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Les contes


Au bois du roi

Étant allé au bois sans ma Mie, j'espérais l'y trouver. Je décidai donc de marcher un peu vers chez elle, sur petit sentier du roi, en gravelle grise et... Surprise! Bien que l'hiver fut loin de là et que neige n'eussions point, les pierres crissaient sous mon pas, comme seule, blanche bordée de février, a le pouvoir de craquer. Je m'intéresse de près à cette nature si pure.

J'étais tellement absorbé par les vérités que je découvrais dans ces faux-semblants de forêt que pour un instant, j'avais oublié de penser à ne pas m'inquiéter de cette même inquiétude qui tourmentait les explorateurs alors qu'ils découvraient des territoires nouveaux et craignaient d'y laisser leur peau. Ce qui me troublait, c'était la peur que j'éprouvais de rencontrer sur terrain impraticable pépin insurmontable genre "côte trop haute" ou sentier accidenté où le petit buggy aurait pu basculer...

Chaque nouveau tournant m'apportait un paysage ravissant, et après quelques arpents et beaucoup d'arrêts inquisiteurs au cours desquels j'en profitais pour renifler les odeurs qui dormaient au milieu creux des fleurs que j'apprivoisais de mon mieux. Il était d'abord bien trop tôt, car le soleil était encore très haut, pour oser espérer faire rencontre avec celle qui faisait battre mon coeur, dans cette lourde chaleur. J'avais donc tout loisir de continuer à découvrir.

Tout allait pour ainsi dire très bien jusqu'à ce que je parvienne là où il y avait petits sapins tendant la main. À première vue, je crus qu'ils mendiaient au bord du chemin, mais j'ai fini par réaliser que ça n'avait pas beaucoup d'allure de mendier des sous dans la nature et là, un éclair de génie, fit lumière dans ma raison. Ils devaient tendre la main de cette façon pour m'indiquer où je pourrais trouver ta maison... J'essayais de situer dans le soir qui semblait vouloir s'amorcer où pouvaient être les grands peupliers. Ne parvenant pas à les localiser et voyant que l'heure me devançait déjà, je me dis que peut-être, elle ne viendrait pas.

Surgit tout à coup d'un fourré grand chien brun au poil long, qui paraissait vivre très vive émotion. En le regardant mieux, bien que j'eusse le soleil dans les yeux, je me rendis vite compte qu'il était malheureux. Ses grands yeux tristes, vides d'expression, sa démarche incertaine et son évident manque d'intérêt alors que la tête basse, il regardait par terre en marchant, m'ont suggéré que le chagrin devait prendre beaucoup de place en son coeur car, sans même que je l'y eus invité, il vint marcher à mes côtés, adoptant même mon pas.

Un bon bout de chemin nous avions fait déjà, mais l'atmosphère demeurait tendue. J'avais bien essayé de lui occuper l'esprit en lui faisant part tout au long de mes observations et de toutes les émotions que je ressentais.

Passant près de la haute clôture, là où il y a plein de grands cèdres qui, tendrement enlacés, ne nous ont même pas vus passer, tellement ils étaient occupés à s'aimer... Je m'arrêtai un peu pour observer leurs jeux. Mon copain s'assit à mes côtés, mais... Même regard hébété, pas de manifestation non plus avec sa queue! J'en déduisais donc qu'il ne devait pas être un excellent causeur et me demandai même s'il en était jamais venu, un jour, à connaître le bonheur.

Je m'approchai un peu, mis ma main sur son épaule et lui dis: "Bien qu'on ne se soit pas encore présenté, tu sais, je suis quand même ton ami et je ne veux pas gaspiller ces minutes qu'on vit... Faut franchement se confier, et ensuite ne plus en parler, ou bien tu me fais part de ton chagrin ou bien c'est moi qui te raconterai mes "amours de marguerite..."

Ce fut tout un orage, le déluge même. J'avais touché une corde sensible et j'ai imaginé que j'avais prononcé le mot magique "Marguerite", car ce fut à ce moment précis qu'il s'ouvrit. Il se jeta par terre, se mit les pattes dans la face, et à travers pleurs et sanglots, vida son sac. Oui, il avait choisi de m'en parler et ça dura un bon moment. Pendant tout ce temps, je ne le questionnais pas, me contentant de le laisser s'exprimer. Je ne saisissais pas tout, bien sûr, mais je captais néanmoins qu'il y avait eu dispute avec Margot, en rapport avec un bout d'os ou un morceau de peau.

Visiblement soulagé, il essuya ses yeux, ajusta son sourire et fonça sur le chemin de terre battue qui semble conduire à la voie ferrée. Il avait l'air confiant et branlait un peu la queue. À peine s'était-il engagé dans ce sentier que la cigale qui montait la garde au sommet des grands arbres le repéra et lança son cri d'alarme, mais ne réussit aucunement à l'empêcher de passer.

