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Le mouvement communiste
Première Partie : Définition Du Capital 5.

 

LE CAPITAL
Pour que les marchandises soient échangées, il faut qu'elles aient été produites. Si le procès d'échange est ce que Marx appelle « le rapport réel   [27] », ce rapport n'épuise pas le problème. Il y introduit seulement  [28]. Ce qui importe donc maintenant, c'est de montrer le lien entre la forme que prend tout facteur de production dans le capitalisme (la forme de marchandise) et le mécanisme de production des marchandises par le capital, des marchandises-capitaux. La production de capital suppose, historiquement et logiquement, la circulation des marchandises.
Le passage de l'économie marchande simple à l'économie marchande capitaliste marque une étape nouvelle dans l'évolution de l'échange. Jusqu'au capitalisme, seuls les moyens et les objets de travail étaient des marchandises. Le capital, au contraire, transforme en marchandise la force de travail elle-même. Le capital est d'abord un rapport , entre les possesseurs de moyens de production et les possesseurs de force de travail. C'est un rapport social, unissant et opposant à la fois les classes sociales. (Il est donc faux d'affirmer que la critique marxiste de l'économie politique ne vise que « l'économie » et laisse de côté « la lutte de classes  [29] ».)
Ce rapport est en même temps combinaison d'un procès de travail réel et d'un procès de valorisation. En effet, le capitaliste n'achète la force de travail que pour la faire travailler à l'aide de ses moyens de production. La force de travail est une marchandise particulière, tout à fait différente des moyens de travail. Alors que ces derniers apportent au produit leur valeur, la force de travail, non seulement apporte sa propre valeur, mais ajoute aussi la valeur du travail qu'elle accomplit. Elle est créatrice de travail : donc de valeur  [30]. Sa consommation est productive : elle rapporte plus qu'elle n'a coûté. La valeur de la force de travail est égale à ce que requiert sa reproduction (assurée par le salaire). Le temps de travail de l'ouvrier se décompose en deux parties. La première livre la valeur de la force de travail, et correspond au salaire. La seconde livre la valeur du travail accompli par la force de travail, et n'est pas rémunérée. C'est un travail accompli « gratuitement » par l'ouvrier pour le capital : le surtravail s'ajoute au travail nécessaire (à la reproduction de la force). Lui seul est créateur de valeur nouvelle, de plus-value  [31].
Le capital est un rapport où les moyens de production affrontent la force de travail en tant que marchandises : les possesseurs des moyens de production achètent les forces de travail des ouvriers. Mais ce rapport est en même temps procès, processus de transformation par lequel le travail gratuit apporte une valeur nouvelle et valorise la somme de valeurs investie dans les éléments du procès de production ainsi combinés de manière spécifiquement capitaliste  [32].
L'analyse du capital présuppose celle de la marchandise, tout comme le capital présuppose lui-même la marchandise. Le capital est une structure double : d'une part, il y a achat de la force de travail, et cet échange n'est pas un vol, la force de travail étant payée à sa valeur ; d'autre part, au sein de la production, la force de travail met en mouvement les moyens de production et met ainsi en mouvement sa propre force de production, créant une valeur d'usage et une valeur d'échange nouvelles.
Le capitalisme reprend la circulation simple (circulation des marchandises) et en applique les lois (c'est-à-dire la loi de la valeur, l'échange des marchandises à leur valeur, selon le temps de travail nécessaire à leur reproduction) à une marchandise particulière : la force de travail. Il y a échange entre équivalents, mais les équivalents, bien que de valeur égale, n'ont pas la même valeur d'usage. La force de travail est du travail « vivant », susceptible de travail nouveau, donc de production de valeur nouvelle ; les moyens de production ne sont que du travail accumulé, « mort », qui ne peut que livrer sa valeur sans produire en même temps de valeur supplémentaire   [33].
La difficulté de l'analyse du capital est par conséquent de bien distinguer les rôles respectifs de la production et de la circulation  [34]. L'appropriation de la force de travail par le capital s'effectue dans la circulation (par l'échange), mais elle ne se réalise que dans la production (par le procès de travail).
Le capital est un double procès
1. de travail réel ; production de valeur d'usage nouvelle, par la mise en oeuvre des moyens de production grâce à la force de travail ;
2. de valorisation ; production de valeur d'échange nouvelle, par la différence entre la valeur du travail fourni (= la valeur de la force de travail + la plus-value) et la valeur de la force de travail  [35].
