Nous avions décidé, Gilles et moi, le temps dun été qui
arrive sur septembre, de faire un petit voyage et de visiter avec nos filles, la
pittoresque ville de Stowe, au Vermont! pour deux excellentes raisons: nous y avions
dégusté notre lune de miel, il y a de cela une courte douzaine dannées, et aussi
parce que la famille Von Trapp y habite depuis plus de trente ans.
Nous avons couché - bien sûr - au même motel, mais cette fois, avec
trois diplômes bien vivants acquis de façon consécutive dès le début de notre
mariage. Heureux étions-nous, que les chambres soient muettes - ces témoins discrets de
choses quil ne faut pas dire aux enfants....
A la faveur dun mercredi matin frais et calme, nous avons
entrepris de ¨grimper¨jusquau domaine des Trapp, à la cime dune haute
montagne qui rappelle à sy méprendre, les panoramas de la Bavière et du Tyrol.
Cest dailleurs pour cette raison que Maria et GeorgesVonTrapp, après
sêtre échappés presque miraculeusement de la griffe dHitler, choisirent cet
état américain, de préférence à tous les autres, pour sy installer avec leur
huit enfants dalors, et continuer de chanter la gloire de Dieu partout où on les
invitait.
Nous voilà donc arrivés presquau sommet, devant une grande
maison de style autrichien évidemment, qui renferme, dune part, une boutique de
cadeaux et souvenirs, et dautre part, un petit restaurant où on peut déguster les
mets typiques des Alpes.
Dans lespérance douteuse de voir, en personne, un membre de
cette extraordinaire chorale dont on avait apprécié le récit romancé dans le film:
¨Sound of Music¨ je minforme à une blonde demoiselle au teint de pêche,
sil y avait des ¨Trapp¨aux alentours.
Ïl ne reste ici que la mère Maria et le dernier fils, Johannes
qui soccupe de la ferme et des bâtiments¨ me dit-elle avec un sourire chaleureux.
Quelques fois, la baronne descend de lauberge principale où elle a ses
appartements, pour rencontrer les touristes, mais il faut être vraiment chanceux pour
arriver à la croiser. Elle signe quelques autographes sur ses livres et disques, et
repart rapidement. Vous savez, elle a 71 ans...
Aussi bien en faire notre deuil, nous nous contenterons de visiter tout
ce qui est possible, en commençant pas cette auberge dont elle nous a parlée. Ce
nest compliqué à trouver - la route finit là, en haut, à lauberge. On ne
peut pas sy perdre, mais mon Dieu, que cest beau! Il y a vraiment de quoi
jouer de la caméra dans ce décor féérique où tout respire la joie de vivre et la
sérénité.
Une vaste auberge enrubannée de pétunias, de géraniums, de
gueules-de-loup, fait face au soleil du midi, et avale par ses immenses fenêtres toute
une provision de chaleur quelle doit sûrement communiquer à ses habitants.
Impossible de rester indifférent devant un tel déploiement de richesses naturelles
offertes à nos yeux. Impossible aussi de ne pas penser à la grandeur d âme de
cette Maria, qui, au fil des années, sût conquérir, non seulement le Baron Von Trapp
par sa grande générosité, mais aussi le monde entier, par sa sensibilité si spontanée
et si opportuniste quelle sût profiter de chaque moment qui se présentait à elle,
pour ajouter au bonheur des autres.
A un jeune homme qui portait les valises dun nouvel arrivant, je
demande si Maria était là (comme si je la connaissais bien!). ¨Je ne sais pas, je la
crois au village, elle devait sortir¨ ( ce genre de phrase stéréotypée quil doit
répéter quarante-huit milles fois par jour!.
On verra bien si elle est au village, me dis-je, en essayant
didentifier les voitures stationnées devant ce quils appellent le ¨Main
Lodge¨.
Plusieurs sont immatriculées de l Etat de New York,
dautres sont dailleurs; seulement deux sont du Vermont: une grosse Cadillac de
lannée en cours, et une espèce de petite ¨deux-places¨sport toute bosselée par
probablement cinq ou six ans de transport de jeunesse.
