Les Confessions
, texte#5 :Rousseau peint par lui même : Commentaire
INTRODUCTION
En 1729, Rousseau revient à Annecy, chez Mme de Warens. Celle-ci le recommande à un de ses parents, Mr d'Aubonne, qui juge Jean-Jacques "si non tout à fait inepte, au moins un garçon de peu d'esprit sans idée, presque sans acquis, très borné en un mot à tous égards". Rédigeant, 36 ans plus tard ses Confessions, Rousseau rappelle ce jugement et en profite pour tracer de lui-même un portrait qui lui permet de se justifier une nouvelle fois contre les griefs de misanthropie et d'instabilité. Il va nous montrer que sa nature repose sur la contradiction entre l'intelligence et la sensibilité mais aussi sur les mécanismes de la création littéraire.
&
Lecture &
On pourra analyser successivement :
I.
L’auto-analyse "Deux choses … confuse d’agitation"II.
La réflexion sur l’écriture "De là vient … rare si je me trompe"III.
l’explication et la justification du comportement social "Si peu maître … qui me convenait"
I. L’Auto-Analyse
¶
D'emblée, Rousseau reconnaît sa singularité, qu'il assume avec orgueil et complaisance. Il jette une lumière crue sur ses défauts ("je suis emporté mais stupide ("rite paralysé par l'émotion".)), dans un soucis de vérité lié à la volonté de se justifier et non sans un certain humour.¶
Il décèle en lui une contradiction fondamentale, soulignée par toute une série d'antithèse entre le domaine de la pensée et le domaine du sentiment. Autant celui du sentiment est marqué par la lumière, la chaleur et la vie ("très ardent, vive, impétueuse, brûle, éblouie"), autant celui de la pensée semble figée ("lente, embarrassée, après coup"). La formule : "je sens tout et je ne vois rien ([l.1206-1207]", affirme cette primauté des sens pour expliquer la difficulté du comportement social. Rousseau insiste cependant sur de réelles qualités intellectuelles, afin d'atténuer l'impression que l'on pourrait tirer de sa lourdeur d'esprit.
II. La Réflexion sur l’Ecriture
¶
Cette sensibilité étonnante, mise en relief dans le 1er paragraphe, constitue un handicape majeur pour le développement de l'activité intellectuelle. On sait que Rousseau éprouvait une certaine difficulté à écrire, mais ce qui est surtout en cause ici, c'est le passage douloureux de l'inspiration à la mise au net rédigée. Le résultat de tout ceci est que l'écriture est un dur labeur. On connaît pour la nouvelle Héloïse, 2 brouillons et plusieurs copies successives. Non seulement, Rousseau ne pratique pas l'écriture spontanée, mais il se contraint à un travail considérable du style.¶
Les coordonnées propices à l'inspiration ([l.1250 - 1254]) ne sont pas particulièrement originales. On remarquera surtout la justification de la solitude, indispensable à la création littéraire, et la belle formule : "j'écris dans mon cerveau" ([l.1254]). Si Rousseau n'a pas la facilité épistolaire de Voltaire, il a laissé d'agréables lettres. Coquetterie de l'auteur qui vient se présenter comme un tâcheron de la littérature.¶
Concernant la mémoire, apparaissent des ambiguïtés, d'autant que Rousseau met l'accent sur le rôle majeur des souvenirs de la création. C'est pourquoi Rousseau insiste tant sur l'importance capitale du souvenir dans l'élaboration de œuvre. Ainsi, naît une autre vérité : la vérité artistique chargée de plus de poids que la vérité du réel : "je ne vois bien que ce que je me rappelle et je n'ai de l'esprit que dans mes souvenirs" ([l.1275 - 1276]).
III. L’Explication
¶
Les observations de Rousseau portent sur la volonté de présenter ce qu'il juge son être profond derrière l'image faussée que l'on a pu donner de lui d'où son attaque en règle contre les exigences de la vie mondaine dont il souligne la facticité. C'est aussi que l'écrivain sait bien qu'il ne sert à rien de parler pour ne rien dire. C’est de façon plus profonde qu'il oppose ici une sorte d'état de nature, celui qui tombe là, des nues à la perversion de la vie sociale. Ainsi, ses défauts même deviennent des qualités.¶
On peut cependant constater l'insistance avec laquelle Rousseau revient ici, sur les problèmes de communication avec autrui. Il démontre lumineusement le mécanisme pervers de cette communication : étant naturellement gauche, il craint de le paraître et cette crainte paralysante le rend encore plus gauche. Ce qui confirme ces détracteurs dans l'idée première qu'il se faisait de lui. Cette sincérité, à elle seule, doit faire reprendre conscience à autrui que sa sottise n'est pas réelle, mais surtout que les accusations de misanthropie et d'insociabilité ne reposent sur rien. Quand aux remarques sur l'écriture, elles trouvent leur justification et en cela, le texte est d'une parfaite cohérence interne : "le parti que j'ai pris d'écrire et de me cacher est précisément celui qui me convenait")
Conclusion
Nous conservons de ce texte, un curieux mélange d’orgueil étalé et d'humour, la fougue justificative toujours sous-jacente et on pourra conclure qu'on est loin de la bonhomie souriante de Montaigne : Rousseau nous apparaît comme le premier autobiographie et comme le fondateur de la psychologie moderne.