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J'AI VU LEON
Autant le dire tout de suite, une étrange sensation m'envahit lorsque je suis sortit de la salle
du Gaumont Grand Ecran Place d'Italie. Je n'arrivais pas à comprendre ce qui se passait. J'avais l'impression que les
nuages m'appelaient à les regarder, que le bitume, les voitures, les pierres des maisons me criaient, me suppliaient de les
comprendre, que tout avait été blanchi à la chaux comme si une épidémie menaçait.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour commencer à comprendre pourquoi le film de Luc Besson m'avait ainsi marqué,
pourquoi je porterai malgré moi les marques indélébiles de LEON.
La première chose qui me soit venue à l'esprit fut bien sûr qur la clé de
tout cela résidait dans le personnage incarné par Jean Reno. Et c'est alors que je me suis aperçu qu'il
était un tueur. Non pas que je n'avais pas réalisé la dure réalité de ses actes, mais je
l'avais perçue au même niveau que son bonnet et ses lunettes rondes. Il est tueur comme il est grand et barbu.
C'est un aspect de ce qu'il est, mais pas l'essentiel. Autrement dit, quand on le regarde, on ne voit pas qu'un bras au bout d'un
pistolet. En fait, je l'avais perçu comme un artiste. Chaque expédition est réalisée à la fois
avec perfection et beauté et ce n'est pas seulement le fruit d'un savoir faire : Léon est plus qu'un artisant. Il y met
sa sensibilité extrême. Et sa solitude. Je ne dis pas que Luc Besson ait voulu présenter une métaphore
de l'artiste, mais le fait est que le personnage de Léon m'a profondément touché parce qu'il m'a
rappelé des moments de création. Il vit, en dehors de ses missions, selon un rituel qui fait de cette vie une part
même de ses missions, et qui rappelle ce qui précède le premier contact du pinceau et de la toile, ce
moment où l'on remplit d'eau ses bocaux, où l'on prépare sa toile et ses couleurs. Il est seul comme on
est seul face à une toile. Et chaque mission est une nouvelle touche au tableau.
Mais qu'il me touche ou me concerne ne fait pas d'un film une oeuvre marquant à ce point.
La solution devait donc se trouver ailleurs. C'est assez naturellement que je me suis penché sur Mathidla... et je vis
Léon. Ces deux êtres semblent être faits du même bois. Ils n'ont pas d'âge, ayant un coeur d'enfant
et ayant vécu ce qu'un adulte a rarement l'occasion de vivre en toute une vie. Ils sont seuls aussi, mais surtout parce
qu'ils sont rares. Leur amour est donc beau et naturel. C'est un peu plus tard encore, que je réalisai que cet amour
était celui que contestait le public américain. Les gens sont extraordinaires d'égoïsme au point de
vouloir se voir là où il n'y a que des personnages créés et riches. Bien sûr qu'un homme de
quarante ans aimant une petite fille de onze ans est une idée insupportable, parce que cet homme est ou soi, ou l'idée
que l'on se fait de l'homme "moyen" et en aucun cas LEON. Car, si on prend la peine de bien vouloir l'observer cet
homme, tel qu'il est et non tel qu'on veut qu'il soit, alors l'amour qu'il partage avec Mathilde est beau, riche, unique... et en aucun
cas répréhensible...
Mais cela, donc, je ne me le suis pas dit, ne pensant même pas que cet amour puisse être
critiqué. Ce qui m'a frappé se trouve donc ailleurs... il me reste Stansfield. Lui aussi est un artiste, mais de ceux
qui n'arrivent pas à se séparer de leur acte, de ceux qui déchirent la toile au lieu de la dompter, de la
caresser. Il a également son rituel et tue à la manière "d'une ouverture d'une oeuvre de Beethoven".
Il est violent comme ces peintres qui violent leur toile afin qu'elle accouche, à défaut d'avoir réussi
à la séduire. Il souffre, et tire de sa souffrance la puissance de sa création. Léon, lui, crée
et souffre, mais parce que toute création s'accompagne de souffrance et non parce qu'il tire sa création de
celle-ci. Stansfield est sensible, mais... n'est pas enfant. Voilà ! J'ai trouvé ce qui m'a à ce point
bouleversé. Stansfield, comme tout homme sensible, a une sensibilité féminine. Léon, lui, a une
sensibilité d'enfant... ce qui ne veut rien dire ou plutôt est une pure idée, car un enfant, s'il est plus
"sensible" que les adultes en général, ne crée pas. Il a une sensibilité de perception,
pas d'expression.
Léon, lui, a cette sensibilité de perception, mais étant adulte, lui a ajouté l'organe de l'expression.
Léon est un enfant créateur, et cela est plus que perturbant.
Luc Besson a donc ainsi réalisé le berceau d'un personnage que je n'avais jamais
croisé et qui restera longtemps gravé en moi.

Cette Page Web a été conçue par
Cédric Gérot
et Patrick Mevzek
( URL de cette page = http://www.oocities.org/Paris/4206/leon/leon_ced.htm )