Dans ma tête, les idées s'entrechoquaient. "Le chemin de fer, les trains..." Peut-être n'était-ce qu'un vagabond et puis, au fond, qu'est-ce que ça aurait pu changer. Le temps courait cependant toujours, égrenant les secondes, dévorant les minutes et raccourcissant les heures qui s'offraient à moi. Il allait falloir rentrer. Sans hâte, bien sûr, mais il le fallait tout de même. Les sorts étaient jetés. Elle n'allait pas être là...

Passant près des bancs peints en vert, me voilà t'y pas surpris d'entendre, alors que je m'étais arrêté pour admirer les parures de fin d'été que portaient les roses qui bordent le sentier, entre les stations deux et trois, une voix plutôt moqueuse qui me dit sur un ton narquois: "Meilleure chance la prochaine fois, mon vieux."

C'est là que j'ai aperçu, tapi dans les hautes herbes, me dévorant de ses grands yeux au regard glacé, espèce de jeune chat gris à l'affût des souris des champs. Un peu plus loin, je fus retardé par une course de sauterelles qui ne semblaient faire que des faux départs. Après les avoir observées un bon moment, je me rendis compte qu'elles participaient à une compétition de sauts en longueur, avec diverses options. Vent devant, vent derrière, vent de côté etc. J'entrevois un petit groupe isolé, faisant du deltaplane et un autre aussi, composé essentiellement d'amateurs et c'était bien évident, car la plupart se retrouvaient dans le décor, à la suite des cascades qu'elles faisaient dans la gravelle du sentier.

C'est alors qu'un gros bourdon semblant exténué par la chaleur et vidé de sa journée, passée à polléniser des fleurs d'ici et d'ailleurs, se posa sur mon appui-bras pour refaire ses ailes. Il m'expliqua que ce sentier bordé de buissons était pour lui un raccourci pour rentrer à la maison. Puis, pendant qu'il réchauffait ses moteurs, sans crier garde, il me bourdonna une petite chanson... "Nous prendrons le temps de vivre, d'être libres mon amour," de son bzzzzzzzzzz de baryton, puis il reprit l'air pour de bon, agitant les bras en guise de salutation.

À peine m'étais-je immobilisé pour un court instant afin de pouvoir superviser les abeilles ouvrières qui butinaient des caboches de toques pour en extraire le nectar et le rapporter à leur ruche, qu'une chenille s'étant retrouvée, je ne sais trop comment, dans mon cou, me tira de mon extase et chuchota à mon oreille que dans trois quarts d'heure, je devais être ailleurs... C'est-à-dire en position d'assister à une certaine réunion qui, bien que très gênante à ce moment précis, n'en était pas moins importante pour le reste de ma vie.

La mine quelque peu déconfite, je pris donc mon courage d'une seule main, car de l'autre je devais ramer, et je mis cap sur Roberval, sachant y retrouver mon brave et noir coursier, que j'y avais attaché, en lui expliquant que j'allais revenir bientôt avec peut-être, à mon bras, cet amour châtain aux yeux bleus et aux odeurs de sapin, que lui aussi aime bien.

Chemin faisant, j'ai découvert, par le plus grand des hasards, un pin moyen qui m'a semblé avoir perdu la tête à propos de je ne sais quoi, et qui se tenait en retrait, empêchant les mouches de sauter la clôture et ne permettant pas aux promeneurs d'écornifler ce qui pouvait bien se passer derrière la haie... Je lui ai promis d'ailleurs que je retournerais le visiter bientôt, quand les heures allaient être plus favorables aux longues conversations. Il m'a fait réponse qu'on allait en reparler et tout mettre au clair, si toutefois je finissais par gagner sa confiance au fil des temps...

Un bizarre de pin, ma foi. Il m'a paru quelque peu confus d'ailleurs, lunatique ou autre peut-être... Difficile à dire car j'étais pressé, tu sais. Là, j'ai dû accentuer le pas pour rentrer. Je n'ai pas pris la peine de répondre à toutes les questions des cailloux blancs, faute de temps. Traversant la clôture, qui est-ce que j'aperçois dans l'enclos? Ti-père Langlois, d'une autre histoire d'eau, qui me dit doucement... "Et puis mon garçon, as-tu aimé ça, même qu'elle n'était pas là? -- Bien oui M. Langlois, ça m'a quand même plu. Excusez-moi, je suis un peu pressé, mais on se reverra sûrement, n'est-ce pas? -- Oui, sûrement, bonsoir mon gars...

Malherbe DesChamps


[La Page à BOUCAN].Copyright © 1997 [Claude Guidi].
Revisé:.20/07/99