Tiré du Bloc-Notes par Didier Nordon dans Pour la Science (no 217 - novembre 1995 - page 7)
Critiquer la critique
Non, il ne s'agit pas toujours d'une question de goût personnel.
Il arrive -souvent- que l'acheteur d'un livre, furieux après sa lecture, ait la certitude de s'être fait rouler :
l'ouvrage est absolument indigne des lauriers que lui tresse la critique.
Et d'invoquer le système de copinage. Ou de blamer la paresse des critiques. Voire de suggérer qu'ils soient
astreints à payer de leur poche les ouvrages dont ils rendent compte : qu'ils aient au moins une bonne raison de
s'inquiéter de savoir si chacun vaut bien les 100 ou 200 F qui en sont demandés.
J'ai peur que le problème ne soit plus complexe.Imaginez le désastre psychologique du malheureux critique
découvrant soudain que sa vie s'épuise en explorations inutiles,que "c'était pas la peine", que sa
carrière s'achèvera sans qu'il ait eu la chance de découvrir le génie du siècle !
Quand il pioche dans la famille Grands Adjectifs - langue Superbe, talent Somptueux, personnages Inoubliables - il ne fait
qu'adapter à son cas une maxime générale de Cioran : "La vie n'est tolérable que par le
degré de mystification que l'on y met." Plus les adjectifs sont ronflants, plus la distance entre lui, critique, et le centre
du monde lui parait faible. Plus il a conscience de son importance. "Faire provision de bémols avant de lire une critique"
, conseillerait Flaubert.
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