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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
IV. Au-Delà Du Travail



PRODUCTION ET CONSOMMATION

La séparation entre production et consommation apparaît comme une division naturelle entre deux sphères bien distinctes de la vie sociale. Rien n'est plus faux. Cela a un double titre.

Premièrement la frontière entre ce oui est appelé temps de production et temps de consommation est mouvante du point de vue historique et floue du point de vue idéologique. Dans quelle catégorie se rangent la cuisine et le sport ? Cela dépend si ils sont le fait de professionnels ou d'amateurs. Ce qui est déterminant ce n'est pas la nature même de l'activité : la cuisine est plus productive que le tri postal dans le sens où elle est une action de transformation matérielle, que le fait qu'elle soit salariée ou non.

Beaucoup d'activités qui relevaient de la consommation sont passées dans la production. L'astronaute ou le malade qui respirent de l'oxygène en bouteille, la ménagère qui se procure du café moulu ou des boîtes de conserves participent à ce déplacement de frontières.

La scission entre production et consommation masque l'importance que conserve le travail ménager non salarié dans le monde moderne. Elle donne une allure fixe et naturelle à une démarcation qui est mouvante et sociale.

Deuxièmement tout acte de production est aussi et forcément un acte de consommation. On ne fait que transformer de la matière d'une certaine façon et dans un certain but. Dans le même temps que l'on détruit ou si l'on veut que l'on consomme certaines choses on en obtient ou si l'on veut on en produit d'autres. La consommation est productive, la production est consommatrice. Production et consommation sont les deux faces inséparables d'une même médaille.

Les concepts de production et de consommation ne sont pas neutres. On ne peut pas dire qu'ils sont bourgeois. Mais la société bourgeoise en fait un certain usage. Un poirier n'est pas bourgeois parce qu'il produit des poires. La notion de production prend un caractère idéologique parce que sous l'idée d'engendrement et de détachement on glisse celle de projet et de conscience. On entretient la confusion entre les deux choses. Tout finit par être interprété en termes de production. Une poule devient une usine à fabriquer des oeufs.

On masque la continuité du cycle par lequel l'homme primitif ou civilisé, capitaliste ou communiste modifie de manière simple ou savante, individuelle ou collective, irréversible ou passagère, en gros ou en détail le monde qui l'entoure et inséparablement se transforme lui-même. L'usage totalitaire de la notion de production cache l'insertion et la dépendance radicale de l'être humain l'égard de son milieu et des lois naturelles. On interprète tout en termes de domination et d'utilisation. L'homme producteur conscient et maître de lui part à la conquête de la nature. La toute puissance que l'humanité avait confiée à l'image divine elle l'attribue directement à l'image qu'elle a d'elle-même. Le communisme n'est pas la victoire de la conscience sur l'inconscience. Ce n'est pas le stade où après s'être consacré à la production des choses l'homme va enfin pouvoir se produire lui-même, prendre en quelque sorte le relais du créateur divin. Vouloir que l'homme devienne son propre maître comme il est le maître de l'objet qu'il façonne c'est vouloir réunir le séparé sous le signe de la production, donc de la séparation. Le producteur ne cesserait pas d'être un objet, simplement il serait lui-même son propre objet.

La scission entre production et consommation s'efface parce que disparaît la séparation bien concrète mais arbitraire du point de vue de la nature et de la physiologie entre le temps passé à gainer de l'argent et le temps passé à le dépenser.

Pour l'homme communiste consommer ne s'opposera pas à produire car il ne sera pas antagoniste de s'occuper de soi-même et de s'occuper d'autrui. Cela parce que en produisant pour autrui, en sa dépensent pour autrui il crée des valeurs d'usage qui peuvent lui servir à lui-même. On ne produira pas d'un côté des chaussures pour être obligé d'un autre côté d'aller les acheter sur le marché. Surtout la production se transformera et deviendra création, poésie, dépense. Le groupe ou l'individu s'exprimera à travers ce qu'il fera. En cela la révolution est la généralisation de l'art et son dépassement en tant que secteur marchand et séparé.

En continuant à raisonner du point de vue de l'opposition entre consommation et production on peut dire que trouvant satisfaction et plaisir ( ou en contrepoint insatisfaction et déplaisir ) dans le cours de son activité productive l'homme y sera consommateur. L'ordinateur ou la truelle qu'il utilisera n'aura pas une valeur fondamentalement différente de la voiture ou la nourriture qu'il employera à un autre moment.

Le communisme ce n'est absolument pas la production mise enfin au service du consommateur, pas plus d'ailleurs que la capitalisme ne serait la dictature de la production. En s'adonnant à une activité on acquérera un certain pouvoir. Jusqu'à un certain point on pourra disposer du fruit de ses efforts, donner ou refuser de donner ce que l'on a produit. Surtout en fournissant tel bien ou tel service et en leur faisant prendre une forme particulière on agit sur le champ des possibilités de la société. L'activité des utilisateurs sera déterminée par celle des producteurs. Il n'y a pas de raison pour que ces derniers abusent d'un pouvoir qui de toute façon ne sera pas un pouvoir politique ou séparé mais la simple expression de l'utilité de leurs occupations.

Le "consommateur" ne pourra reprocher au producteur l'imperfection de ce qu'il fait au nom de l'argent qu'il ne lui donnera pas en échange, mais simplement le critiquer non pas de l'extérieur mais de l'intérieur. Ce qui sera en cause ce sera leur oeuvre commune si ils participent à la même entreprise. Si quelqu'un n'est pas satisfait de ce qui se fait ou de ce qui ne se fait pas il ne pourra évoquer son droit abstrait de consommateur. Il n'aura à mettre en avant que sa propre capacité à faire mieux ou tout au moins à faire valoir ses propres contributions. La critique sera passionnée et positive. Elle ne pourra être le fait de celui qui veut bien se moquer mais préfère ne pas s'engager.



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