vocabulaires correspondants. Ainsi, dans la société féodale, elle a pu prendre un masque et un langage religieux. Aujourd'hui, définir le communisme par des terres comme un monde sans Etats, sans frontières, sans argent, ... revient à dire que le communisme ... ce n'est pas le capitalisme. Ces définitions ne sont que le reflet du monde où nous vivons. Au delà de ce reflet, il y a en quelque sorte une invariance du communisme. Non pas invariance d'un programme, d'une organisation ou de quoi que ce soit de ce genre; mais de l'aspiration des êtres humains à s'associer, à communiquer entre eux et avec un environnement perçu non plus comme un objet que l'activité humaine doit soumettre mais dans une relation de complémentarité. C'est la vieille aspiration à l'égalité, au partage et à la communauté qui était présente dans le mythe de l'âge d'or, dans les révoltes d'esclaves de l'antiquité comme dans celles des paysans du moyen-âge. C'est celle qui se manifestait dans certaines projections des utopistes, puis dans la tendance des luttes prolétariennes à dépasser leurs objectifs immédiats.

Dire cela ne signifie pas que toute l'histoire de l'espèce humaine est une évolution « programmée » vers le communisme. Il n'y a ni sens de l'histoire, ni même d'irréversibilité absolue de celle ci. Des possibles qui se sont manifestés il y a des centaines ou des milliers d'années n'ont pas été pour toujours abolis. L'« histoire » n'est pas un Moloch avaleur de possibles, condamnant le devenir humain à un dépouillement inévitable et irrémédiable. Ceci signifie simplement que si révolution communiste il y a, elle ne pourra prendre les choses qu'à la racine. L'homme ne peut devenir réellement homme que s'il redécouvre et réalise ses potentialités : et il ne peut faire cela sans faire la révolution.




Catéchisme communiste par questions et réponses. (extrait)

II. De l'argent et de la servitude

1 ) Qu'est-ce que l'argent ?

C'est la valeur exprimée en chiffres de l'activité humaine, le prix d'achat ou la valeur d'échange de notre vie.

2 ) L'activité des hommes peut-elle être exprimée en chiffres ?

L'activité humaine, pas plus que l'homme lui-même, n'a de prix; car l'activité humaine est la vie humaine, que ne peut compenser aucune somme d'argent : elle est inestimable.

3 ) Qu'est-ce que l'homme qui peut être vendu pour de l'argent ou qui se vend lui-même pour de l'argent ?

Celui qui peut être vendu est un esclave et celui qui se vend a une âme d'esclave.

4 ) Que devons-nous déduire de l'existence de l'argent ?

Nous devons en déduire l'existence de l'esclavage [de l'homme], car l'argent est le signe même de l'esclavage de l'homme puisqu'il est la valeur de l'homme exprimée en chiffres.

5 ) Combien de temps les hommes resteront-ils encore esclaves et se vendront-ils avec toutes leurs facultés pour de l'argent ?

Ils le demeureront jusqu'à ce que la société offre et garantisse a chacun les moyens dont il a besoin pour vivre et agir humainement, de telle sorte que l'individu ne soit plus contraint à se procurer ces moyens par sa propre initiative et dans ce but a vendre son activité pour acheter en contrepartie l'activité d'autres hommes. Ce commerce des hommes, cette exploitation réciproque, cette industrie qu'on dit privée, ne peuvent être abolis par aucun décret, ils ne peuvent l'être que par l'instauration de la société communautaire, au sein de laquelle les moyens seront offerts à chacun de développer et d'utiliser ses facultés humaines.

6 ) Dans une société ainsi constituée, l'existence de l'argent est-elle possible ou imaginable ?

Pas plus que l'existence de l'esclavage des hommes. Lorsque les hommes ne seront plus obliges de vendre les uns aux autres leurs forces et leurs facultés, ils n'auront plus besoin non plus d'estimer leur valeur en chiffres, ils n'auront plus besoin de compter ni de payer. A la place de la valeur humaine exprimée en chiffres apparaîtra alors la véritable, inestimable valeur humaine -- a la place de l'usure, le foisonnement des facultés humaines et des jouissances de la vie -- à la place de la concurrence aux armes déloyales, une coopération harmonieuse et une noble émulation -- a la place de la table de multiplication, la tête le coeur et les mains d'hommes libres et actifs.

Moses Hess 1844


The first half of the text which this extract is taken from was published in Vorwärts, no. 102 on 21st December 1844. The whole text was published in the Rheinische Jahrbücher zur gesellschaftlichen Reform II, 1846. On both occasions the text was published anonymously. This french translation is taken from Marx et les communistes allemands à Paris by Jacques Grandjone (Maspero, 1974).


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