JOSÉ-MARIA DE HEREDIA

(1842-1905)


LA FUITE DE CENTAURES

Ils fuient, ivres de meurtre et de rébellion,
Vers le mont escarpé qui garde leur retraite;
La peur les précipite, ils sentent la mort prête
Et flairent dans la nuit une odeur de lion.

Ils franchissent, foulant l’hydre et le stellion,
Ravins, torrents, halliers, sans que rien les arrête;
Et déjà, sur le ciel, se dresse au loin la crête
De l’Ossa, de l’Olympe ou du noir Pélion.

Parfois, l’un des fuyards de la farouche harde
Se cabre brusquement, se retourne, regarde,
Et rejoint d’un seul bond le fraternel bétail;

Car il a vu la lune éblouissante et pleine
Allonger derrière eux, suprême épouvantail,
La gigantesque horreur de l’ombre Herculéenne.


L’EXILÉE

MONTIBUS...
GARRI DEO...
SABINVLA.
V. S. L. M.

Dans ce vallon sauvage où César t’exila,
Sur la roche moussue, au chemin d’Ardiège,
Penchant ton front qu’argente une précoce neige,
Chaque soir, à pas lents, tu viens t’accouder là.

Tu revois ta jeunesse et ta chère villa
Et le Flamine rouge avec son blanc cortège;
Et pour que le regret du sol Latin s’allège,
Tu regardes le ciel, triste Sabinula.

Vers le Gar éclatant aux sept points calcaires,
Les aigles attardés qui regagnent leurs aires
Emportent en leur vol tes rêves familiers;

Et seule, sans désirs, n’espérant rien de l’homme,
Tu dresses des autels aux Morts hospitaliers
Dont les Dieux plus prochains te consolent de Rome.


LE SAMOURAÏ

C’était un homme à deux sabres.

D’un doigt distrait frôlant la sonore bîva,
À travers les bambous tressés en fine latte,
Elle a vu, par la plage éblouissante et plate,
S’avancer le vainqueur que son amour rêva.

C’est lui. Sabres au flanc, l’éventail haut, il va.
La cordelière rouge et le gland écarlate
Coupent l’armure sombre, et, sur l’épaule, éclate
Le blason de Hizen ou de Tokungawa.

Ce beau guerrier vêtu de lames et de plaques,
Sous le bronze, la soie et les brillantes laques,
Semble un crustacé noir, gigantesque et vermeil.

Il l’a vue. Il sourit dans la barbe du masque,
Et son pas plus hâtif fait reluire au soleil
Les deux antennes d’or qui tremblent à son casque.


LE RÉCIF DE CORAIL

Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.

Et tout ce que le sel ou l’iode colore,
Mousse, algue chevelue, anémones, oursins,
Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.

De sa spléndide écaille éteignant les émaux,
Un grand poisson navigue à travers les rameaux;
Dans l’ombre transparente indolemment il rôde;

Et, brusquement, d’un coup de sa nageoire en feu
Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu,
Courir un frisson d’or, de nacre et d’émeraude.


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