Le Monde

Trahir ou faillir 
• LE MONDE DES LIVRES | 26.09.02 | 19h10
 

SORTIR LA GAUCHE DU COMA d'Eric Dupin. Flammarion, 276 p., 19 €.

A peine les urnes avaient-elles rendu leur verdict, le 21 avril, éliminant, pour la seconde fois depuis 1969, le candidat de la gauche du deuxième tour de l'élection présidentielle, que de nombreux ouvrages disséquaient les causes de la défaite de Lionel Jospin. Loin des récits et du film de cette "dégelée", selon le mot cruel de Laurent Fabius, le livre d'Eric Dupin, Sortir la gauche du coma, comprendre les racines d'un désastre, a le mérite d'aller au-delà de l'accident conjoncturel, de resituer cet échec dans la fin d'un cycle de vingt ans pendant lequel la gauche a gouverné quinze ans. Un sérieux travail d'introspection qui l'amène à s'intéresser à la crise de la social-démocratie européenne. Sans complaisance.

Au-delà de sa mauvaise campagne, on peut se demander quand le chef de la "gauche plurielle" a-t-il perdu ses chances de victoire ? Est-ce en septembre 1999, quand il a été incapable de donner un contenu à la "deuxième étape" de son action ? Est-ce en juillet 2001, quand il choisit de cohabiter encore avec un chef de l'Etat qui vient d'exécuter sa politique ? Au pouvoir, la gauche est-elle condamnée à trahir ou à faillir ? Dupin redoute l'une et l'autre malédiction, mais il ne se résigne pas à une "gauche de contre-pouvoir" dont la seule ambition serait de "faire pression sur des gouvernements de droite". A équidistance de la gauche libérale" et de la gauche "radicale", il regrette que cet espace se trouve "vide de substance".

Plongeant dans l'histoire de la gauche, sa sociologie, ses idées, l'auteur décortique impitoyablement tous ses rendez-vous manqués au pouvoir. "Non seulement la gauche n'a pas dépassé le capitalisme, mais elle s'est révélée incapable de le réorienter en fonction de ses valeurs", affirme-t-il. Avec des mesures sociales "traditionnelles" et une réforme structurelle – la décentralisation – plus libérale que socialiste, le PS s'est révélé comme "un parti réformiste qui peine à réformer". Pis encore, le pouvoir en a fait l'emblème d'une gauche "petite-bourgeoise" et "élitiste". Cette sévérité n'épargne pas Lionel Jospin qui, souvent, a "fait du blairisme sans le savoir et sans l'assumer".

Dans son réquisitoire, Eric Dupin pointe juste quand il relève que le PS n'a assumé aucune des "mutations" faites au pouvoir. Aucun aggiornamento ne les a théorisées. L'abandon de la "vieille scolastique marxiste" l'a placé devant "un vertigineux vide identitaire". "Parti de système", c'est "un contenant sans contenu"qui règne sur une "gauche déboussolée". S'appuyant sur une analyse solide des exemples européens, il déconseille au PS de "se ressourcer du côté de la radicalité". Mais son pessimisme pourra paraître outré. "Le socialisme est une idée à réinventer", écrit-il, en craignant qu'un "semblant de débat"dispense la gauche de changer son "logiciel de pensée".

Mais s'il ne voit poindre une "nouvelle gauche" qu'"après-demain, peut-être", Dupin ouvre utilement des pistes autour d'une "égalité des possibles", d'une politique de "services publics de qualité", d'une refonte de la formation continue, ou encore d'une "mise en examen permanente" du capitalisme afin de "dépasser "la société de marché"". Il préconise surtout une méthode où la renaissance du socialisme viendrait d'une confrontation entre militants politiques, acteurs de terrain, intellectuels et mouvement social. Reste à prendre notre Cassandre au mot. La gauche en sera-t-elle capable ?

Michel Noblecourt