Electre: Texte #2

 

 

Le Président. Mais je me place au point de vue du destin même, Egisthe ! … Ce n'est quand même pas une maladie ! … Croyez-vous donc qu'il soit transmissible !

 

Le Mendiant. Oui. Comme la faim l'est chez les pauvres.

 

Le Président. J'ai peine à croire qu'il se contente, au lieu d'une famille royale, de notre petit clan obscur, et que, le destin des Atrides, il accepte de devenir le destin des Théocathoclès.

 

Le Mendiant. Sois sans inquiétude. Le cancer royal accepte les bourgeois.

 

Egisthe. Président, si tu veux que l'entrée d'Electre dans ta famille ne marque point la disgrâce de ses membres magistrats, veille à ne plus ajouter un mot. Dans une zone de troisième ordre, le destin le plus acharné ne fera que des ravages de troisième ordre. J'en suis personnellement désolé, en raison de la vive estime que je porte aux Théocathoclès, mais la dynastie n'y risquera plus rien, ni l'Etat, ni la ville.

 

Le Mendiant. Et l'on pourra bien peut-être la tuer un petit peu aussi, si l'occasion s'en présente.

 

Egisthe. J'ai dit… Tu peux aller chercher Clytemnestre et Electre. Elles attendent.

 

Le Mendiant. Ce n'est pas trop tôt. Sans vous faire de reproches, la conversation manquait de femmes.

 

Egisthe. Vous allez en avoir deux, et qui parlent.

 

Le Mendiant. Et qui vont se disputer un peu, j'espère ?

 

Egisthe. On aime parmi les vôtres quand les femmes discutent ?

 

Le Mendiant. On adore. Cet après-midi, ils m’ont laissé entrer dans une maison où l’on discutait aussi. C’était bien moins relevé comme discussion. Ça ne se compare pas. Cela n’était pas un complot d’assassins royaux comme ici. On discutait pour savoir si dans les repas d’invités on doit servir sans le foie ou avec le foie. Le cou aussi, naturellement. Les femmes étaient enragées. Il a fallu les séparer. Quand j’y songe, c’était quand même bien dur aussi, comme discussion… le sang a coulé.

 

 

Giraudoux, Electre, I, 3.

 

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