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inattendu road movie à dix à l'heure de David Lynch. Lost departementale Par DIDIER PÉRON, envoyé spécial à Cannes, Libération, 22 mai, 1999
Cran. On avait quitté le personnage de Bill Pullman fonçant à tombeau ouvert dans l'obscurité atroce de la Lost Highway, on récupère Alvin Straight sur une route vallonnée qui mène de Laurens (Iowa) à Mont Zion (Wisconsin). Entre la perdition centrifuge dans les spires psychotiques de Lost Highway ou Twin Peaks et le périple naturaliste en tondeuse autotractée John Deere 66 de Straight Story, il n'y a de prime abord aucun pont tendu, aucun souterrain possible à creuser. La musique éthérée revue country cajun d'Angelo Badalamenti, quelques freaks résiduels dans les coins d'une scène permettent aux maniaques de déchiffrer la permanence du maître dans son œuvre. D'autres, jaloux ou misogynes, se rassurent déjà en affirmant que Lynch a fini par céder aux caprices de sa compagne, Mary Sweeney, coauteur du scénario avec John Roach, renonçant à d'autres projets terrifiques et personnels comme la Métamorphose ou l'Arlésienne Ronnie Rocket.
La paix en vue de la mort. Donc Alvin Straight (remarquable Richard Farnsworth), 73 ans, veut rejoindre son frère aîné, Lyle, qui a eu une attaque cardiaque. Les frères Straight, brouillés pour des vétilles, ne se sont pas parlé depuis dix ans. Alvin, qui n'a pas le permis de conduire et refuse qu'on le transporte, décide de faire le voyage de plusieurs centaines de kilomètres sur son tracteur de jardin, tirant un chariot rempli de saucisses de Francfort. Il quitte sa fille Rose (Sissy Spacek) et entame ce que le décorateur du film, Jack Fisk, appelle «un road-movie à 10 km/h». Bivouaquant sous les étoiles, Alvin devient une sorte de vieux beatnik que tout enchante et qui, sentant la mort proche, veut balayer les derniers nuages, briser les dernières entraves, faire rendre gorge aux derniers conflits intérieurs qui le minent. Alvin cherche une paix qui n'est pas celle du mystique, quand bien même il rencontre un pasteur dans un cimetière.
Aspiration au silence. La fantastique orchestration de bruits qui compose la majorité des bandes-son de Lynch est réduite ici à une lointaine rumeur, des conversations parfois à peine audibles ou le chuintement des roues d'un peloton de cyclistes. Tout conspire à l'apaisement, au silence, au repos et à la réconciliation. Mary Sweeney rapproche The Straight Story d'Elephant Man; on repense en effet, alors que la caméra s'avance à nouveau dans une nuit d'évangile païen, aux derniers mots du film, qui disait simplement: «Rien, rien ne meurt jamais. Le fleuve coule, le vent souffle, les nuages passent, rien ne meurt jamais.». |