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JEAN RACINE

(1639-1699)


De Phèdre

PHÈDRE

...Ah! douleur non encore éprouvée!
A quel nouveau tourment je me suis réservée!
Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un cruel refus l'insupportable injure,
N'étaient qu'un faible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus? depuis quand? dans quels lieux?
Tu le savais: pourquoi me laissais-tu séduire?
De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher?
Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher?
Hélas! ils se voyaient avec pleine licence:
Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence;
Ils suivaient sans remords leur penchant aoureux;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux
Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière;
La mort est le seul dieu que j'osais implorer,
J'attendais le moment où j'allais expirer;
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur de trop près observée,
Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir.
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir;
Et, sous un front serein déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

OENONE

Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours?
Ils ne se verront plus.

PHÈDRE

Ils s'aimeront toujours!
Au moment que je parle ah, mortelle pensée!
Ils bravent la fureur d'une amante insensée!
Malgré ce même exil qui va les écarter,
Ils font mille serments de ne se point quitter...
Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m'outrage;
OEnone, prends pitié de ma jalouse rage.
Il faut perdre Aricie; il faut de mon époux
Contre un sang odieux réveiller le courroux:
Qu'il ne se borne pas à des peines légères;
Le crime de la soeur passe celui des frères.
Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
Que fais-je? où ma raison se va-t-elle égarer?
Moi jalouse! et Thésée est celui que j'implore!
Mon époux est vivant, et moi je brûle encore!
Pour qui? quel est de coeur où prétendent mes voeux?
Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.
Mes crimes désormais ont comblé la mesure,
Je respire à la fois l'inceste et l'imposture;
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le sang innocent brûlent de se plonger.
Misérable! e je vis! et je soutiens la vue
De ce sacré Soleil dont je suis descendue!
J'ai pour aïeul le père et le maître des dieux;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux:
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? mon père y tient l'urne fatale;
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains:
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira son ombre épouvantée,
Lorsqu'il verra sa fille à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer mille forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers!
Que dirais-tu, mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de tes mains tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau...
Pardonne; un dieu cruel a perdu ta famille;
Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste coeur n'a recueilli le fruit:
Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourments une pénible vie...

(Acte IV, scène 6)

 


À la louange de la charité

Les Méchans m’ont vanté leurs mensonges frivoles:
Mais je n’aime que les paroles
De l’éternelle Vérité.
Plein du feu divin qui m’inspire,
Je consacre aujourd’hui ma Lyre
À la celeste Charité.

En vain je parlerois le langage des Anges.
En vain, mon Dieu, de tes louanges
Je remplirois tout l’Univers:
Sans amour, ma gloire n’egale
Que la gloire de la cymbale,
Qui d’un vain bruit frappe les airs.

Que sert à mon esprit de percer les abîmes
Des mystères les plus sublimes,
Et de lire dans l’avenir?
Sans amour, ma science est vaine,
Comme le songe, dont à peine
Il reste un leger souvenir.

Que me sert que ma Foy transporte les montagnes?
Que dans les arides campagnes
Les torrens naissent sous mes pas;
Ou que ranimant la poussière
Elle rende aux Morts la lumière,
Si l’amour ne l’anime pas?

Ouy, mon Dieu, quand mes mains de tout mon héritage
Aux pauvres feroient le partage;
Quand même pour le nom Chrestien,
Bravant les croix les plus infames,
Je livrerois mon corps aux flames,
Si je n’aime, je ne suis rien.

Que je voy de Vertus qui brillent sur ta trace,
Charité, fille de la Grace!
Avec toy marche la Douceur,
Que suit avec un air affable
La Patience inseparable
De la Paix son aimable soeur.

Tel que l’Astre du jour écarte les tenebres
De la Nuit compagnes funebres,
Telle tu chasses d’un coup d’oeil
L’Envie aux humains si fatale,
Et toute la troupe infernale
Des Vices enfans de l’Orgueil.

Libre d’ambition, simple, et sans artifice,
Autant que tu hais l’Injustice,
Autant la Vérité te plaist.
Que peut la Colere farouche
Sur un coeur, que jamais ne touche
Le soin de son propre interest?

Aux faiblesses d’autruy loin d’être inexorable,
Toujours d’un voile favorable
Tu t’efforces de les couvrir.
Quel triomphe manque à ta gloire?
L’amour sçait tout vaincre, tout croire,
Tout espérer, et tout souffrir.

Un jour Dieu cessera d’inspirer les oracles.
Le don des langues, les miracles,
La science aura son déclin.
L’amour, la charité divine,
Eternelle en son origine
Ne connoistra jamais de fin.

Nos clartez ici bas ne sont qu’enigmes sombres,
Mais Dieu sans voiles, et sans ombres
Nous éclairera dans les cieux.
Et ce Soleil inaccessible,
Comme à ses yeux je suis visible,
Se rendra visible à mes yeux.

L’Amour sur tous les Dons l’emporte avec justice,
De nostre celeste édifice
La Foy vive est le fondement.
La sainte Esperance l’élève,
L’ardente Charité l’achève,
Et l’assure éternellement.

Quand pourray-je t’offrir, ô Charité suprême,
Au sein de la lumiere même
Le Cantique de mes soupirs;
Et toujours brûlant pour ta gloire,
Toujours puiser, et toujours boire
Dans la source des vrais plaisirs!


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