Pour quiconque a lu le récit de cette famille simple et satisfaite, la
limousine de luxe est éliminée au premier tour de scrutin, et pour peu quon pense
que Maria a 71 ans et quelle doit faire un bon l50 ou l60 livres, on ne
limagine pas plus dans le petit crapaud vert-bleu stationné tout de travers, là,
près dune rangée d arbustes fleuris.
Eh bien, conclut mon modérateur-de-mari, tu vois bien quelle
ny est pas! Maintenant que les enfants ont vu, que la caméra a capté et, que les
souvenirs sont achetés, allons prendre un bon dîner au village.
Mais, il me restait encore de lespoir - çeut été ne pas
me connaître que de penser que je capitulerais si vite - et pourtant douze ans de mariage
nont pas suffi!
¨Si nous arrêtions une seconde fois à la boutique à cadeaux,
ajoutais-je, je voudrais bien un disque de Cantates, cest si doux à entendre chez
soi, à la faveur dun après-midi qui vous laisse limagination en liberté¨.
Pendant que jhésitais entre deux ou trois albums, mon mari
faisait les cent pas devant le magasin. Tout à coup, il voit apparaître, à vitesse
accélérée, la mini-sport bosselée, qui se stationne rapidement près de lui. Devinez
qui en sort...
dun pas alerte et assuré...... Maria, vêtue de son costume
national - celui quelle a toujours porté en terre américaine - dabord, parce
quau début ¨ ça réglait le problème vestimentaire de la famille pour les
concerts, et ensuite parce que cétait le seul que nous avions¨......
Elle la adopté, ce costume, en femme réaliste, et
personnellement, je pense que le public serait déçu si elle labandonnait;
dailleurs Maria na pas besoin de coquetterie vestimentaire pour rayonner. Il
suffit de lavoir vu une fois, pour comprendre que les ¨grands¨ dans le vrai sens
du mot, transpirent de cette intelligence et de cet ardeur de vivre quaucun
vêtement ne peut cacher.
Elle entre rapidement dans SA boutique, donne de solides poignées de
main à tous ceux qui lont reconnue et qui se présentent à elle. Je sors ma
modeste caméra et essaie de prendre, en profil, à travers la lumière de la fenêtre, ce
visage racé aux traits volontaires. Aussitôt, elle se retourne et me dit avec une
complaisance qui me gêne: ¨Pourquoi nallons-nous pas à lextérieur, votre
photo serait bien meilleure¨.... Tout en redressant son grand tablier, elle
sinforme du nom de nos filles, de leur âge, de lendroit où nous demeurons,
si les études sont en français ou en anglais, bref, avec cette belle simplicité, la
voilà en train de nous donner de limportance à ses yeux - pour elle, tous les
humains méritent de lattention, pour peu quils démontrent de la bonne
volonté.
A un touriste qui passait, je demande de prendre LA photo, puisque, moi
aussi, je voulais bien faire partie du décor, afin de garder dans mes archives
personnelles, le souvenir de cette rencontre qui restera longtemps gravée dans ma
mémoire.
Comme je demandais à madame Trapp si elle avait des livres en
français (je me souvenais den avoir lu un, il y a quelques années) afin
denrichir la bibliothèque de mes filles, elle me fixe avec bonté et détermination
et répond:
¨Vous savez, madame, oui, il y en a déjà eu, mais la quantité est
épuisée depuis longtemps et on a pourtant beaucoup de demandes de la part de Québecois.
Peut-être pourriez-vous faire pression pour quun éditeur sen charge. Je
compte sur vous, pour passer le message¨.
Comment loublier, et comment oublier aussi cette visite au pays
des Trapp, où on na rencontré que beauté, charme et grandeur de vivre.
Un beau souvenir à conserver, et, cest précisément dans ce but
que jai écrit cet article.
Au retour dune visite chez les Trapp, septembre 1976