La belle Heaulmière : Commentaire
François Villon : 1461 -> "Le Grand Testament". C'est son œuvre principale. Le poète empreinte ici une forme traditionnelle (huitains) mêlant des notations personnelles aux idées de son temps. Sur un ton ironique d'abord, il règle ses comptes avec l'évêque qui l'avait emprisonné ; puis il fait le bilan de sa vie et pour finir, médite sur la mort. Villon hérite des thèmes traditionnels du moyen age, caractère éphémère des biens terrestres, et de l'égalité de tous devant la mort.
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Lecture &
Le regret lyrique (l'auteur fait part de ses sentiments) du temps qui passe, inspire les plus belles pages du Grand Testament. Villon feint d'entendre et de transcrire les propos divers de celle qui fût jadis la Belle Heaulmière (elle était en 1945 une beauté célèbre à Paris). Elle n'est plus aujourd'hui qu'une vieille décrépite et soupire après un passé charmant qui ne reviendra plus. Après avoir invectivé contre la vieillesse "félonne" qui l'a si tôt abattue, elle a évoqué en soupirant, le temps de ses amours dont elle n'a pas jouit suffisamment.
Puis sa fureur éclate lorsqu'elle compare le passé et le présent : plus exactement, la réalité flétrie de son corps et l'image de ce qu'il fut jadis. Cette fureur semble pourtant se calmer, épuisée par la vision précise de cet horrible changement et adoucit par la pensée d'une nécessité qui s'impose à tous et à toutes.
Le dernier huitain qui fait l'objet de l'application exprime une mélancolie apaisée. La tentation du suicide qui tentait la Belle Heaulmière a disparue : comme ses compagnes, elle tient toujours à la vie, attachement inexplicable car le présent est affreux et le souvenir du passé est amer.
La vieille regrette sa jeunesse et en particulier sa beauté qui la faisait régner sur une cour d'admirateur. Elle vivait alors le "bon temps" (cette expression possède son sens plein, c'est le temps du bonheur, aujourd'hui enfuit). Jusqu'à présent, elle parlait en son nom uniquement, mais son regret est aussi celui de ses compagnes. La Belle Heaulmière ne se plaint pas seule : un chœur de voix soutient la sienne. Ce sont les voix des vieilles, comme elle, à la fois misérables et radoteuses, pauvres et sottes. Elles parlent librement entre elles car elles sont abandonnées à leur triste sort : qui se soucierait de hanter leur pauvreté et leur laideur ? Elles unissent donc leur misère, peut-être trouvent-elles une consolation dans cette communauté de maux, peut-être ont-elles besoin de redire leurs souffrances à des auditrices complaisantes ? Avec cette laideur humaine, Villon compose une scène pittoresque et réaliste, en parfaite harmonie avec la tristesse de l'idée exprimée. Tous les mots simples et familiers possèdent une puissance évocatrice. Ces vieilles femmes sont rassemblées autour d'un feu, mais aucune n'est digne d'être "assise au coin du feu, dévidant et filant" (Ronsard). Tout ici est pauvre et laid. Les femmes sont assises bas, à "croupetons", faute de sièges peut-être, et aussi pour mieux réchauffer leurs membres déjà glacés. Sont-ce bien encore des femmes ? Non, elles n'ont plus forme humaine : "le corps ratatiné, aux épaules toutes bossues" disait précédemment la Belle Heaulmière. Elle est recroquevillée et déformée encore par la position accroupie qui fait de chacune un tas, comme une pelote. Bientôt, ce tas d'os et de chaire se dissoudra à son tour dans l'agonie, puis se décomposera au charnié. Misérable et laid également, ce petit feu ou les vieilles se chauffent. Elles ne brûlent pas de bois, mais des résidus (les chenevôtes). C'est un piètre combustible et l'on comprend que les vieilles s'accroupissent pour mieux jouir de sa flamme brève : les chenevôtes sont aussitôt éteintes qu'allumées. On note à la fois la vigueur et la simplicité des termes, et la répétition de "tost" qui semble comme un soupir. Villon ne donne pas explicitement un sens à ce feu qui se consume si vite mais on est tenté d'y voir une valeur symbolique. Le bon temps de la jeunesse a passé rapidement. Sa flamme a dévoré tous les plaisirs en un instant ; déjà la vieillesse est là, il ne reste que les cendres du souvenir.
Le tableau est dressé : des silhouettes difformes, des vieilles devant un feu vacillant. Un murmure s'élève de leur groupe car la vision du présent amène par contraste la plainte du regret. Mais la Belle Haulmière ne s'attarde pas aux souvenirs d'un passé de beauté et de joie. Dans les huitains précédents, elle semble se complaire en leur amertume et à examiner sous tous ses aspects son effroyable décrépitude. Sa fureur s'est éteinte comme le feu des chenevotes. Devant les yeux des vieilles femmes, passent rapidement les images gracieuse des jeunes filles de jadis qui suscitent l'exclamation "si mignottes", rien de plus et cette simplicité est poignante. Le huitain se termine sur une phrase d'acceptation ; la Belle Haulmière et ses compagnes puisent une consolation dans la pensée qu'il en arrive ainsi à "mains et maintes". C'est de fait la destinée universelle. Il semble que Villon reprenne ici la parole pour s'élever de l'exemple particulier à l'idée générale. Lui-même d'ailleurs, doit suivre la voie commune : bientôt la vieillesse puis la mort. Immédiatement après cette strophe, Villon prête à la Belle Heaulmière une ballade inspirée par son expérience ou elle dicte aux filles leurs règles de conduite.
Un Carpe Diem assez cynique : "profitez donc du bon temps pendant que vous êtes encore jeunes et jolies, la vieillesse viendra toujours trop tôt".