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Quelques éclaircissements sur La Banquise

Serge Quadruppani

La Banquise, « revue de critique sociale » à diffusion extrêmement confidentielle est parue entre 1983 et 1986 et a eu quatre numéros. Les 279 pages qu'ils représentent en tout traitaient, dans une perspective de critique anticapitaliste radicale, du prolétariat, du travail, de la morale, de la biologie, de la guerre et de bien d'autres sujets. 26 pages concernaient, de près ou de loin (parfois de très loin) le génocide et les faurissonneries. Comme il est expliqué dans son no. 2 (in « Le roman de nos origines »), La Banquise a été fondée notamment parce que ses animateurs, dont j'étais, ont rompu avec les gens animant la revue La Guerre Sociale, lesquels soutenaient Pierre Guillaume dans une dérive révisionniste que nous condamnions. Une bonne partie d'entre nous avaient fréquenté la librairie la Vieille Taupe jusqu'en 1973. La Vieille Taupe no. 1, librairie créée dans les années 60, fut jusqu'à sa fermeture en 1973 un lieu de rencontre, de diffusion et d'édition des textes du courant libertaire et « ultra-gauche », de Rosa Luxembourg à Pannekoek en passant par les révolutions allemande des années 20 et espagnole des années 30. En 1980, P. Guillaume a ressuscité le label Vieille Taupe pour ses activités d'édition et de librairie exclusivement consacrées à la défense du négationnisme. Cette Vieille Taupe-là, avec laquelle nous étions en désaccord radical, nous avons décidé de l'appeler Vieille Taupe no. 2.

A la VT no.l, le nazisme et le génocide étaient très loin d'être au centre de nos préoccupations. Nous étions principalement occupés à déchiffrer les signes d'une révolution qui tardait à venir, et à dénoncer les forces contre-révolutionnaires du passé et du présent, au premier rang desquels les staliniens et la social-démocratie. Certains (dont je n'étais pas) avaient lu les deux premiers livres de Rassinier (qui ne sont pas négationnistes, le délire négationniste apparaissant dans les ouvrages ultérieurs, que nul n'avait lus) et les avaient déclarés « intéressants » en raison de leur critique du rôle de la bureaucratie stalinienne dans les camps. D'autres (dont je n'étais pas non plus) avaient réédité Auschwitz ou le grand alibi (voir l'article « Bilan et contre-bilan », ci-après). Rassinier ou Auschwitz. . . n'étaient présentés et compris que comme des instruments à utiliser de manière critique pour analyser et dénoncer les politiques d'Union Sacrée qui, au nom de l'unité antifasciste, prétendent regrouper sous la même bannière révolutionnaires et contre-révolutionnaires, exploiteurs et exploités.

La VT no. 2, c'est-à-dire Pierre Guillaume et quelques supplétifs, ne parlait plus que du génocide et des chambres à gaz, pour nier leur existence. Au nom de cette obsession unique, et les années passant, la VT no. 2 allait s'allier de plus en plus avec n'importe qui, depuis l'extrême-droite (présence à la fête du FN, diffusion par Ogmios, articles dans Nationalisme et République) jusqu'à éditer aujourd'hui Garaudy qui, aux temps stalinophobes de la VT no. 1 incarnait l'ennemi absolu.

C'est pour préserver de la dérive révisionniste cette critique de l'Union Sacrée qui était parmi les sujets de préoccupation des la VT no. 1, que La Banquise a rompu avec la VT no. 2. Cette rupture ne s'est pas accomplie en un jour, il fallait trancher des liens d'amitié et de confiance qui avaient lié depuis de nombreuses années des camarades unis par les rêves et les luttes des années 68. Les textes de La Banquise reflètent les difficultés et les insuffisances de ce processus de rupture.

Derrière la négation de l'existence des chambres à gaz, nous avons su voir et dénoncer la volonté de nier le génocide. Nous avons montré que, derrière la vision de la destruction des juifs comme simple fait de guerre, se cache une vision antisémite de la deuxième guerre mondiale (les « juifs fauteurs de guerre »).

Si j'estime que, sur l'essentiel, nous avons vu juste, si l'on peut porter à notre crédit d'avoir été parmi les premiers, dans le micromilieu « ultra-gauche » [1] à nous être opposés à cette dérive négationniste, quand je relis LB aujourd'hui, j'y vois deux faiblesses principales, l'une sur notre attitude à l'égard de Faurisson, l'autre sur la « question des chambres à gaz ».

