Electre, Texte #1 : Commentaire

 

 

INTRODUCTION

 

"Les trois petites filles" inconnues qui récitent ce discours sur Clytemnestre sont les Euménides, divinités du destin.

Leur caractère surnaturel est attesté par le jardinier qui affirme qu'elles sont nées d'avant-hier et grandissent à vue d'œil.

Analysons les procédés poétiques de leurs récitations et le thème du destin qui se noue.

 

& Lecture &

 

On pourra analyser successivement :

I. Une récitation poétique,

II. Le destin en marche.

 

 

  1. Une Récitation Poétique

 

Porte-parole du destin, ces "petites filles" affirment ne pas savoir d'avance et inventer à mesure. Leur récitation sur Clytemnestre est une sorte de cantate à trois voix avec un enchaînement de répliques, de questions et de réponses. Parallèlement à ce récitatif, elles commentent ce qu'elles disent.

 

  1. Les procédés poétiques et rhétoriques
  2.  

    La répétition figure au premier rang des procédés poétiques. On la trouve ici tout d'abord sous l'aspect de reprises enchaînant les premières répliques les unes aux autres. Les mots "teint", "sommeil", "pur" sont repris en en écho par l'une des récitantes. Cette construction confère au récitatif une apparence de spontanéité, comme si, effectivement, il s'agissait d'un discours librement improvisé.

    On trouve également des figures de rhétoriques : le polyptote (figure de rhétorique qui consiste à employer le même mot sous deux formes grammaticalement différentes avec une subtile nuance de sens). Deux cas sont particulièrement remarquables : les mots "silence" et "bruit" utilisés successivement au singulier et au pluriel. La nuance est riche :

    4 Les "silences", c’est ce qu’on omet plus ou moins volontairement de dire. Les non-dits inquiétants, menaçants qui entrent dans les relations entre personnes.

    4 Le "silence", au singulier, n’est autre qu’un vide qui peut être angoissant ou apaisant selon l’état d’esprit où l’on se trouve.

    4 Même chose pour les "bruits" : il s’agit des rumeurs, des "on dit", alors que "le bruit" n’a que le sens habituel qu’on lui connaît.

     

  3. Les commentaires.

 

Le jardinier et les trois petites filles elles-mêmes se livrent à des commentaires sur ce récitatif.

Les soi-disant petites filles se décernent un compliment en qualifiant poétiquement la construction circulaire de leur discours à trois voix. En effet, la fin reprend le début avec la mention du mauvais teint de Clytemnestre. On peut voir ici un clin d’œil de Giraudoux qui montre son art d’écrivain en soulignant le procédé de répétitions qu’ils emploient pour confirmer une qualité poétique au discours des Euménides.

D’autre part, le jardinier et l’étranger, qui n’est autre qu’Oreste de retour dans sa cité natale d’Argos, ont des réactions contrastées. Oreste trouve très "intéressant" le discours des prétendues petites filles, alors que le jardinier n’y voit que des "histoires stupides". Cette divergence nous renseigne sur la personnalité des deux hommes.

Oreste qui va devenir lui même indirectement un agent du Destin ne peut être qu’intéressé par ce que disent les fillettes. Mais il ne sait pas avec certitude qu’elles sont les Euménides.

Le jardinier, homme simple, n’a pas la subtilité du fils d’Agamemnon et ne comprend rien à leur parole, à moins qu’il ne comprenne que trop bien les sombres présages qu ‘elles contiennent et ne les qualifie de stupides que pour exorciser l’inquiétude qu’elles lui inspirent. Ce personnage du jardinier est complexe et l’on ne peut décider si il est aussi frustré qu’il en a l’air ou s’il incarne une sorte de sagesse populaire. C’est lui qui informe l’étranger de la croissance anormalement rapide des petites filles : il est donc peut-être conscient de leur nature et suit par intuition qu’elles révèlent le Destin en marche.

 

II. Le Destin en Marche

 

En effet, à travers les paroles des fillettes, une atmosphère lourde, angoissante s’installe comme un prélude aux événements tragiques qui vont survenir.

 

  1. Une atmosphère angoissante
  2.  

    Le lecteur ou le spectateur est amené, grâce à la force suggestive du texte, à partager l’angoisse qui étreint la reine Clytemnestre. Il s’agit bien d’angoisse puisque la reine a peur de tout, qu’elle est la nature de ce "tout".

    Il s’agit des éléments eux-mêmes fort vagues ("silence", "bruit") ou apparemment anodins tels que "l’araignée sur son fil" à moins bien sûr d’interpréter ce dernier élément ainsi que "minuit" et la couleur "rouge" comme des signes magiques, des présages.

     

  3. Les présages

 

Dans l’antiquité, on croyait fermement aux signes qui préfigurent l’avenir. L’image de l’araignée fait songer au proverbe "araignée du soir, espoir ; araignée du matin, chagrin". Minuit est la frontière entre le bon augure (=présage) et le mauvais augure que représente l’insecte selon le moment de la journée.

On peut également voir dans le fil que secrète l’araignée en tissant sa toile, une allusion à celui du Parques, divinité du destin et qui symbolise la vie humaine. C’est ainsi que pour Clytemnestre, tout ce qui est rouge évoque le sang.

Ironie finale : ce fond de teint rouge dont elle de farde pour redonner l’éclat de la vie à son visage, devient par retournement un symbole de la mort qui va fondre en elle : elle se met du sang.

 

 

 

Conclusion

 

Après avoir récité le destin de Clytemnestre, les petites filles vont réciter celui d’Electre. On voit donc que leur fonction dans la pièce est de révéler la vérité intime des personnages, leurs pensées secrètes.

 

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