C'est l'unité spécifique de ces deux procès qui constitue le capital et permet l'autonomisation de la valeur  [36]. En effet, le procès de travail est pour le capital le seul moyen de se valoriser. La valeur d'échange a besoin de la valeur d'usage comme d'un « support », mais elle ne la développe que pour se développer elle-même. La circulation marchande et la loi de la valeur étaient des présuppositions du capital. Elles sont maintenant posées et reproduites par lui. La valeur parvient à l'autonomie lorsqu'elle tend à régler tous les aspects de la vie sociale  [37]. En se généralisant, la loi est transformée, non dans sa nature profonde, mais dans sa manifestation. Le temps de travail moyen régit la société capitaliste, non plus au niveau de chaque marchandise, mais à celui du processus social total de production et de circulation des capitaux. En prenant un caractère de lien social universel, la valeur oublie sa détermination au niveau de chaque marchandise (cf. le paragraphe sur « Le cycle de la valeur », où ce point est traité plus en détail).
La définition globale du capital, qui inclut toutes les autres, est le mouvement d'autonomisation de la valeur au moyen de l'utilisation (exploitation) de la valeur d'usage. La valeur d'usage est le moyen par lequel la valeur d'échange s'autonomise. Ce qui caractérise le capital, c'est qu'il manie et réunit des forces productives (c'est-à-dire des valeurs d'usage) de la façon la plus efficace, non pas pour produise des valeurs d'usage, mais pour se valoriser au maximum  [38].
Le rapport de production capitaliste est le rapport dans lequel les éléments du procès de travail sont combinés (en incluant la meilleure utilisation possible de la science et de la technique) dans le but de réduire toujours à un minimum le temps de travail moyen. C'est pourquoi le capital est ce qui tend à toujours augmenter le travail au-delà du travail nécessaire à la reproduction de la force de travail : c'est-à-dire le surtravail. L'autonomisation de la valeur suppose nécessairement un progrès croissant de la productivité et un développement de l'utilité productive du procès de travail, donc de la valeur d'usage. Pour cette raison, comme on va le voir, le procès de travail en vient à s'opposer au procès de valorisation.
[27] Contribution à la critique de l'économie politique, Marx, Oeuvres/Economie, I, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1963., p. 293.
[28] L'analyse de la marchandise ne livre que le « résultat » de la production : Oeuvres/Economie, I, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1963., p. 288. Il ne s'agit pas simplement d'un problème de méthode : « Le travail social n'est donc pas une donnée, mais un résultat en voie de devenir » (id., p. 298). On montrera ensuite comment la valeur, si elle se réalise dans la circulation, est engendrée par la production : voir Livre I, id., p. 704.
[29] Lettre de Marx à Weydemeyer, 5 mars 1852, Marx, Engels, Lettres sur « Le Capital », Présentées et annotées par G. Badia, Ed. Sociales, 1964., p. 59.
[30] Livre III, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 986.
[31] Résultats du processus immédiat de la production, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., pp. 404-458, en particulier, p. 407.
[32] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. I, Anthropos, 1967., p. 205.
[33] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. I, Anthropos, 1967., p. 197. Sur la valeur d'usage, le procès de travail et le rôle du travail mort, cf. id., pp. 245-250; id., 11, pp. 52-55, 66 et 73 (différence entre le travail payé et effectué).
[34] Résultats du processus immédiat de la production, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., pp. 435-436.
[35] Marx, Fondements de la critique de l'économie politique (Ebauche de 1857-1858), En annexe : travaux des années 1850-1859, Trad. par R. Dangeville, t. I, Anthropos, 1967., p. 223.
[36] Le capital ne se réduit par au surtravail : il est exploitation de la force de travail par l'intermédiaire de son échange, de son achat par le travail mort (Livre I, Marx, Oeuvres/Economie, I, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1963., pp. 791-792). Ne voir que l'exploitation, sans comprendre qu'elle est ici valorisation, c'est ne voir une fois encore dans la misère que la misère, et non la dynamique qui permet à terme le communisme. Sur le double processus, cf. Résultats du processus immédiat de la production, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 432. Dans son analyse de la Russie, l'une des erreurs fondamentales de l'ultra-gauche consiste à négliger la valorisation. Ainsi Chaulieu montre bien dans Les rapports de production en Russie qu'il y a exploitation des ouvriers, mais il ne montre pas la nature spécifiquement capitaliste de cette exploitation (Socialisme ou barbarie, no. 2). il y a dès lors incompréhension du mouvement du capitalisme vers le communisme, auquel on substitue des contradictions réelles, mais tout à fait secondaires, au niveau de la gestion par exemple.
[37] Au Moyen Age, le capital était encore « naturel » et l'on ne pouvait pas l'«  évaluer en argent » (Marx, Engels, L'idéologie allemande, Présentée et annotée par G. Badia, Ed. Sociales, 1968., p. 82).
[38] Résultats du processus immédiat de la production, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 428. La critique vulgaire dénonce le règne de l'argent, attaque les riches. En fait, si le capital est valeur, il s'agit pour lui de s'accroître en tant que masse de valeur, de travail abstrait : cf. les manuscrits de 1861-1863, Marx, Oeuvres/Economie, II, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1968., p. 470.

 

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