Sur Faurisson, nous aurions dû être beaucoup plus virulents beaucoup plus rapidement. C'était une erreur et une faute, de le renvoyer dos à dos avec Vidal-Naquet, qui est un chercheur rigoureux et honnête [2] , alors que Faurisson est un faussaire antisémite. Si, au début, les déclarations humanistes et anti-nazies de Faurisson avaient pu faire illusion, si ses acoquinements avec l'extrême-droite et les néo-nazis ne nous étaient pas encore apparus, très vite, à travers ses écrits, ce personnage nous avait été antipathique. Ses manières de comptable des cadavres et ses ricanements sur les récits des rescapés nous avaient fait sentir, en dehors même de tout le reste, que cet individu n'avait pas la même attitude que nous devant la saloperie du monde. Néanmoins, nous avons, un moment, continué à le traiter comme un hurluberlu qui, malgré tout, avait peut-être mis le doigt sur des failles de l'histoire officielle.

Cette attitude s'explique par le mauvais usage de deux bons principes  : la méfiance à l'égard des experts officiels et la confiance accordée aux amis (en l'occurrence, P. Guillaume). Nucléaire, alimentation, économie, questions militaires... il n'est pas un domaine où les experts officiels n'aient montré leur capacité éclatante à mentir. Qu'il ne faille pas prendre les affirmations des historiens officiels pour vérité révélée, c'était le minimum. A la nuance près que la recherche historique universitaire, en raison des intérêts qui s'y disputent, laisse beaucoup plus de place à l'apparition contradictoire de la vérité, que par exemple, le nucléaire, secteur associé à des intérêts beaucoup plus monolithiques. A l'énorme nuance près qu'il n'y a pas que les experts dans l'histoire, il y a des témoins, et que si leurs témoignages devaient être analysés et croisés, leur parole est la première réalité dont il faut partir, qu'il faut écouter avec respect, quels que soient les sentiments qu'inspirent par ailleurs les organisations qui les rackettent.

La méfiance à l'égard des querelles d'experts explique aussi en partie notre attitude à propos des chambres à gaz. Le nazisme est une des pires saloperies que l'humanité ait jamais produites entre autre, du fait qu'il a organisé le massacre de juifs parce que juifs. S'il nous semblait réellement secondaire que les chambres à gaz aient existé ou non, c'est parce que, pour nous, elles n'ajoutaient rien à l'horreur que devait inspirer le nazisme. Si, sur le principe, je pense que nous avions raison, il me semble que nous passions à côté d'un point essentiel, à savoir que l'aspect froidement technique et administratif des chambres à gaz introduisait une nouveauté radicale, qui distinguait effectivement le génocide des juifs et des tziganes de ceux qui l'avaient précédé. Mais fallait-il voir dans ce signe distinctif l'horreur maximum ? Là, encore, c'est une question d'opinion (voir plus loin).

Notes

[1] Sur l'emploi de ce terme, voir plus loin le texte Bilan et contre-bilan de G. Dauvé.

[2] Mais nul n'est infaillible  : quand il me traite, en note des assassins de la mémoire, de «  révisionniste discret », ce n'est pas un concept très rigoureux  : ou on est révisionniste ou on ne l'est pas. Et s'il s'agit de suggérer que j'étais révisionniste mais que je m'en cachais, outre que c'est un procès d'intention peu acceptable, cela présente l'inconvénient d'être complètement faux. Je crois qu'en fait, VN a du mal à admettre que, pour nous, la question du mode d'extermination ne nous intéressait réellement pas, qu'elle nous paraissait réellement secondaire eu égard au fait que l'extermination avait bel et bien eu lieu. C'était de notre part un manque de compréhension historique, un défaut d'appréhension des enjeux du révisionnisme, tout ce qu'on voudra, mais certes pas du révisionnisme. En juin 1992, Pierre Vidal-Naquet, réagissant à la publication du texte Les Ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis (voir en annexe), écrivait aux signataires de ce manifeste  : « Chers amis, même si je ne puis contresigner tous les termes de votre manifeste, je ne puis voir dans ses auteurs que des amis et, par conséquent, je le leur dis, quelles qu'aient pu être, dans le passé, mes dissentiments avec tel ou tel d'entre eux. Avec donc mon amitié. »

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