" Le lamento du jardinier " : Commentaire
INTRODUCTION
Ce passage constitue la fin d’un long monologue occupant l’entracte intitulée " lamento du jardinier ".
Le malheureux jardinier s’est vu enlevé Électre, qu’il s’apprêtait à épouser, par un étranger qui n’est autre qu’Oreste.
Son discours est rempli de paradoxes étranges: c’est l’ironie d’un désespéré qui s’efforce par la magie des mots, de changer la réalité selon ses désirs.
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Lecture &
On pourra analyser successivement :
I.
Une ironie amère,II.
Une manière de refaire le monde.
La tristesse du jardinier est évidente: il aimait Électre et se lamente de l’avoir perdue. Il sait pourtant que son rang social ne lui permettait pas de prétendre la fille d’Agamemnon mais la volonté d’Egisthe qui avait ordoné ce mariage, semblait devoir renverser tous les obstacles.
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Hélas, l’étranger, c’est à dire Oreste, a brisé son illusion en lui faisant comprendre qu’il serait inutile de lui résister. L’infortuné jardinier se trouve donc confronté à sa solitude et sont impuissance.¶
Le sentiment de sa petitesse, de son insignifiance devant les grands de ce monde lui inspire cette ironie un peu désespérée lorsqu’il dit " ce n’est pas le rôle d’un jardinier de réclamer de dieu un orage même de tendresse ".¶
Il a finalement compris qu’il n’est qu’un obscure, qui n’a pas de place dans l’univers de la tragédie réservé au puissants. Ni dieu ni les hommes ne se soucient de ce qu’il éprouve.¶
Il est tellement inutile pour lui de chercher à se manifester à obtenir une réponse. La seule manière d’exprimer son dépit est par une ironie qui inverse les valeurs et substitue à toute idée son contraire.
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Antiphrase: manière de suggérer exactement l’inverse de ce que l’on dit; c’est la forme la plus simple et la plus évidente de l’ironie.¶
Le jardinier dit " on réussi chez les rois les expériences qui ne réussissent jamais chez les humbles " un peu avant le début de ce passage. En fait, derrière cet apparent aveu d’ infériorité, se cache la révolte d’un homme humilié qui veut affirmer que les grands sont soumis aux mêmes passions et aux mêmes vices. C’est ce que suggère le jardinier par antiphrase en disant que le duc qui assassine me dit tendresse.¶
Ces paroles ne doivent pas être prises au 1er degré et il s’agit bien là d’un procédé d’antiphrase, comme le prouve le lapsus du jardinier. " la cruauté, pardon, la Tragédie. Par ce lapsus, Giraudoux nous envoie un signal assez clair, qui nous permet de saisir la pensée réelle du jardinier. Cet univers tragique et cruel: tout y est désespoir et non pas espoir, trahison et non pas foi.¶
On pourra objecter qu’il n’y a pas ironie lorsque le jardinier parle de la pureté qui règne dans la tragédie; en effet Electre et dans une moindre mesure son frère Oreste représentent bien la pureté aussi dure que soit leur morale vengeresse.¶
Mais le jardinier ne saurait en être conscient. Il ne détient pas assez d’info, à son niveau pour en juger. Il est vraisemblable qu’à ses yeux Electre sa promise l’a trahie en le délaissant pour un étranger dont il ne connaît l’identité. Il y a donc, dans son usage du mot pureté toute l’ironie amère d’un amoureux trompé.
II. Une Manière de Refaire le Monde
Cette ironie grinçante, qui parait totalement stérile aux 1ers abords change insensiblement de motivation au cours du monologue. Le jardinier finit par tenter de reconstruire la réalité selon ses vœux en manipulant la puissance même du langage.
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En effet, à force de renverser toutes les valeurs par dérision, ne s’aperçoit-il pas qu’il finit par créer un autre monde, une illusion conforme à son désir?¶
Dans une pièce d’Alfred de Musset intitulée Fantasio, le personnage principal affirme qu’un " calembours peut changer le monde ". Le poète romantique — dont l’ironie poétique douce amère n’est pas sans analogie avec le style de Giraudoux — suggère ainsi par la bouche de son personnage qu’il reste au déçu de la vie la possibilité de s’inventer un monde à eux grâce à la magie des mots.¶
C’est ce que tente de faire ici le jardinier à la fin de son monologue: par un procédé d’autosuggestion il se persuade que l’univers est régit par un Dieu ou des Dieux de " joie et d’amour ". Telle est " sa devise de délaissé et de solitaire ".¶
Devant la cruauté du monde, il ne reste plus qu’au jardinier qu’une fuite éperdue dans la foi positive. C’est ce qu’on appelle la foi du charbonnier: une certitude aveugle qui se suffit à elle même et qui ne demande aucune preuve.
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Un autre poète romantique — Alfred de Vigny — écrit dans une autre de ces œuvres qu’il est désespéré par le silence de Dieu. Les hommes souffrent, élèvent leurs prières jusqu’à lui mais Dieu reste sourd et muet.¶
Cet argument du silence de Dieu qui sert généralement à attaquer la foi, à rejeter la religion comme une tromperie et un faux espoir est totalement renversée par le jardinier. " moi, c’a tjrs été les silences qui me convainquent ".¶
Il termine son monologue en donnant à Dieu l’occasion de ne pas se manifester et offre ce silence comme un silence probant.¶
Cette démonstration absurde va donc jusqu'au bout de sa pseudo logique. Le malheureux jardinier s'est-il persuadé lui même? L'ambiguïté demeure jusqu'au merci final dont on ne sait s'il est adressé à ce dieu muet ou bien au public qui a eu la patience d'écouter ce lamento.
Conclusion
Maître de l'ironie, Giraudoux semblait vouloir à travers ce "lamento du jard" dénoncer la cruauté du monde et montrer sa tendresse envers les délaissés et les solitaires.